Je ne veux pas te laisser partir de moi

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Une voix susurrante telle celle d'un serpent siffle à ses oreilles et la réveille. Mais sa vue brouillée fait naître en elle une angoisse qui remonte bien vite jusque dans sa gorge. Elle n'est plus couchée, mais assise, la tête penchée vers l'avant, ce qui n'est pas sans lui rappeler son dernier cauchemar, qui n'en est peut-être pas un. Elle aimerait relever la tête mais, à chaque fois qu'elle tente d'actionner sa nuque, sa boîte crânienne se fait de plus en plus lourde et une violente nausée s'empare d'elle. Elle discerne peu à peu un brouillard glauque, et des chaussures masculines se dessiner au-travers de celui-ci, à côté de ses propres pieds, pendant dans le vide, qui lui paraissent effroyablement petits. Elle parvient enfin, au bout de quelques longues minutes, à tourner légèrement la tête et aperçoit, du coin de l'oeil, des rubans rouges qui soutiennent ses articulations au plafond comme elle l'avait senti la dernière fois. En se concentrant, elle parvient à comprendre pourquoi elle ne les sentait pas auparavant. Les liens ne semblent pas si serrés que cela, bien que ses membres ankylosés refusent de lui obéir, et l'empêchent ainsi de se débattre. De plus, elle perçoit que ses entraves sont en réalité très douces, et en déduit donc qu'elles doivent certainement être faites en satin et se demande rapidement si cela a son importance ou pas. De plus, si cela n'était qu'un rêve, elle ne ressentirait pas tout cela.

Tout à coup, une douleur lancinante se déclare dans ses veines, lui donnant subitement l'effroyable impression que le flux sanguin desservi dans celles-ci se fait trop fort, qu'elles ne résisteront pas à une telle pression. Elle a la sensation que ses membres sont sur le point d'éclater et elle parvient à laisser échapper dans une suffocation :

« Arrêtez... » Prend-t-il du plaisir à la faire souffrir ainsi, comme si elle n'était rien d'autre qu'un objet, qu'une vulgaire poupée de chiffon à ses yeux ? Pourtant, quelque chose d'étrange semble lui prouver le contraire, une chose indescriptible. L'aura qui se dégage de l'homme et qui atteint son cœur n'a, selon elle, rien de mauvais. Elle a même la sensation qu'il souffre avec elle, mais qu'il n'a pas d'autre choix que celui de la faire endurer tout cela. Il dépose d'ailleurs un baiser rassurant dans ses cheveux, un geste tendre au parfum familier. Tous les ingrédients sont réunis pour la rendre folle de peur, mais elle se sent étrangement rassurée, tout comme si elle comprenait les véritables intentions de cet homme, comme si elle le connaissait.

« Han ! »

Son tronc se redresse d'un coup sec. Elle analyse les alentours et reconnaît ses meubles, leur disposition dans son appartement, et est couchée dans son lit, ses jambes délicieusement en contact avec les draps qu'elle a mis la veille. Mais ce qu'elle vient de vivre ne peut pas être un rêve. La douleur n'est plus aussi forte qu'avant, mais ses veines demeurent désagréablement brûlantes. Quant à son pouls, il reste toujours élevé au point de lui donner l'impression qu'un second cœur aurait poussé à côté de son cerveau. Elle a les larmes aux yeux, et ressent le besoin de courir pour ouvrir la fenêtre et humer l'air frais qui s'engouffre alors dans ses poumons.

« Calme-toi, tout cela n'était qu'un rêve ! », mais cela n'a pas pour effet de l'apaiser, au contraire. Certes elle voulait échapper à son quotidien, se sentir vivante mais, à côté de l'immense douleur qu'elle vient de subir, dans des circonstances d'autant plus effrayantes qu'elles lui échappent, elle n'est plus certaine de vouloir encore vivre autre chose que sa routine rassurante. Elle n'est pas prête à mettre à ce point sa vie et son intégrité en danger. Mais, elle se surprend à soupirer de façon légère. Le son qui s'échappe de ce soupir ne fait aucun doute sur la nature de celui-ci. Elle a beau ne pas y connaître grand-chose dans les relations entre sexes opposés, ayant toujours été dans des écoles pour filles depuis la fin de ses années de collège, elle n'est pas bête pour autant. Ce soupir, aussi stéréotypé soit-il, vient bel et bien de sortir de sa bouche alors que l'air frais lui fouette les joues, le regard rivé sur la lune pleine, l'œil du Ciel, d'un autre monde vers le sien, une espèce de portail qu'elle rêve de franchir. Ses pensées sortent, une fois de plus, de sa boîte crânienne, pour venir danser dans la voûte céleste, mais, cette fois, retombent bien vite. Elle ne peut échapper au triste constat qui semble écrire en grosses lettres rouges dans le ciel une fatalité qui lui échappe : «Tu es amoureuse ! ». Mais de qui ? De l'homme de la supérette ? De celui qui apparaît dans ses rêves ? A moins qu'il ne s'agisse de la même personne ? Ceci étant, il avait beau être étrange, il ne s'est plus montré à sa vue depuis plus d'une semaine. Est-il vraiment lié à ses rêves ? Devient-elle folle à cause de son envie de s'échapper de sa routine ? Mais ses veines sont toujours douloureusement brûlantes. Cependant, son cœur continue de crier silencieusement, ne cessant de lui rappeler qu'elle est amoureuse...Mais elle ne sait pas de qui, ni si ses rêves sont réels, bien que son corps, quant à lui, en est persuadé. Sa tête tente de la convaincre du contraire, mais elle ressent une chose encore plus étrange : cet amour qui se développe en elle ne lui apparaît pas comme étant un sentiment nouveau. De plus, qui aime-t-elle ? L'homme de la supérette, celui qui la retient prisonnière dans ses rêves, ou bien d'une autre personne ?

Ne suis-je qu'une poupée ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant