7. Larmes salées et jalousie glacée

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L'atelier était plongé dans la pénombre, éclairé par une simple lampe à la lumière grésillante. Cela faisait au moins une heure que le dernier client avait quitté la boutique, mais ça ne dérangeait pas le moins du monde Jude de se tenir encore sur son lieu de travail. Au contraire, il aimait le silence rassurant de la boutique. Il s'affairait en fredonnant une chanson à moitié oubliée et laissait libre court à ses pensées. Un skateboard était posé sur la table en face de lui, éventré et démonté, et Jude cherchait à lui apporter des améliorations. Comment renforcer la stabilité de l'engin ? Il fut coupé soudainement de sa réflexion. Quelqu'un venait de frapper à la porte de la boutique malgré la pancarte qui indiquait clairement « fermé ». Jude releva la tête en se demandant qui cela pouvait bien être. Il ne réfléchit pas longtemps c ar une seule personne pouvait lui rendre visite ici à une telle heure : Vénus. Il sortit de l'arrière-boutique et alla lui ouvrir. Dès l'instant où son visage sortit de l'ombre, il sut que quelque chose n'allait pas. Son visage pâle était terne, ses cheveux étaient en pagaille et malgré le sourire qu'elle tentait d'afficher, il voyait bien qu'elle était rongée d'une angoisse dont il ne connaissait pas la cause.

- Salut Judie. Fit-elle.

Ce vieux surnom datait du jour où ils s'étaient rencontrés. Vénus s'était moqué de son nom et l'avait affublé de cet horrible surnom qui l'horripilait. Toujours à son aise, elle lui tapa l'épaule de manière amicale et sauta sur le comptoir pour s'y asseoir. C'était bizarre de la voir assise ici, à moitié dans l'ombre, alors qu'elle avait complètement disparu de la circulation depuis plus d'une semaine. Sa Vénus, sa partenaire de toujours, son inséparable amie, ne lui avait jamais rendue visite. Elle n'avait pas répondu à ses appels ni à ses messages, plongeant Jude dans une inquiétude qu'il tentait d'ignorer. Cela lui arrivait souvent de disparaitre quelque temps, mais d'habitude elle prenait au moins le soin de le prévenir ou de l'appeler. Il l'observa en silence, à la rechercher de quelque chose à lui dire. Il ne savait comment interpréter son long silence et cette expression indescriptible qu'elle avait au visage.

- Qu'est-ce qui ne va pas, Vénus ? finit-il par lâcher.

Cela crevait les yeux que quelque chose clochait. Elle passa une main dans ses cheveux et son sourire hypocrite s'agrandit. Elle lui cachait quelque chose.

- Un imprévu est survenu sur ma route. Un gros imprévu.

Il la fixa en fronçant les sourcils. Il n'avait pas besoin de mot pour qu'elle le comprenne. Elle poussa un soupir et baissa la tête vers ses genoux. Il vit son masque d'assurance se fissurer.

- Je... Je suis tombée en enceinte.

Il ouvrit la bouche, frappé par cette découverte. Il avait du mal à voir Vénus mère. Elle était son ami impulsive et imprévisible, pas une maman. Une fois de plus, il ne sut quoi dire. Il n'arrivait pas à être heureux pour elle. Il était comme un frère pour elle, et le rôle des frères est de s'inquiéter. Elle était tellement jeune. Les mains de Vénus serrèrent le bord du comptoir. Elle attendait visiblement une réponse, une parole, mais rien ne sortait de la bouche de Jude.

Alors elle craqua complètement. Elle se mit à pleurer, et sanglotant, lui expliqua :

- Je ne sais pas comment je vais faire Jude. J'ai déjà du mal à subvenir à mes propres besoins, alors une personne de plus... Je ne sais pas si je suis prête. Je voulais lancer ma propre boutique de bijoux, mais comment je vais faire avec un bébé dans les bras ? Ca contrarie tous mes plans. Je ne sais pas si j'ai les épaules. Je sais à peine m'occuper de moi-même. Je suis complètement perdue.

Elle enfouit sa tête dans ses mains pour pleurer de plus belle. Voir ses épaules se soulever et se baisser au rythme de ses sanglots brisait le cœur de Jude. Jamais il n'avait vu pleurer Vénus. Elle était toujours cette fille courageuse, qui prend tout à la rigolade et qui affronte les épreuves avec le sourire. Mais elle était devant lui, si vulnérable et si apeurée, que l'image souriante qu'il avait de son amie se dilua avec ses larmes. Vénus avait toujours pris soin de lui, elle avait été son ange gardien, et il comprit que désormais, c'était son tour de la prendre sous son aile et de la protéger du monde extérieur. Il s'avança jusqu'à elle, toujours en silence, ouvrit grand ses bras et l'attira jusqu'à lui. La jeune fille s'accrocha à son tee-shirt et trempa son épaule. Il frotta gentiment son dos pour tenter en vain de la consoler, cherchant les bons mots. Il était aussi désorienté qu'elle, et il avait peur de dire quelque chose qui ne ferait que redoubler ses pleurs.

AnomalieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant