Chapitre 6

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Dans ma conception du mec ideal, je voyais, comme tout autre fille, un homme attirant, imposant, charmant, un homme attentionne qui n aura d'yeux que pour moi, un homme qui me ferait voir la vie de ses plus belles couleurs.
Mais au lieu de ca je voyais la face d Alex, claquant sa langue contre ses dents
Etre promise a Alexandre Murray, c etait un chatiment horrible.Qu ai je fait pour le meriter ?
Nos parents trouvaient mignon de parler de notre mariage, quand nous serions grands.
"C est une fleur tardive", disait ma mere.
Tardive,d accord, mais j aurais bien voulu savoir a quel point.
Quand Alex allait-il s epanouir, et pour devenir quoi?
Je ne le voyais pas un jour se metamorphoser en un Ryan Mathews, ni meme en un Luis Clark.Encore moins a temps pour m epouser.
Mais il y avait en moi meme une autre peur, pire que celle d etre promise a Alex.Quelque chose dont ma mere et mon pere ne parlaient pas.
Une phobie, une souffrance interieure que je m efforcais d enfuir au plus profond de moi meme, mais qui tombait  fulguramment sur moi,me rappelant l atrocite du destin qui m etait-peut etre reservé.
Au debut, quand les docteurs ont decouvert que Ian avait une dystrophie musculaire, ils lui ont fait subir beaucoup d examens, pas seulement a lui, mais aussi a Maman et a Papa.Le Dr Benedict a expliqué qu il procedait comme un detective, pour trouver d ou venait la maladie.
A l epoque, je n avais meme pas sept ans mais ca me semblait une tres mauvaise idee.Qui se soucait de savoir d ou ca venait?Voulait il accuser quelqu un?
Mais un jour, le docteur, comme s il n avait pas remarqué ma presence-ou me croyait trop jeune pour comprendre- il a expliqué quelque chose a ma mere.
Avec son air grave,et son regard doux et serieux qui evitait autant que possible de croiser son regard, il lui a dit que moi"l enfant de sexe feminin", j etait peut-etre porteuse de ce type de dystrophie musculaire.Maman pleurait et j etais contente qu elle pleure sur moi comme elle l avait fait Ian; puis, honteuse d etre contente,j ai pleuré aussi.
Le lendemain, j ai demande a Alex ce que voulait dire etre"porteuse".A son avis, cela signifiait qu un jour, mes enfants pourraient avoir la meme maladie qu Ian.Sur le moment, je ne me suis pas sentie vraiment concernee;avoir des enfants, c etait pour longtemps.
Alors j ai decide de ne pas m en preoccuper, mais c est reste comme un monstre tapi sous mon lit, surgissant a l improviste pour me foudroyer.
J ai fait comme d habitude : j ai ignoré le monstre,il s est eloigné et je me suis concentrée sur Alex-ce qu il etait nul d avoir apporté son phoque au college!
En pensant a tout ca, je me suis dirigée vers ma classe, le cours de dessin etait fini, ca ne valait pas le coup d y retourner.J ai fait un detour par le batiment de l ecole primaire, pour passer dire bonjour a Ian dans la salle d education specialisee.
-Tu vas ou?me demanda Alex, me boitant le pas.
Je l ai ignoré.
-Voir le chef des extra-terrestres?
-Je n ai rien a voir avec votre jeu debile, le coupai-je sechement.
Il s est precipite a plusieurs foulees desordonnees pour venir a ma hauteur.Ce type n etait meme pas capable de courrir normalement.
-Si! Tu en fais partie! Tu es la princesse de la terre, fille du roi de la terre.Tu es prisonniere d extra-terrestres malfaisants dans leur vaisseau spatial.Notre mission est de te sauver.Ian n est pas un extra-terreste malfaisant, a-t-il precise.C est un gentil extra-terrestre.
-Naturellement.
La salle d educations specialisee etait dans le couloir principal de l ecole primaire,juste apres la salle de gym.Ian n etait pas en education specialisee, mais depuis qu il etait dans son fauteuil, il donnait un coup de mains au profs quand sa classe avait gym.
Ce n etait pas son idee a lui,au depart.Avant il allait en salle de gym, ou dans la cour avec sa classe, mais regarder les autres faire des roulades ou du saut en hateur...ca le rendait franchement malade.
Alors,mlle Jacobs, la directrice,avait suggere de passer son heure de gym aider les profs d education specialisée.Au debut ca m avait paru suspect, je me demandais si ce n etait pas une strategie de sa part pour habituer Ian a etre avec les handicapés.Quant a Ian...il avait deteste cette idee.Mais Mlle Jacobs avait passé un marché avec lui: il n avait qu a essayer une fois et, si il ne se sentait pas a l aise, il pourrait arreter.
En fait, decouvrir qu il pouvait aider les enfants handicapés a fait enormement de Ian.
Et,des le premier jour, il a dit a Mlle Jacobs qu il n arreterait pour rien au monde.Elle a ete tres fiere de lui, et moi aussi.
J en ai conclu par ailleurs que Mlle Jacobs etait sans doute la directrice la plus douée de tous les temps.
Alex est reste sur mes talons jusqu a la salle d education specialisee.La gorge seche, l estomac retourne comme si je sautais dans le vide,j ai risque un coup d oeil par la porte vitree.Cette classe me faisait un drole d effet.Pauvres petits,avec leurs casques, leurs visages baveux, et leurs fauteuils roulants...comme celui de Ian.
Mme Ruffier m a fait un signe de la main pour me saluer; la remplacante qui avait fait jouer Alex au basket-ball en 7eme etait devnue prof titulaire d education specialisee.Elle avait beaucoup appris entre temps.Je crois que c etait en partie grace a nous.
Elle a tape sur l epaule de Ian et m a fait signe d entrer.Au bruit de la porte,tous les enfants se sont retournes, sauf Timmy,qui est malentendant.
-Bonjour,Sam!
-Bonjour Mme Ruffier.
C etait une piece claire et coloree,avec des jouets partout.
L autre prof,Mme Martin, m a souri.Avec son air de Mere Noel,elle disposait des cookies sur un plat,pour le gouter.
Une gamine,en fauteuil roulant comme Ian, fredonnait un air guilleret.Je me suis sentie completement deprimee.
-Qu est ce que tu veux?m a demande Ian en roulant vers moi.
-Rien,juste te dire bonjour.
-Bonjour.
-Bonjour.
Pendant un moment, je n ai rien trouve d autre a dire.Puis on a entendu un bruit strident.
Tout le monde a sursaute,meme Timmy.
Devant les baies vitrees,un garcon, le crane enserre dans un casque de protection, emettait un son terrifiant, qui tenait a la fois du sanglot et du croassement.Il se tortillait et sautillait dans tous les sens, comme s il dansait.
Le vacarme qu on avait entendu, c etait une pile de cubes qu il avait balayee d un revers de la main pour les jeter par terre.Ensuite il s etait mis a se cogner la tete contre le rebords de la fenetre.
-Oh,mon Dieu!...
J avais envie de me sauver,mais j etais figee sur place.Ian m a pris la main.
-Ca va...C est Jeffrey...il fait ca regulierement.
Abandonnant ses cookies,Mme Martin s est precipitee sur Jeffrey.Mme Ruffier etait deja pres de lui.Je me demandais pourquoi elle ne jetait pas simplement ses bras autour de lui en lui disant d arreter.Au lieu de faire ca,elle se depechait de tout ecarter de son passage,en particulier les autres enfants.Mme Martin parlait doucement a Jeffrey,mais il n avait pas du tout l air d ecouter.Il continuait a courir dans tous les sens en se cognant la tete.
-Ca va, m repete Ian, d une voix de grand frere plutot que de cadet.Mais je crois que tu ferais mieux de partir.
J ai hoche la tete en resserant mes doigts autour de sa main,puis j ai quitte la salle a reculons,laissant mon frere au milieu de tout ca.Maintenant, Mme Ruffier aussi parlait a Jeffrey, et la petite fille en fauteuil roulant chantonnait toujours.
Alex etait reste sur le seuil.Il avait tout vu.Il a voulu me dire quelque chose mais,sitot la porte fermee derniere moi, j ai couru de toutes mes forces, et c est seulement quand j ai atteint les portes metalliques au fond du couloir et debouche en plein soleil que je me suis rendu compte que je sanglotais.
J ai senti mes genoux se derober sous moi et je me suis laissee tomber dans l herbe.Deja,Alex etait reste a mes cotes.
-Ne pleure pas,Sam.Ca ne dure pas longtemps.
J ai leve mes yeux larmoyants vers lui:
-Ca dure toute une vie.
Nous ne parlions pas de la meme chose.La crise de Jeffrey,son attaque,enfin peu importe comment on appelait ca, c etait bien sur deja fini.Mais sa maladie,son casque de protection...Pour Jeffrey et sa famille, ca durerait toujours.
-Je vois ce que tu veux dire, a repondu Alex en s asseyant a cote de moi.
Assez etrangement, je me suis surprise a penser que le tiede soleil d Octobre aiderait a secher ce pauvre Cecil.
-Je trouve incroyable, bredouillais-je entre mes larmes,
que Ian doive cotoyer tout ca.C est si...pitoyable.
Je me suis rendu compte que je pleurais plus sur Ian que sur Jeffrey.
-Il n a que neuf ans.Et Timmy...quel age a-t-il?Six ans?Et ce Jeffrey,qui est plus vieux que nous!...
Je me suis laissee allee en arriere dans l herbe,les yeux clos.
-Tout ca se melange dans ma tete.
Sous mes paupieres, j ai senti qu un nuage venait de masquer le soleil.J ai pense a Cecil,prive de sa nageoire...Dans le monde des animaux en peluche,etait il candidat,maintenant, a l education specialisee? Ce n etait qu une pensee superflue qui errait parmi d autres dans ma tete ou tout se melangeait.
Mes larmes coulaient toujours.J ai senti sur mes paupieres l eclat du soleil revenu.Puis, sur ma main, quelque chose de doux et d humide,comme une serviette mouillee.Les pas d Alex ont bruisse l herbe.J ai entendu les portes mettaliques s ouvrir, se refermer.En ouvrant les yeux, j ai vu qu il m avait laisse Cecil.Je l ai pris dans mes bras,ce pauvre phoque aveugle et unijambiste.Et, dans la clarte du soleil, je me suis dit que Cecil avait peut etre, en cet instant,besoin de moi autant que moi, j avais besoin de lui.

La fleur tardiveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant