Quand le lion montre ses dents, ne crois jamais qu'il sourit.
Proverbe africain
Futur possible
Envisageable dès : maintenant
Lorsqu'on L'avait élu président, Fink n'aurait jamais pensé qu'on s'en retrouverait là. Les États-Unis entiers, bouffons se prosternant devant leur roi, élisant l'homme le plus virulent le plus immature, le plus grossier, le plus dangereux depuis Hitler en 1933. Dans la rue, les pom-pom-girls défilaient, les nanas exhibaient leur corps, au rythme frénétique du jingle sauvage, dans une chorégraphie dévergondée qui laissait les passants mâles pantois et les grosses femmes admiratives. Les amerloques étaient donc idiots à ce point ? Apparemment oui, sauf si on avait trucqué les élections, et avec un type aussi faux-jeton, trout pouvait arriver.
Les premiers jours, il ne s'est rien passé de spécial. Tout était gentil, sympathique, mignon, si bien que Fink pensait que finalement Il allait les laisser en paix. Et puis son voisin noir est parti, il n'a jamais su où. Et puis ils s'étaient mis à parler du mur entre le Mexique et l'Amérique. Les impôts avaient monté, il avait fallu déployer tout le génie américain pour que les laids, les hideux, les démoniaques, les pervers, les obscènes, les monstrueux et sataniques mexicains ne franchissent la frontière de leur glorieux pays ancestral. Et puis l'année suivante, la France s'était habillée en bleu marine, ensuite avaient suivi l'Autriche, et puis à peu près tous les pays blancs. Il y avait eu des émeutes, bien sûr, comme toujours quand un homme comme Lui prenait le pouvoir, et puis c'était passé, avec les CRS, l'armée de l'État et l'armée des USA. Plus les années avançaient, plus Il faisait passer des lois un peu bizarres sur les bords. Il n'était pas raciste, mais quand même, quoi, ce qu'il disait des fois...
Et puis au sud, rien de nouveau. La guerre en Syrie s'éternisait et les stratégies n'étaient pas fameuses. Pour boycotter, ça marchait, mais mettre quelque chose en action, ça c'était plus dur ! Et les affiches "Engagez-vous" ont commencé à envahir les rues, les postes télé, les serviettes de McDonald ou les tickets de Burger King. Comme si d'un coup, on était revenus du temps de Pearl Harbor...
Et puis Il s'était fait réélire. Il s'était fait attirer des menaces, des critiques, mais c'était Lui qui menait le jeu. Pour satisfaire tout le monde, Il avait promis que cette fois-ci serait meilleure que la précédente.
Ben voyons.
Vicieuse, obtuse, la paranoïa était devenue la compagne de Fink. Toujours, chaque matin, il se réveillait avec la peur au ventre qu'ils viennent le chercher. Partout un maccarthisme s'était établi contre les étrangers, afin que pas un arabe ne survive à la guerre, qu'ils disparaissent tous pour le bonheur et l'épanouissement des humains. Et puis enfin Il avait réussi à détruire Daesh, après cette lutte interminable de plusieurs années. Et alors tout le monde avait bondi de joie, léché Ses bottes, acclamé le sauveur de l'humanité. Ce capitaliste merveilleux, ce droitiste angélique allait les sauver de tous les périls, par tous les engagements possibles. Or, à présent que la guerre avec le Djihad était finie, les rapports entre Lui et Poutine, déjà sculptés dans l'acide, étaient devenus de pire en pire. Et à ce moment-là, ils avaient fini par se mettre d'accord sur une chose : ils se trahiraient dès qu'ils en auraient l'occasion.
"Une nouvelle page se lève sur l'Histoire. Une page blanche, immaculée, une page où tout va devenir possible pour vous..." disaient les militantes républicaines. Cinq jours après, la guerre était déclarée contre les soviétiques. Tout le monde avait vu ça comme une catastrophe, surtout que le mur du Mexique et la guerre contre l'EI avaient plombé une partie des ressources occidentales. La crise était plus présente que jamais, seul Lui parvenait à conserver un peu de sa richesse et sa splendeur, lui et quelques autres républicains milliardaires. Et Fink s'imaginait chaque nuit qu'un déluge de bombes H allait s'écrouler sur le monde. Que tout était fini cette fois.
Et ça continuait. Parce qu'on peut jamais toucher le fond, parce que le fond n'existe pas. On peut toujours faire pire. Il avait établi son petit empire, toujours plus à droite, toujours plus puissant. Lors de la bataille de Moscou, Fink se demanda où s'était fourré le monde. Il n'y avait plus d'espoir, semblait-il. Pire, il n'y en avait jamais eu.
Et puis la crise continuait. L'Occident était en ruines, la Triade était rognée de toutes part. En Afrique, les PeD émergeaient et créaient des ententes plus ou moins bonnes. Partout émergeaient de petits dictateurs de pacotille qui plongeaient leur pays dans un bain de sang. L'économie partait à vau-l'eau, et les génocides arabes ou noirs continuaient dans l'hémisphère nord. Et puis la situation sembla s'améliorer. Le mur tenait bon, les immigrés recevaient des punitions de plus en plus exemplaires. Un ordre s'était établi, un ordre excellent car plus rien ne pouvait le faire chanceler.
Et puis il y eut les rebelles. Des manifestations, savamment éradiquées par l'armée, mais après il y eut une émeute. Fink aurait aimé y participer, mais quand on les rejoignait, on perdait tout. Et puis des communistes... Oui, il paraissait que ces sales bêtes se cachaient parmi les rebelles. Du moins, la télé disait ça...
Et puis un jour, on L'avait tué. Mort, qu'il était, dans une explosion de mines cachées dans Washington ! Et partout, on l'avait vénéré comme martyr, partout on cherchait qui pourrait le remplacer, mais il n'y avait plus d'espoir, car il avait détruit la gauche, il avait détruit les peuples, il avait détruit la vie et l'amour.
Une nouvelle page de l'histoire s'était tournée. C'était vrai, ça. Et l'Histoire n'est composée que de pages noires.
VOUS LISEZ
BIENTÔT
Short StoryFuturs crédibles, possibles ou probables... Beau monde que la Terre, avec toutes ses horreurs, ses versatilités, les angoisses de ces habitants. Dans un monde hostile, personne ne peut imaginer ce qui se passera dans les années à venir. On s'imagine...