Lévia-Temps

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Ce jour là, le ciel exprimait son mécontentement en un violent rideau de pluie. Il déversait son flot de tristesse, dans le but de réparer nos âmes abimées. Personne ne lui avait soufflé que cela était inutile, il n'en aurait pleuré que d'autant plus. L'Homme percevait la chose d'un œil mauvais, et renversait sa dose de haine sur tout réceptacle croisant son chemin, un surplus de noirceur ne faisant qu'augmenter la leur. C'est dans ce triste univers que progressait Tancrède, un jeune lycéen offrant son cœur à quiconque voudrait le contempler. Tancrède parcourait les couloirs, en quête d'un être capable de le guider à travers ce labyrinthe comminatoire. Tout était nouveau pour lui, tant l'établissement que les multiples visages défilant devant ses yeux ébahi. Tancrède était d'une naïveté à couper le souffle, et ne voyait pas plus loin que le bout de son nez. Ainsi, le jeune homme voyait l'humain comme il se percevait lui-même : aimable, sincère, serviable. Il ne percevait rien de plus, ou tout du moins, il ne tenait pas à voir autre chose.
Il se dirigea alors vers un garçon qui semblait avoir son âge, et l'apostropha. Ce dernier, jusqu'ici entièrement plongé sur son Smartphone, daigna lever les yeux vers le jeune garçon s'avançant timidement vers lui.

- Excuse-moi de te déranger, je suis nouveau ici, et je ne parviens pas à m'orienter correctement...

L'orage se mit à gronder dans son dos, en écho à ses anodines paroles. Le couloir fut inondé d'un rayon de lumière translucide, fantomatique. L'espace d'une fraction de seconde, Tancrède eut l'impression d'avoir été immergé dans un film en noir et blanc. Il avait entrevu les coins et les parois de la fine pellicule dévorée par le temps. Il avait cru se perdre dans les méandres du temps, perdu et enseveli par les images se succédant les unes après les autres. Puis, tout redevint presque normal, il ne subsistait plus que le trouble du jeune homme, celui-ci étant plus perspicace encore.

- Tu es nouveau ? C'est vraiment étrange, le nombre de nouveaux arrivants a considérablement augmenté cette année. L'année passée, le lycée était presque vide. Enfin, je suppose qu'ils sont parvenus à mieux vendre leur image cette année que les années précédentes...

Ne sachant que répliquer, Tancrède se contenta de souffler d'un air se voulant jovial :

- Sûrement...

- Je m'appelle Lak. Je pourrais te guider, ainsi que...

Nouvel éclat de tonnerre, plus fort, cette fois. Le ciel voulait faire passer un message aux mortels, c'était une certitude, désormais. Mais Tancrède, obnubilé par sa rencontre, ne l'écoutait plus.

- ...Te faire rencontrer de nouvelles personnes.

Le dénommé Lak souria de toute ses dents et
tendit sa main vers l'adolescent innocent. C'était un pacte avec le diable en personne, lui faire confiance revenait à s'oublier soi-même, à accepter de tout perdre pour mieux se dévouer aux désirs de l'autre. C'était du suicide. Mais, après tout, Lak était un humain, comme lui, alors pourquoi s'en méfier ?
Tancrède tendit alors sa main à son tour, et resserra son emprise autour de celle de son nouvel allié.

Un éclair foudroyant sembla alors s'acharner sur le corps du pauvre Tancrède, résonnant partout à l'intérieur de lui. La douleur l'aurait plaqué au sol, si la main de Lak n'était pas liée à la sienne, l'empêchant de sombrer pour de bon. Un poison semblait circuler dans tout son corps, léchant ses entrailles, dissolvant ses organes un à un. En un mot, il agonisait en silence. En effet, plus aucun son ne pouvait sortir de sa gorge. Son âme criait, son cerveau hurlait, son corps se taisait. Son cœur était perdu et affolé. Hors, sa confiance en Lak demeurait intacte. Confiance qui commença à s'effriter lorsque, relevant les yeux vers lui, Tancrède vit le visage du diable. Tandis que la douleur s'affaissait, la peur, elle, augmentait considérablement.
Disparu, le visage angélique du gentil Lak, perdu sa voix rauque sans l'être trop, adieu l'humanité et les valeurs imaginées. En face de lui, le garçon qu'il pensait connaître, bien qu'il vienne de le rencontrer, était tout autre. Il avait troqué sa peau mâte et hâlée contre une peau d'une pâleur alarmante. Ses cheveux noirs avaient pris plusieurs centimètres et s'étalaient sur tout son visage, en plusieurs mèches rebelles. Ses yeux n'étaient plus que deux fentes perfides, sa bouche sanguinolente semblait avoir été créée à la pointe d'un couteau aiguisé, et s'élargissait en un rictus cruel et démoniaque. Le démon avait une posture tordue et incertaine, et, tandis qu'il mettait un pied devant l'autre, Lak lâcha la main de Tancrède en un ultime coup de tonnerre.

Une fois ce macabre contact perdu, la réalité rattrapa le jeune garçon. Lak était redevenu Lak. Peau hâlée, visage accueillant-peut-être un brin manipulateur- voix rauque nous poussant à croire en cet aspect protecteur, cheveux noir désordonnés.

- Ravi de te rencontrer, Tancrède. Je suis sûr que nous allons très bien nous entendre, toi et moi. Lâcha ce dernier d'une voix posée.

Lak progressa alors dans le labyrinthe, et, malgré son changement d'apparence, Tancrède ne pouvait s'empêcher de revoir la démarche funèbre de son alter-ego, son visage cireux, son sourire charognard. Longeant les murs les uns après les autres sans accorder d'attention au monde qui l'entourait, Tancrède ne fit pas immédiatement attention à l'inscription qui ornait l'un des murs, jusqu'à lors immaculé, du hall. Il leva les yeux machinalement, et, effaré, lu ces quelques mots qui le marquèrent à vie :

« Aujourd'hui, tu as pu contempler le diable de tes propres yeux. Hors, peux-tu certifier que ta propre apparence est restée intacte ? L'homme est le pire de tous les démons, ne l'oublie jamais, Tancrède... »

Une poignée d'étoiles... Where stories live. Discover now