Journal d'un zombie

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Futur crédible

Envisageable dès : date mal cernée

12 août

Je me suis fait mordre aujourd'hui. Je suis contaminé.

Au début, je pensais qu'il ne s'agissait que d'une bande de psychopathes, des cinglés comme on en rencontrait des fois depuis que la guerre a commencé. Seulement, ils m'ont mordu, et j'ai eu un doute. Dès que j'ai pu sortir de la ruelle, j'ai couru vers ma maison et je me suis précipité vers ma famille.

Et c'est là que ma mère a hurlé. Que ma petite sœur s'est mise à pleurer. Que papa a sorti son flingue et m'a dit "Fous le camp". Je pensais qu'ils m'offriraient de l'aide, je pensais qu'ils chercheraient un des centres scientifiques de la capitale où l'on testait les prototypes de décontamination. Je pensais qu'il m'aimaient.

Je me suis donc retrouvé à la rue. On m'a donné cinq minutes pour prendre ce que je voulais à la maison et m'en aller. J'ai pris mon iPhone, mes Nike, un ou deux jeux avec mon casque de réalité virtuelle, mon argent de poche, et ce carnet. Je sais pas pourquoi je l'ai pris. C'était un vieux machin que mémé m'avait offert, deux ans avant ma mort, un journal intime comme pour une gamine. Mais je l'ai pris quand même. J'ai besoin de me calmer, de noter ce qui m'arrive dedans. Je viens de me retrouver vers le quartier 12, et là j'écris en cherchant sur mon iPhone où il peut être, ce foutu centre de recherche. Je veux être un cobaye, moi. Je veux pas devenir un de ces fous qui arrachent des bras et des jambes comme on en voit à la télé.

J'ai caché mon bras dans un pull-over. Il est dans un bon sang de sale état, tout déchiqueté, tout noir, on voit le muscle qui dépasse. Je compte pas me laisser faire. Mais j'ai peur.

13 août

Moi qui pensais que j'allais dormir par terre, j'ai eu du pot.

J'ai réussi à trouver l'asile de nuit, et je suis allé dans la section Quarantaine. Là, il n'y avait que des zombies depuis peu, comme moi, et une infirmière s'occupait de nous. Elle m'a fait penser à mon AVS en primaire, Claire, et justement elle s'appelait Karine, ça sonne un peu pareil.

Avec elle, il y a un gros monsieur du genre sérioche, le Docteur Michel. Je crois que ce mec s'entend qu'avec les enfants et a une définition du terme plus large que la mienne. En tout cas il m'a tout expliqué. C'est une sorte de lèpre qui altère autant les membres que le cerveau, mais elle ronge mal le cœur et les poumons. On va donc devenir débiles, avant d'avoir beaucoup souffert dans un premier temps. C'est ce qu'il m'a dit sous une couche dégoulinante de gentillesse.

Moi, je sais que j'ai pas le choix. On a jamais le choix. On progresse avec la foule et puis c'est tout. Je suis une victime d'une épidémie, et maintenant, on me regarde comme on regarde tous les types pas normaux. Dans la société, je me suis retrouvé au même rang que les gays, que les prostitués ou les malades mentaux : tout en bas. Et je veux pas continuer dans cette direction. Être cobaye, pour l'instant, c'est la seule solution.

Je note et je note et je gribouille ce carnet. Je savais pas que je pourrais écrire autant de trucs. Et tous ces trucs pour moi, ils ont l'air de sonner creux, parce que j'arrive pas à exprimer toute ma peur, parce que j'arrive pas à exprimer toutes mes larmes. Demain, je vais me présenter au centre de recherche, dans le quartier 2 de l'arrondissement 3. J'espère que je vais redevenir un humain comme les autres.

14 août

J'ai presque pas dormi cette nuit.

Tous d'abord, les draps étaient sales, crasseux, encore pire que dans le HLM avec maman, papa et ma petite sœur. Quand j'ai repensé à eux, je me suis demandé si c'était possible qu'on puisse revivre ensemble. Je sais pas. Avec ma petite sœur, j'en suis sûr. Elle a eu peur, mais elle me comprend. Elle peut pas admettre que je suis devenu un zombie. Parce que c'est ma sœur. Ma petite sœur.

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