Futur probable
Envisageable dès : maintenant
Le froid.
James ne ressentait plus que le froid.
Le froid de la nuit, tellement au nord, tellement glacée par les nuits d'hiver...
Et il ressentit autre chose, torride celle-ci.
La chaleur de son sang.
Il se recroquevilla encore plus sur lui-même, conscient qu'il ne passerait pas la nuit. L'image de son meurtrier repassait en boucle dans sa tête, un Français, les cheveux coupés presque à ras, d'où son surnom dans l'équipe : le Shortair*. Un tueur comme on n'en croisait qu'une seule fois dans sa vie. La dernière fois qu'on en croisait un, bien entendu.
Suffoquant, il se hissa difficilement jusqu'à la Tamise. Il savait que l'eau de ce fleuve était infecte, mais il y but quand même. En un clin d'œil, il se sentit encore plus agonisant.
Se laissant choir dans l'eau, il se sentit se faire engloutir par les flots gelés de Londres et ferma les yeux une dernière fois.
Un mot lui revint d'un coup. Brexit.
Brexit, Brexit... Son cerveau ramait comme l'ordi du parrain. Ah. Le Brexit, bien sûr. C'était à cause du Brexit qu'il se retrouvait là.
Ça datait. Déjà dix ans. Mais dix ans n'était jamais assez long pour permettre à une mafia de s'étendre...
Des bras le hissèrent soudain hors de l'eau. Il cracha, suffoqua, son œil droit parvint à se rouvrir mais l'autre restait crispé, collé qui plus était avec la boue et l'eau sale. Sa vue était brouillé, mais il reconnut la classe de ceux qui l'avaient repêché.
Des flics ! Il fallait qu'il tombe sur des flics.
"On en tient un ! Si vous voulez mon avis, faut le mettre à l'abri. Il est gelé comme un pudding de Noël !
- Faites voir ! Laissez passer ! Je savais qu'on en trouverait un !"
James ignora la suite de la conversation et s'évanouit.
Toujours pas mort ? C'était dingue, ça. Toujours pas de vie qui défilait devant ses yeux, toujours pas de grand squelette avec une faux. Il se sentait même un peu mieux. Pas encore capable de marcher, mais mieux quand même.
Un infirmier vint jusqu'à lui.
"Vous êtes réveillé, monsieur ? Vous voulez quelque chose ?"
James l'empoigna. Violemment, alors qu'il n'avait plus de forces. Les réflexes...
"Je veux vous dire... Vous dire mon histoire. Je dois...
- Vous allez bien, monsieur ?
- Pas bien, non, pas bien ! Alors écoutez c'que j'ai à vous dire.
J'étais dans la contrebande lorsqu'il y a eu le Brexit, mon p'tit gars. Au marché noir, c'était tout moins cher, on revendait la bouffe de l'UE moins cher que L'État comme on avait pas eu à la payer, et moins cher même que les Primarks, tellement les pigeons avaient le choix. J'étais là aussi quand la mafia est arrivée et qu'elle a mis la main dessus, j'étais là quand elle m'a embauché dans l'équipe du Shortair. Ce que je veux... C'est que vous tuez ce gars-là... Avant qu'il vous tue, vous.
- Tuer... Le Shortair ?
- Le Shortair, c'est le pire gars qu'vous pourrez trouver. D'la mafia marseillaise, qu'il était. C'est quand il est arrivé qu'on a commencé à vendre la drogue, d'abord la chicha et ensuite l'héro. Avant on était des contrebandiers modestes, honnête on pourrait presque dire... Mais à présent c'est fini. Ça va être la gangrène du Royaume, je pourrais vous en parier les joyaux de la Couronne. Y faut qu'on tue ce type, il est pire que les parrains... Il est pire, même, que la plupart des mafieux."
La main de James tremblait comme jamais auparavant. Il relâcha l'infirmier, qui partit presque en arrière tant l'étreinte était violente.
"Souv'nez-vous-en, vous, d'ça... Souv... Ah..."
Cette fois-ci, c'était la fin. Sa vue se brouilla de plus belle, il vit le plafond bouger, il sentit son corps se dérober...
Et puis d'un coup un dernier souvenir lui vint.
"Tu es venu pour me tuer.
- Oui.
- Dommage pour toi mon vieux..."
Et il sentit que tout était perdu.
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*Le Briitish Shortair est une race de chats domestiques provenant d'Angleterre. (N.d.A.)
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BIENTÔT
Short StoryFuturs crédibles, possibles ou probables... Beau monde que la Terre, avec toutes ses horreurs, ses versatilités, les angoisses de ces habitants. Dans un monde hostile, personne ne peut imaginer ce qui se passera dans les années à venir. On s'imagine...