Prologue: La Traque:

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Elle était poursuivie.

Elle était poursuivie et elle courait pour sa vie.

Des larmes de terreur coulaient abondamment sur son visage Parfait, faisant couler les enchevêtrements complexes de lignes de khôl indiquant son rang.

Un rang que les plébéiens n'étaient pas sensés oublier... Et pourtant... Et pourtant, aujourd'hui, perdue dans les émanations mêlées d'urine et de produits toxiques, elle courait pour sa vie.

Dès l'instant où elle était entrée dans cette ruelle, accompagnée de ses esclaves, la vermine rampante qui tenait lieu d'habitants à cette partie de la Ville aurait du, comme un seul homme, s'agenouiller pour venir baiser ses pieds... Pieds qu'elle avait si parfaits. 

Elle les aurait repoussés, bien entendu, et, assistant au spectacle du haut de sa litière, elle aurait regardé avec délectation son contremaître infliger à ces insectes la morsure de son électrofouet...

Au lieu de quoi elle n'avait récolté que regards suspicieux et rictus en coin. Cela avait eu tout d'abord comme effet de provoquer en elle une rage intense, elle aurait voulu voir leurs têtes, empalées sur les remparts de la citée haute...

Mais dans les bas- fonds tentaculaires de la Ville, il était dit que ces êtres inférieurs étaient d'une autre trempe que ceux qu'elle rencontrait parfois, dans les niveaux mieux éclairés... Des siècles de mutations, de consanguinité et de clonages à répétition avaient fait leur affaire, et elle pouvait supposer que dès qu'elle ferait exécuter l'un de ces sauvages, la masse grouillante et vociférante de tous les clochards crasseux de cette ruelle se jetterait sur elle...

Et bien qu'elle fut armée et prête à se battre, elle n'était pas sûre d'en réchapper vivante. De plus, s'attirer l'hostilité de ceux qui survivaient ici ne faisait pas partie de son plan... elle était venue pour une raison bien précise... 

Et, alors qu'elle sentait sa détermination s'affermir et ses tremblements se calmer, ce fut l'enfer.

Un par un, les esclaves qui supportaient sa litière s'effondrèrent, le peu de peau qui leur restait sous leurs implants bioniques prenant des teintes peu naturelles, et enflant dans des proportions monstrueuses. Agité de convulsions atroces, son contremaître aussi, s'effondra, et elle put voir l'horreur: D'énormes cloques emplies de sang contaminé explosaient et déversaient leur infâme liquide sur les dalles d'acier du sol... Lorsque la réaction se termina, le corps exsangue du Semi-Parfait reposait au milieu d'une mare de liquide vital violacé, ses implants capitaux se vidant de leur substance réfrigérante.

"Misérables cloportes!" hurla-t-elle en s'emparant de son épée énergétique, "Vous paierez pour cet affront! Moi, Célexia, de la Maison  Durenfer, détacherais votre misérable tête de vos épaules! j'en fais le serment!" Elle sauta à bas de son promontoire fait de corps sanguinolents, et d'une simple pression, activa le tranchant de plasma de son arme, qui baigna la ruelle d'une lumière bleutée. à la vue de cette arme légendaire, tous les résidus humains, tantôt simples amas d'organes, maintenus par une armature d'acier et des pattes mécaniques arachnéennes, tantôt mutants immondes couverts de crasse, dont manquaient ici une jambe, une main, une partie du visage... Tous s'enfuirent par les innombrables ouvertures de la ruelle dans un vacarme assourdissant de cliquètements et de gémissements effrayés. 

Célexia comprit vite qu'il était peine perdue de les poursuivre, ils connaissaient bien mieux qu'elle cette partie de la ville... Elle se tourna vers ce qui restait de sa monture, et considéra les options qui s'offraient à elle... 

Quand soudain un mouvement furtif attira son attention dans la périphérie de sa vision. Brandissant son arme devant elle, aussi bien pour se défendre que pour s'éclairer, elle vit une silhouette sombre campée devant elle. Elle semblait étrangement bien proportionnée... comme si elle était Parf... non! impossible, se reprit-elle, pas dans un tel endroit.

"Qui êtes vous?" Prononça-t-elle d'un ton autoritaire, essayant tant bien que mal de ne pas laisser transparaître son malaise dans sa voix "vous ne semblez pas aussi dégénéré que la plupart des habitants de ce lieu" continua-t-elle " si vous me ramenez à mon palais, peut être envisagerais-je la possibilité de ne pas vous faire exécuter". L'inconnu se rapprochait de plus en plus, mais ses contours étaient indistincts, et Célexia ne parvenait toujours pas à  voir clairement à quoi il ressemblait...

L'homme, puisqu'il semblait en avoir la carrure, restait complètement muet. Agacée par ce comportement, la jeune Parfaite s'approcha de lui pour le menacer directement de son épée.

Grossière erreur. La distance entre elle et l'inconnu venait de se raccourcir de manière drastique...

Et elle put voir son visage.

Elle hurla de terreur, comme jamais elle n'avait hurlé auparavant. "Non..." elle s'effondra par terre alors que l'inconnu se rapprochait inexorablement... "Non!" Dans un suprême effort, elle parvint à se relever, et commença à courir pour sa vie.

Et elle était là, courant seule dans les ruelles étroites des tréfonds de la ville, plongeant parfois à mi-mollet dans des flaques de déchets industriels et de matières fécales, elle entendait le martèlement des pas de celui qui la poursuivait... parfois il lui semblait même sentir son souffle dans son cou...

Elle ne bénéficiait pas d'améliorations génétique ou bioniques lui permettant d'incroyables prouesses physiques: améliorations qui lui auraient permis de distancer son adversaire. Pour la première fois de sa vie, et très certainement la dernière, elle se maudit d'être une Parfaite.

Elle était épuisée, et la traque touchait à sa fin. Elle se retrouva finalement face à un cul-de-sac.

L'homme avait joué avec elle. Elle croyait lui échapper, mais il l'avait amenée exactement là où il le voulait. Elle était piégée, acculée contre ce mur, et Il se rapprochait. Le chasseur pouvait se délecter de sa proie. Alors qu'il dégainait deux lames énergétiques à lueur rouge, semblables à celle de Célexia, Il fit une pause.

Son épée toujours en main, la Parfaite ne pouvait pourtant plus bouger, paralysée par la terreur. C'était un mythe qui se tenait devant elle, un monstre. Elle entendit alors pour la première fois la voix froide et automatisée de l'homme, et sa vessie se vida. "Tu sera la première à mourir, Célexia, de la Maison Durenfer. Le règne des parfaits touche à sa fin, et j'y veillerais personnellement..." il leva bien haut son glaive, prêt à le rougir du sang la Parfaite. Avant même d'être décapitée avec fureur, Célexia perdit connaissance. Pour toujours.

L'inspecteur Terry Thunderblood, Semi-parfait, arriva sur la scène environ huit heures plus tard.

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