Petit animal blessé

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Chapitre 01

- Mademoiselle Smith ? Vous m'entendez ?

Oui je vous entends. Mais ça bourdonne alors si vous pouviez parler ne fût-ce qu'un tout petit peu moins fort.. Ce serait bien gentil, merci.

- Mademoiselle Smith ?

C'est moi.

- Vous m'entendez ?

Je vous ai déjà répondu me semble-t-il. Et je vous ai demandé aussi de parler moins fort, vous vous souvenez ? Non probablement pas puisque vous criez toujours autant.

- Allez-y doucement, n'essayez pas de bouger trop vite.

Qui a dit que je voulais bouger ? Je suis trop bien mise dans mon lit et je n'ai aucunement l'intention de bouger, pas même le petit orteil.

- Mademoiselle Smith, pouvez-vous ouvrir une paupière ou nous faire un signe pour nous montrer que vous nous entendez ?

Pardon ?

- Mademoiselle Smith..

Oui ça va, j'arrive. Qu'on me fiche la paix une fois dans ma vie svp..
Je tente d'ouvrir une paupière et une lumière blanche aveuglante m'intime immédiatement de la refermer.
Qu'est-ce que c'est que ce délire ?

- Allez-y doucement, ne vous pressez pas.

Non ça c'est sûr. Je prends le risque de réessayer d'ouvrir mon oeil gauche à nouveau. La lumière est toujours aussi vive mais je parviens à distinguer quelques formes floues avant qu'il ne fasse à nouveau nuit noire.
Visiblement, c'est mon anniversaire.
Il n'y a jamais eu autant de monde dans ma chambre rassemblés autour de mon lit ! Par contre j'ai pas encore vu le gâteau, je suis sûre que c'est celui avec les petites framboises gelées dessus qui croquent sous la dent : un pure délice.
Il n'y a que ma mère pour cuisiner si bien les gâteaux. Dès qu'elle peut, elle cuisine quelque chose de sucré afin d'engraisser mon père et moi, qui sommes visiblement ravis de cette explosion de saveurs sur la langue.
Je rouvre mon oeil un peu plus longtemps cette fois, pour voir qui est venu me souhaiter bon anniversaire.
Sauf qu'à la place de ma famille et de mes amis, je ne vois que des inconnus.
Dans une chambre - moche - qui n'est pas la mienne. Et, détail troublant, ni gâteau à la framboise ni cadeaux multicolores.
Juste des gens en blouses vertes qui m'observent comme si j'étais un petit animal blessé.
Une jeune femme blonde note pleins de trucs super vite sur un carnet blanc. Même mon père qui est écrivain il n'écrit pas aussi vite j'en suis persuadée.

- C'est bien mademoiselle Smith, vous êtes courageuse.

Ce n'est pas aussi gratifiant que "bon anniversaire ma petite louloute adorée" mais c'est déjà pas si mal.
Je me tourne vers la personne qui m'a dit ça. C'est un homme d'âge mur, vêtu avec la même blouse verte sans forme que ses amis - quel effet de mode ridicule - qui me tient le bras droit avec un sourire qui se veut probablement rassurant mais qui est aussi inquiétant qu'une tartine sans nutella au petit déjeuner.

- Détendez-vous, respirez calmement.

Ils sont 5 autour de moi. Quatre femmes et l'homme qui me demande de me reposer. N'est-ce pas lui même qui m'a reveillé il y a moins de trois minutes ? Ah oui mais non mais les hommes sont vraiment trop indécis dans cette société qui part en vrille (pour être polie). Ils changent d'avis comme de femmes, allez est-ce que cela se fait ?
Je suis d'avis que non, comme ça tout le monde est au courant.
Je décide de me rendormir comme ça si lui n'est pas content, moi je le serais.
Et que lorsqu'on me réveillera à nouveau, que l'un de mes admirateurs de chevet se souvienne que c'est mon anniversaire et me témoigne donc ses meilleurs voeux.

- Mes sincères condoléances ma petite.

Ce n'était pas vraiment ce que je m'attendais à entendre mais c'est déjà ça, on se rapproche de la phrase attendue.

- C'est une étape difficile à passer mais nous sommes sûrs que tu es assez forte pour surmonter ta peine et avancer dans la vie.

Certes.
Mais de quoi me parlent-ils ?
Ces gens me fatiguent. Comme si j'avais les idées assez claires au réveil pour résoudre leurs énigmes aussi ridicules que leur tenue.

Un chuchotement à ma gauche traverse l'air au-dessus de mon lit :

- Elle n'a pas l'air de se souvenir...

Non c'est vous qui avez oublié mon anniversaire. Enfin soit : je ne veux même plus vous l'entendre dire, c'est trop tard, fallait y penser avant.

- Mademoiselle Smith..

J'ouvre les yeux à nouveau et regarde la fille qui prenait des notes façon TGV tout à l'heure. Elle semble hésiter sur ce qu'elle va dire. Elle se mord la lèvre inférieure et m'offre un petit sourire venimeux - du genre faux-cul mais pas trop quand même, juste comme il faut.
Elle finit par se décider à me raconter son histoire :

- Je suis désolée de vous dire ce que je vais vous dire mais il va bien falloir que vous l'appreniez un jour et le plus tôt sera le mieux.

C'est là qu'elle me dit bon anniversaire et m'offre mon cadeau. Aaah ben nan, faux espoir, elle recommence son discours mélodramatique :

- Vous étiez dans la voiture de vos parents sur une autoroute quand un camion a renversé son chargement sur la chaussée et votre père n'a pas eu le temps de freiner. Votre voiture a foncé dans le chargement - des dalles en pierre - vos parents sont décédés sur le coup. Vous vous en être sortie avec très peu de séqueles, votre ceinture de sécurité a rempli sa fonction. Vous êtes restée endormie pendant deux jours et vous voilà enfin réveillée et de retour parmi nous !

C'est une blague...

- Vous avez quelque chose à dire mademoiselle Smith ou vous préférez qu'on vous laisse digérer la nouvelle ?

Je laisse le silence s'emparer de ma nouvelle chambre avant de répondre, d'une voix enrouée :

- Visiblement, ce n'est pas encore mon anniversaire...

Avant de fondre en larmes et de virer tout le monde de la pièce.

Last ChristmasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant