Le signe de l'Infini

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Chapitre 02

- Tu penses que tu vas prendre quoi avec toi ?

- Je ne sais pas encore.

Je resserre mon bonnet contre mes genoux et laisse fuir mon regard par la fenêtre. Les maisons défilent, décorées de guirlandes clignotantes à l'occasion de la fête de Noël qui approche.
Nous entrons dans ma rue. La camionnette passe devant le petit square qui fait l'angle et dans lequel j'ai passé probablement les meilleures années de ma vie avec mes potes d'enfance.
Mes potes d'enfance... Ils vont tellement me manquer eux aussi.

- C'est comment encore le nom du bled dans lequel je dois aller ?

La dame du service social esquisse un sourire avant de me répondre :

- Kenningston Village. C'est une petite banlieue dans le nord du Minnesota.

- Ah bon, à l'hôpital ils m'ont dit que c'était dans le Sud, un nom genre Lunas Town..

La dame hausse les épaules et esquisse à nouveau un sourire avant de me dire :

- Nous y voilà, c'est bien ici ?

Je hoche la tête pour simple réponse.
Lorsque la vieille camionnette se gare dans l'allée, j'ouvre la portière et cours jusqu'à la porte d'entrée, glisse la clé dans la serrure et monte les escaliers à toute allure avant de me jeter dans mon lit en désordre et de fondre en larmes dans mes coussins.
Comment une vie peut-elle voler en éclat à ce point ? En si peu de temps ?
Comment peut-on se retrouver orpheline et sans famille à seulement seize ans ?
Et qui est cette Tracy Blacksteel qui est soi-disant la meilleure amie d'enfance de ma mère et chez qui je vais devoir aller vivre ? Je n'ai même jamais entendu son nom durant ma courte existence.
La voix d'Amy - c'est comme ça qu'elle s'est présentée quand elle est venue me chercher à ma sortie d'hôpital - résonne dans la cage d'escalier :

- Dana ? Il te reste une dizaine de minutes, ne traine pas trop !

Danae, je m'appelle Danae..
Je sors la tête de mon coussin. En temps normal il serait taché de mascara après un tel déluge mais je n'en ai même pas eu à l'hôpital, je suis vêtue des mêmes affaires que le jour de la mort de mes parents.
À cette idée affreuse, je me déshabille complètement et me plante devant ma garde robe. J'y sors un jeans et un pull en laine à col roulé rouge que ma mère m'avait offert pour Noël il y a deux ans.
Je sors mon gros sac de voyage et le pose sur mon lit.
Je prends un peu tout et n'importe quoi et fourre tout dedans. Des vêtements, des livres - beaucoup de livres - des vieux dessins, des bics, de la nourriture et l'album photo de la famille.
Puis je descends dans le salon et contemple quelques secondes le sapin de Noël éteint, trônant à côté de la cheminée garnie de chaussons rouges et blancs et de guirlandes colorées.
Le feu dans l'âtre est éteint aussi, ce qui est pratiquement impossible dans notre maison en hiver.
Je traverse mon salon et contemple la photo de mes parents dans un parc, le jour de leur mariage. Ma mère pose dans une longue robe blanche en dentelle et mon père se tient fièrement à ses côtés dans son costume trois pièces noir.
Leurs sourires vont me manquer..
Amy se tient appuyée au chambranle de la porte et feuillette un bouquin qu'elle a trouvé sur la table en bois du salon.

- Tu as pris tous tes trucs ? me demande-t-elle sans relever le menton.

Pour toute réponse, je vais jusqu'au buffet et ouvre un des tiroirs en bois. J'y sors une boite à bijoux rose qui contient les petites merveilles que mon père offrait à ma mère pour les grandes occasions.
Je saisis un pendentif en argent au bout duquel brille le signe de l'infini et l'attache à mon cou.
Je remets le coffret à sa place et me recule en tentant d'absorber chaque détail de ce qui ne sera plus jamais mon salon.
C'est horrible de se dire que tout ce qui ne sera pas emporté maintenant ne le sera jamais et sera offert à des oeuvres caritatives faute de descendants capable d'organiser des ventes.
J'aimerai tellement emporter tout ça avec moi, les meubles mais pas seulement. Les souvenirs et les odeurs aussi. Les soirées d'hiver devant la cheminée en famille, les parties de cartes au nouvel an.. Tout ce que nous avons partagé dans cette maison et que je suis la seule à pouvoir sauvegarder. Pourquoi la maison va-t-elle être vidée ? Pourquoi ne pas attendre mes dix-huit ans et me la léguer ?
Ces histoires d'adultes ne me plaisent pas. Cette histoire ne me plait pas. Et ma situation ne me plait pas.
Me coupant dans mes réflexions, Amy remet le livre sur la table en bois et m'indique d'un geste qu'il est l'heure de partir.
Elle sort déjà et me laisse seule dans l'immense salon familial.
Mon regard est attiré par un petit paquet rouge et doré posé au pied du sapin. La tradition à la maison veut que les cadeaux soient mis au pied du sapin dès le 7 décembre, le lendemain de la Saint Nicolas. Étant donné que nous sommes le 16, nos cadeaux sont déjà mis sous le sapin. Je vais vite attraper le mien, le fourre dans le sac de sport et vais retrouver Amy qui met le moteur en marche depuis la vieille camionnette blanche.
Lorsque je referme la portière elle me sourit et s'exclame gaiement :

- En route pour Westchurch Gare mademoiselle !

Last ChristmasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant