Parfum

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L'odeur d'une avenue, d'une rue, d'une sortie de lycée, d'une façade embuée par les pots d'échappement. Le mélange addictif entre les respirations tumultueuses des fumeurs et le parfum de l'essence aux ailes noires s'évadant d'une auto. Tout cela parvient à mes narines à mesure que je marche, à mesure que le paysage en pelote se dénoue devant mon regard épinglé. Les lumières ont cessées de clignoter et de remuer leur ventre sur un rythme effréné de salsa, elles se reposent sur

le sofa qui garantit une vue imprenable sur le téléviseur, pendant que la journée, elle qui a dormi comme une marmotte toute la nuit est déjà au travail, dans une bulle de dossiers, de tableaux, de chiffres, ses yeux cachés par des lunettes rectangulaires, les rétines brûlantes devant l'écran de son ordinateur portable. Elle est la seule personne qui n'est pas un zombie dans ce studio construit pour deux personnes et qui doit en accueillir quatre. Sont écroulés : -sur le sofa : les lumières nocturnes 

- dans le lit défait : la nuit profonde et noire 

- dans la baignoire : l'aurore et sa coupe qui contenait jadis un cocktail orangé

- de l'autre côté de la table, derrière l'ordinateur : le crépuscule, le plus endormi des trois. Quand à l'horizon l'autoroute défile, endormie, les yeux maquillés de poudre orange et rouge, la forêt disparaît dans la sombre perspective d'une nuit approchant à grands pas. Des pas de géants, de pas de chevaux, des sabots sur du parquet, des jaguars au galop. Ses lèvres recouvrent le corps du jour, lui qui tombe si facilement sous le charme. Ensemble ils sont deux jeunes qui se donnent rendez vous l'après midi, sur des heures de cours. Ils escaladent le muret qui sépare leur lycée de la rue bruyante. Ils courent, leurs sacs légers comme des plumes leurs tapent docilement le bas du dos. Leurs mains fendent le vent sec, leurs joues rosées sont léchées par la brise. Après quelques rues et une avenue, ils trouvent l'entrée. Elle sort un trousseau de clé et en sépare une du groupe, la tend et la plonge dans la serrure rouillée du portail repeint. Il s'ouvre en grinçant, elle sacrifie quelque secondes pour le refermer. Ils courent jusqu'à la porte, l'ouvre violemment et jettent leurs sacs contre les meubles noirs de la cuisine éclairée par le soleil qui bâille. Les escaliers grincent, les jaguars galopent. Les vêtements gisent sur le parquet brun qui a envahit l'appartement le mois dernier. Deux corps nus parfumés par le crépuscule naissant, de la vapeur de désir qui enflamme la pièce. L'horloge fond et s'immisce entre les lattes bruyantes du lit. Les rideaux diaphanes s'envolent au gré du doigté du vent. Les oiseaux passent et s'accrochent aux branches de l'arbre qui cache les cheminées de l'immeuble triste d'en face. Leurs mains explorent les contrées pures de ces espaces colorés. Ils sont deux pots de peintures se renversant timidement dans un atelier. S'unissant derrière le dos du peintre frustré. Ses cheveux blonds se balancent dans la pièce, frappant son torse d'une plume jaune. Ses doigts fins agrippent ses hanches comme un pianiste jouant un rythme effréné. Les pumas rugissent, la jungle se tait. Des griffures rougies qui parsèment le dos, des langues entourées de crocs qui ouvrent les vannes des cascades. Des cris d'aigle dans des montagnes abruptes aux pans jonchés de coquelicot. La symphonie s'accélère, les contrebasses semballent. Il sort une cigarette de son paquet rouge et blanc. Il l'allume fébrilement, encore tremblotant. Elle s'en saisit et fait dormir sa gorge dans un drap gris. Dehors la lune sonne, les heures détonnent. La télé allumée du voisin crache sa lumière sur les feuilles de l'arbre. Leurs yeux de rapaces se fixent comme un bug informatique, un écran bleu qui ne prononce aucun mot. Ils s'endorment, le mégot écrasé sur la table de nuit, les mains posées sur les fesses et les joues rougies. 

PlumageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant