Expressive

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Cela durait depuis toujours.  Oui, enfin c'est l'impression que j'avais, puisque je ne me sentais vivante que depuis que ma main s'était saisie d'un crayon et qu'elle s'était mise à dessiner intuitivement.  Depuis ma plus tendre enfance, je me demandais ce qu'il manquait à ma vie, pourquoi étais-je si différente des autres enfants?  Jusque là, j'avais toujours fait en sorte que mes parents soient fiers de moi, sans vraiment me demander si je faisais quelque chose qui me plaisait.  La musique?  Oui, j'aimais bien ça, c'est vrai, mais je ne me sentais pas épanouie dedans.  J'en écoute en quasi-permanence sur mon MP3, qui doit être mon meilleur ami, mais je ne me reconnaissait pas quand mes doigts jouaient sur le clavier.  Je faisais cela pour rendre mon père heureux.  Mon père était pianiste profesionnel.  Après un accident, il est resté longtemps paralysé des bras, et lorqu'il eut récupéré l'usage de ceux-ci, des tremblements avaient fait leur apparition, laissant sa carière derrière lui.  Ma mère, Maman, est une personne extraordinaire et j'ai beaucoup d'affinité avec elle.  Chaque mardi et vendredi, en terminant mon cours de piano à l'Académie, je passais devant cette classe et faisait une pause devant la porte entrouverte, je regardais les enfants de mon âge dessiner tantôt calmes, tantôt déchaînés.  Parfois la dame venait m'ouvrir sans que je ne frappe et m'invitait à regarder de plus près, et parfois même, si il n'était pas trop tard, je m'asseyais et griffonnais quelques petites choses.  

Un jour, j'avais demandé à papa pour m'inscrire au cours de dessin.  Il avait refusé, s'était énervé, et nous n'en avions jamais reparlé.  C'est toujours de cette manière que nous "réglions" les problèmes à la maison.  Alors maman s'était arrangée en douce avec le directeur pour que je suive un cours tous les vendredi, à la place du piano.  Mais un jour, un an plus tard, il me trouva endormie sur mon piano très tard au soir, et là j'avais dû lui avouer ce qu'il se passait dans son dos.  Je ne pouvais pas garder un "top niveau" avec deux heures de leçon en moins, alors j'étais obligée de trimer à la maison.   Ce rythme de vie était devenu insupportable, et je ne pouvais continuer de cette manière.  Les années se sont suivies, et plus ma passion pour le dessin grandissait en moi, plus je m'éloignais de mon père.  

C'est sans doute pour cela qu'aujourd'hui ma relation avec les hommes est si compliquée...  

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