Terry: La Visite

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          Terry ouvrit péniblement les paupières de son œil unique et balaya la pièce du regard. une lumière sale et jaunâtre filtrait à travers la herse du hublot, donnant une impression de paysage irréel, sombre et fantastique à l'entassement d'armes, munitions, paquets vides de nouilles instantanées, canettes vides et enregistrements pornographiques qu'était son appartement.                 

 Et comme chaque matin, Terry se maudit, pour avoir été aussi faible, il maudit les parfaits, sombres imbéciles avec leurs airs supérieurs... Il maudit ses collègues, si stupides et dénués d'intérêt, il maudit les mutants, raclure dégénérée... Il n'y avait rien que Terry ne haïssait pas. Nostalgique, il se leva péniblement en se remémorant l'époque où il était encore un dieu... l'époque où il était encore parfait. Parfois, il aurait voulu que les reliquats nauséabonds de ce que l'on appelait autrefois l'humanité finissent une bonne fois pour toute de se consumer dans un immense brasier purificateur. Son œil, ou plutôt sa laisse, voyait rouge... "Pensées Impures, pensées impures" affichait-il sans relâche. Le Semi-Parfait en avait l'habitude. Il aurait voulu arracher de ses propres mains cette chaîne que tenaient fermement ses maîtres, mais il savait pertinemment qu'au mieux, il en mourrait, au pire, irait rejoindre la fange gémissante des bas fonds. Cet œil, si pénible soit-il, était la garantie pour ses maîtres qu'il n'était pas dangereux pour eux: en effet, l'objet lui administrerait une décharge électrique mortelle si jamais il tentait de faire du mal un Parfait. Et si Terry n'était pas dangereux pour ces salopards, il leur était utile. 

          "Cette fois je suis sur un putain de gros coup..." réfléchit-il à voix haute "Célexia Durenfer, une putain de Parfaite, assassinée puis démembrée dans les catacombes..." Les choses étaient en train de changer, se dit il avec un petit sourire en coin: ce n'est pas parce qu'il ne pouvait pas faire de mal aux parfaits qu'il ne pouvait pas se réjouir qu'un autre taré s'en charge...

          Sauf si c'était... Non, impossible. Toute cette histoire n'était qu'une légende stupide entretenue par les Technoprêtres pour conserver leur pouvoir sur la plèbe.

          Et en parlant des Technoprêtres, il allait en rencontrer le gratin: Il était convié à un repas avec la Grande Technoprêtresse Vénïa, dans la ville haute. Celle si avait, semble-t-il, une relation privilégiée avec la victime, et Terry s'était arrangé pour l'interroger... Peut être avait-elle quelque chose à voir avec cette histoire, bien que cela lui sembait très improbable: les Technoprêtres étaient connus pour leur côté conservateur... Il espérait au moins découvrir ce qu'était allée faire la Parfaite dans les recoins sombres de la Cité.

          Sa mâchoire se crispa à la simple idée de retourner une fois de plus dans la ville haute. Ce qui aurait du être son domaine. Si il avait été moins faible. Il espérait au moins ne pas avoir à croiser la Parfait responsable de son statut actuel. Il n'aimerait pas finir électrocuté.

          Après avoir pris un repas sommaire, à base, une fois de plus, de nouilles instantanées, Terry enfila son uniforme de combat. Il décida de ne pas prendre son pistolet énergétique avec lui, il ne voulait pas indisposer la Technoprêtresse. Non pas qu'il se souciait ne serait-ce qu'une seule seconde d'elle, mais il jugea qu'il aurait besoin de toute sa collaboration pour mener à bien son enquête. Son sabre, néanmoins, restait à ses côtés. Après tout, une telle arme n'était d'aucune utilité contre des parfaits armés d'épées énergétiques. Il jeta un dernier regard dégouté sur son taudis, puis ferma sa porte coulissante et enjamba sa bécane. Il consulta l'heure. Il serait juste à temps pour le repas. 

          Il filait à vive allure dans les tunnels de circulation, slalomant entre les autres moyens de transports tous plus hétéroclites les uns que les autres qui y évoluaient. La vitesse et cette sensation de communion avec sa vieille amie était une des seules choses que Terry appréciait, ça et les nouilles instantanées. Peu à peu les coursives faiblement éclairées et sales de centaines d'années d'utilisation cédèrent la place à des tunnels plus propres, plus larges... Les voitures et navettes qu'on y croisait aussi, devenaient plus luxueuses, ou du moins, plus neuves, pas usées par des générations d'utilisation et de bricolages incessants. Quand soudain, la surface. l'écho insupportable des tunnels laissa place au gris du ciel. Il est des légendes qui racontent qu'il fut bleu, autrefois, mais de mémoire d'homme, rien de tel n'a jamais été observé, le ciel demeure sombre et lourd, comme un brouillard ignoble qui laisse peser son ombre menaçante sur chaque être humain, Parfait ou pas... "Pensée impure" signala l'œil. De rage, Terry frappa sur ledit appareil, ce qui lui causa une douleur intense. "Putain de saloperie de merde" grinça-t-il entre ses dents. Des formes noires massives et monolithiques se détachaient du brouillard: les palais immenses et baroques des Parfaits dévoilaient toute leur splendeur. Terry fit un grand détour pour éviter de passer devant le plus somptueux de tous... celui qui aurait dû être le sien. 

