Futur crédible
Envisageable dès : maintenant
On avait fini par le sélectionner de justesse. Il avait pu aller dans les fusées qui allaient se préparer à coloniser Mars, et puis il avait pu se lancer, avec les autres, dans la terraformation des planètes d'Alpha du Djinn et Altaïr. Lorsqu'on lui avait annoncé qu'il y aurait bientôt une mission plus lointaine encore, vers une planète où se trouvaient des êtres extraterrestres, qui ne connaissaient peut-être pas la Vérité. Des êtres du démon, dans ce cas-là.
Il était monté avec les autres hommes, chacun avec un fusil dernier cri (uniquement en cas de légitime défense, leurs avaient dit les scientifiques), jusqu'à la colonie. Le voyage durerait deux ans. Il avait donc supporté les autres pendant deux ans à bord de leur vaisseau. Quand on vit durant deux ans avec seulement six autres gens, il y a de quoi devenir fou. Et ce n'était pas seulement à cause de ça. Alors qu'ils se rapprochaient de la planète en question, il avait trouvé un message sous son drap. Il y avait un Chien parmi eux, disait le papier. Un Chien, mais qui ? Ils avaient pourtant éradiqué tous ces hérétiques. Il ne voyait pas qui cela pouvait être. Et puis les jours d'après, il se mit à soupçonner un peu tout le monde, et pourquoi est-ce qu'on lui avait envoyé ce billet. Il n'osait pas en parler, de peur de tomber sur le Chien. Il espérait simplement qu'il saurait l'apprendre seul.
Les deux derniers mois s'écoulèrent ainsi. Il était toujours aux aguets, soupçonnant le moindre des gestes de ses compagnons de route. Et enfin, ils étaient arrivés sur la planète, à la roche verte si sale et méprisable, aux brumes si sinistres et si riches en dioxyde de carbone. Comment le Dieu avait-il pu créer de la vie dans un endroit pareil ? Et pourtant, les scientifiques en étaient convaincus. Il n'aimait pas cela. Les scientifiques étaient issus d'une autre époque, il fallait des hommes d'action pour accomplir la volonté du Prophète. Et le Califat semblait s'être ramolli au cours des siècles, en train de s'affaisser après ses si brillantes guerres contre les païens.
Une fois là-bas, il avait passé son temps avec des petits hommes vieux et séniles qui bavassaient sans cesse sur les nuages toxiques qui infestaient les zones habitables à des heures précises et sur comment les éviter. Pour le reste, l'air de la planète était à peu près respirable, il faudrait juste s'accoutumer à ces maudits relents de soufre.
Des relents ! À présent, il en ressentait, de ces satanés relents. Il marchait depuis des heures à travers cette planète maudite d'Allah et de ses anges. Errant sans but, ou plutôt celui de retrouver la base au plus vite.
Il avait fini par parler aux scientifiques du Chien. S'il y avait bel et bien eu un Chien, celui qui avait envoyé le papier ne s'en serait pas donné la peine. Il s'agissait donc de quelqu'un qui tentait de plonger le vaisseau dans la paranoïa. Aussi absurde que ça en avait l'air, ça aurait pu être le Chien qui avait fait ça. Après tout, ces démons fétides étaient prêts à n'importe quoi pour tromper les hommes...
Et il avait donc cherché qui avait fait le coup. Il avait analysé les styles d'écriture de chaque membre du vaisseau, et sa déduction s'était finalement portée sur le plus jeune de l'équipe. Abdel. Il avait eu beau le supplier, il l'avait tué sans témoin. Mais Abdel était lâche, terriblement lâche. Il faisait partie de la Résistance terrienne apparemment en tant que pot de fleur. S'il était fourbe, il n'avait en tout cas pas une once de courage. Azraël s'occuperait de lui... En attendant, après de s'être fait sauter la tête par son fusil, Abdel lui avait révélé qu'il y avait bel et bien un chien à la base. Il n'avait pas fait partie de l'équipage de ce vaisseau, mais ils avaient sympathisé à l'intérieur. Il s'appelait Youssouf, c'était un de ces petits européens qui avaient rejoint la Résistance terrienne américaine, là où se trouvaient encore nombre de chiens galeux, même après mille ans d'extermination.
Et il avait donc tué Youssouf. Lui aussi. Parce qu'il était un Chien, qu'il avait une vision fausse de Allah, qu'il croyait que Issa était son fils, parce qu'il haïssait sa race comme l'avait voulu le Prophète. Et pourtant, dans ses yeux, il avait ressenti une sorte de pitié. Après tout, même les chiens valaient quelque chose. Ils pardonnaient toujours les coups de pied, les humiliations, les morts de leurs semblables. Les chiens pardonnaient toujours. Et dans ce regard, il avait ressenti la sensation atroce de s'être fait pardonner.
Il avait profité qu'ils soient parti en mission pour le tuer. Dans les brumes, personne ne trouverait jamais son corps. Il avait pris son fusil et il avait tiré. La première balle était rentrée dans le GPS, faisant voler en éclat le précieux appareil, le seul qu'ils avaient à eux deux. La deuxième l'avait transpercé en plein cœur. Alors qu'il agonisait, il l'avait traité de lâche, de pouilleux, il lui avait tout raconté au sujet d'Abdel. Lui n'avait rien dit, pas même un gémissement.
À présent, il allait retourner à la base. Sans GPS, donc, mais il saurait s'en passer. Il dirait que Youssouf était mort par accident, ou peut-être avouerait-il la vérité. Après tout, il n'avait pas beaucoup d'amis dans le camp. Il aurait même pu prononcer une fatwa contre lui, si le code de l'Espace n'avait pas stipulé que les membres d'une entreprise à travers les étoiles devaient rester unis à tout prix. À présent qu'il avait tué ce démon, ça ne risquait plus d'arriver. Il fallait se convaincre qu'il avait bien fait. Pourtant, il avait comme l'impression qu'une goule le guettait, venue venger celui qu'il avait tué. Il secoua la tête. Qu'importe, il avait un fusil. Et puis il arrivait presque à la base. Presque. Et puis sinon, ce serait un peu plus loin. Et puis de toute façon, ce n'était pas comme si un de ces nuages toxiques allaient lui tomber dessus. Tout de même...
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BIENTÔT
Short StoryFuturs crédibles, possibles ou probables... Beau monde que la Terre, avec toutes ses horreurs, ses versatilités, les angoisses de ces habitants. Dans un monde hostile, personne ne peut imaginer ce qui se passera dans les années à venir. On s'imagine...