Une poignée d'étoiles...

Effet-mer.

Les perles d'eaux roulaient sur sa peau fine et diaphane, telles un diadème aux milles joyaux. Et, sa nageoire cristalline se mouvant au gré de l'eau, la sirène dérivait habillement. Sa crinière de feu semblait être taillée dans le plus majestueux des feux célestes. Elle avait des comètes au fond des yeux, de l'or liquide coulait dans ses veines. La créature était embaumée de la plus douce des auras. Cependant, aujourd'hui était jour de traque. Elle pouvait le ressentir du plus profond de son être, ça frétillait, comme un milliard de bans de poissons argentés, ce besoin d'arracher de l'air. Le mystique appel du vent, cette pulsion naturelle de respirer du plus profond de ses poumons. Et puis, cette envie de chair, dissimulée un peu plus loin. C'était irrésistible, irrépressible.
L'eau se troublait déjà, en surface. Comme à son habitude, la divine sirène percevait la présence d'un navire, juste là, à quelques mètres. Son instinct l'avait bien guidé. Plissant alors ses yeux clairs, agitant la nageoire avec empressement, elle remonta vers la surface, et s'agrippa à la coque en un bond habile. Bientôt les voix humaines fusèrent, comme à l'habitude.

-Regardez ! Bon sang... c'est pas vrai ! Une sirène, en chair et en os !

Elle ne sourcilla pas. Soulevant sa longue chevelure avec élégance tout en dégageant sa peau pâle et luisante, elle entoura l'ensemble de l'équipage de son regard de braise. La créature ouvrit la bouche, prête à entamer sa furieuse et limpide chanson mortelle.
Quand soudain, alors que la mélodie allait franchir la barrière de ses lèvres, un son distordu et maladroit emplit l'espace. Surprise, la sirène fronça les sourcils, et tourna la tête vers l'auteur de cet outrage. Un adolescent charmant entamait une horrible mélodie à la flûte, qui, à en entendre les réactions de ses camarades, ne contentait nullement l'équipage. Cependant, les yeux de tous n'étaient plus rivés sur l'ensorcelante sirène, mais sur l'étrange garçon qui jouait. S'en était intolérable. Intriguée mais poussée par la chasse, la sirène poussa sur ses cordes vocales, mais cela ne fut nullement suffisant pour recouvrir la mélodie du matelot. Vexée, elle serra alors les poings. Cet humain n'était qu'un effronté. Audacieux et étrangement charismatique, mais effronté. Elle leva les yeux vers lui, et, à sa grande surprise, le garçon aussi avait les yeux plongés dans ceux de la créature aquatique. Il lui offrit un sourire éclatant, bien heureux de contrecarrer ses plans. Il ne semblait pas même impressionné. Et alors, l'impensable se produit. La mélodie s'échappant de l'instrument tenu par le garçon devint plus agréable, plus maîtrisée. Et, quand l'adolescent ténébreux ouvrit la bouche pour dévoiler sa voix, le cœur de la sirène failli éclater. Il avait une voix magnifique, plus belle encore que tout ce qu'elle avait pu entendre, dans son monde de silence sous-marin. C'était comme une bourrasque qui l'emportait. Et, sans même comprendre pourquoi, elle sentit son corps glisser vers lui, son âme même semblant avoir été agrippée dans ses filets. Sa queue turquoise étincelante glissait sur le bois humide de la coque, d'abord lentement, puis avec plus d'insistance. L'adolescent chantait toujours, et le coeur de la femme poisson bondissait. Alors qu'elle gisait à ses pieds, la femme releva la tête, son cœur lui appartenant. Les lèvres fines et si délicatement rosées du garçon l'attiraient bien plus que de raison, et c'était comme si son esprit avait été débranché, sa raison déconnectée. Et puis, la douleur. Sa cage thoracique la brûlait, comme si des coups de canons étaient tirés et pulvérisaient ses os. Sa gorge sembla rétrécir, alors que son coeur continuait de s'emballer. Ainsi retirée de l'eau des océans depuis trop longtemps, la sirène ne parvenait plus à respirer. Elle leva les yeux vers le marin, ne comprenant plus rien. Il lui adressa un clin d'oeil malicieux, son sourire resplendissant ne le quittant pas, alors qu'il continuait de chanter.
Et, alors qu'elle commençait à perdre pied, à sentir sa vue se troubler, une volute d'air la ramena. Elle cligna des yeux, hébétée. Le garçon était là, sa bouche contre la sienne, à lui insuffler de l'air. Pourquoi ? Pourquoi la ramenait-elle, alors qu'elle était si proche du vide ?
Elle se sentait comme sur un nuage, à sentir sa chaleur, sa chair au goût salé.

-Que vais-je bien pouvoir faire de toi...? Susurra-t-il d'une voix rauque.

Elle n'eut que le temps de relever les yeux vers le mât du bateau, avant que son destin ne soit scellé. Sous les caprices du vent, un drapeau s'agitait. Sur celui-ci, une sirène était représentée, au centre d'une cible rougeoyante. Ils l'attendaient...

-Ne soyez pas trop dur avec elle mon capitaine, ça doit être la première fois que cette tueuse se retrouve confrontée aux chasseurs de sirènes !

Aux chasseurs...?

Le garçon se releva, portant la sirène à bout de force dans ses bras puissants. Puis, contemplant son visage d'un air énigmatique, il souffla:

-Non. Non... Je ne serais pas trop dur avec elle. Je lui réserve un sort tout particulier.

Et la sirène ne savait plus quoi penser. Elle se laissa emporter dans le roulis des pas de cet inconnu, les yeux fermés.