S'Aimer Pour Se Détester

Chapitre 2

Des éclats de rire parvenaient du fond de la classe. Cara et Kitty, toujours et encore hilares. Tout le monde se retourna pour admirer le spectacle. Elles étaient tristement barbouillées de fluos rose et bleu. Leur professeur de mathématiques soupira en voyant leurs idioties. Elles lui faisaient pitié, qu'allaient devenir ces pauvres jeunes filles ? Elles n'avaient rien dans le cerveau. Du moins, c'est ce qu'il pensait. Il est vrai que Kitty était de loin la plus demeurée de cette classe. Mais Cara, elle, était l'intelligence même. Tout était plans et tactiques, rien n'arrivait par hasard. Cara contrôlait tout ce qu'elle effleurait. 

On toqua à la porte. Derrière cette dernière, le proviseur, et un nouvel élève. Les yeux de Cara devinrent soudainement sombres et lumineux à la fois, à la vue du jeune homme, un trou noir de lumière, un éclat de nuit entre ses deux prunelles. Inspiration, expiration, rien de tout cela n'était prévu. Son cœur battait la chamade, sa peau virait au rouge coquelicot, ses yeux scintillaient. Durant un instant, elle était redevenue celle qu'elle était : Cara Van Marken.

Ses yeux ne se décrochaient de son regard. Quand allait-il la remarqué ? Elle, la fille qui avait révolutionné sa vie, c'est ce qu'il disait, Hugo. Enfin, avant qu'il ne la poignarde en plein cœur. Il tourna la tête vers elle. Un arrêt dans le temps. Tout ces moments passaient ensemble revenaient dans la mémoire de Cara, elle détourna rapidement les yeux, qui tombèrent aussitôt sur Alban. Lui aussi, cela faisait longtemps qu'elle ne lui avait pas adressé la parole. C'est lui qui l'avait consolé quand il était parti, il avait vécu l'histoire avec eux. Mais quelques mois plus tard, le tempérament nocturne et sournois de Cara avait pris le dessus. Il avait brisé des dizaines d'amitiés sans la moindre pitié. Elle s'était forgée une forteresse incassable pour résister à la tentation de pleurer ou d'éprouver quelconque sentiment amical ou amoureux. Elle était désormais réduite en poussière.

Alban la regarda d'un air compatissant. Ses lèvres se pinçaient, mais il tourna vite le regard. Cara ne s'était jamais sentie aussi seule et démunie depuis bien longtemps. Revoir Hugo après tout ce temps, c'était comme rouvrir la tombe d'un mort, c'était se remémorer des souvenirs enfouis, c'était retrouver le champs de bataille tel qu'on l'avait laissé, c'était souffrir à nouveau.

Il avait tellement changé, en même temps, deux ans en Australie, cela n'avait dut lui faire qu'un bien fou. Ses cheveux avaient enfin trouvaient leur place, finis les épis et les cheveux gras du bon vieux temps. Son style vestimentaire prenait de l'assurance, finis les sweatshirts trop grands et les joggings. Il avait grandi et s'était aminci, à moins que ce ne soit sa chemise moulante qui ne fasse cet effet prodigieux. Ou peut-être le slim bleu pétrole. Une chose est sûre, son sourire rayonnant de beauté était resté le même, intacte. Ce sourire qu'il lui avait fait tant de fois, rien que pour elle et pour personne d'autre.

"-Bon Hugo, je te propose d'aller te mettre au dernier rang à la dernière place libre, proposa le professeur."

Il traversa la pièce, entre les rangées, et dès qu'il effleura la table de Cara, elle ferma les yeux et inspira très fort. Il émanait l'odeur identique de ses années collèges, le meilleur parfum de cet univers. Elle s'était perdue des heures dans son parfum. Une senteur inoubliable, la senteur de sa jeunesse.

"-Il est craquant, chuchota Kitty à son oreille.

-Hein ? Euh oui ça va, répondit-elle, songeuse.

-Celui-là, il est pour moi."

Et à ce moment précis, elle revécut la même sensation qu'il y a quatre ans maintenant, le cœur qui se décompose et les larmes qui s'alourdissent aux creux de ses muqueuses inertes, un paysage devenant le vide et le néant, confusions exhumées de leurs catacombes.