          Il avait bien calculé; La cité des Technoprêtres s'ouvrait devant lui. D'immenses tours de verre, d'acier et de verfluide vieillies se dressaient à son passage: dépourvues de tout ornement inutile, selon les doctrines de leurs habitants. Ces tours n'étaient pas de simples quartiers d'habitations, elles étaient les usines de la Cité; c'est là qu'était enfermée toute la technologie jalousement gardée par les Technoprêtres qui permettait à chacun de survivre. Et les immenses temples dédiés au Grand Constructeur, père de toute technologie. Ceux-ci semblaient si immenses que les seules cérémonies annuelles du Repoussement ne pouvaient pas être leurs seules fonction. Partout d'énormes statues du Grand Constructeur créant le premier Technoprêtre, ou triomphant du Grand Destructeur, s'élevaient comme dans un défi fait au ciel morne de ce monde. Chacune de ces représentations était une merveille architecturale, haute d'une centaine de mètres, la plupart étaient articulées, une vapeur verdâtre s'élevait lentement des jointures de ces oeuvres: les résidus toxiques du verfluide qui actionnait le mécanisme.

          Terry était enfin arrivé à destination. Il laissa sa bécane sur le bas côté et se dirigea d'un pas décidé vers l'entrée somptueuse du palais de la Technoprêtresse. Si chez ces fanatiques, l'austérité était de mise, cela ne semblait pas être le cas de leur maîtresse, son palais rivalisait de splendeur avec ceux des plus influents Parfaits. L'immense porte aux bas reliefs d'or d'une complexité incroyable d'ouvrit avec lenteur. Un esclave se trouvait de l'autre côté. Son corps était immense, ses muscles surdimensionnés, il avait certainement subi un traitement hormonal. à l'endroit où aurait du se trouver sa tête, il n'y avait qu'un unique œil artificiel rouge, environné de systèmes de survie et d'un enchevêtrement complexe de tubes et fils qui plongeaient ensuite sous sa peau. Terry regarda la créature avec un dégoût manifeste. Il avaient envoyé un esclave. Pour l'accueillir lui. Un vulgaire esclave répugnant. Il méritait quand même mieux que ça. Il serra le poing, l'épée en bandoulière dans son dos le démangeait. il savait que son œil ne l'aurait pas empêché de charcuter la créature: elle n'était pas parfaite... Mais il se retint, il voulait faire bonne impression auprès de la maîtresse des lieux. Il se contenta de demander sèchement à la chose qui se trouvait en face de lui où il était attendu.

"Suivez moi, je vous prie, maître" répondit la voix mécanique et atone de la créature.

          Terry fut guidé à travers les sombres couloirs de l'édifice. Ils débordaient de machines et de technologies incompréhensibles, et Terry ne doutait pas une seule seconde qu'elles fussent toutes extrêmement dangereuse. Il se contenta donc de regarder les excroissances mécaniques qui jaillissaient des murs, et de cesser de respirait quand l'air devenait trouble quand les gaz toxiques relâchés atteignaient une concentration trop importante. Puis il fut laissé seul dans un salon luxueux. Terry détestait attendre. Il avait été convié ici à une heure précise, il avait respecté sa part du contrat. Il supposa que cette attente n'était qu'une manière de plus de lui montrer qui détenait réellement le pouvoir ici. Et comme d'habitude, il devrait se contenter de leur lécher les bottes pour obtenir ce qu'il désirait. Son enquête devrait être mise de côté. 

         Enfin une porte s'ouvrit. Terry la franchit.

          Des concepts tels que la beauté et la laideur avaient disparu depuis bien longtemps: seule comptait la perfection... Mais la créature qui se trouvait à l'autre bout de la table, vêtue d'un kimono rouge sang et parée d'or... Cette créature était sublime. Il n'y avait rien que Terry ne haïssait pas. Du moins il n'y avait rien... jusqu'à maintenant.

          

          

     

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⏰ Dernière mise à jour : Nov 06, 2016 ⏰

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