NOUVELLEMENT NÉE

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    J'ouvre dans un lent mouvement mes paupières encore lourdes de sommeil et laisse mes pensées virevolter au gré du vent et des battements lents et réguliers de mon cœur : boum, boum, boum... Je respire et entrouvre plus largement mes yeux. je suis dans le noir, un noir sombre, opaque, à travers lequel nul personne ne pourrait envisager d'observer l'horizon. Pourtant, en une fraction de seconde, mes pupilles commencent à discerner des formes, puis des couleur et enfin, c'est un paysage complet et détaillé qui s'affiche modestement devant moi. Je fais un rapide état des lieux qui me conduit en un temps record à reconnaître ma chambre sous ce noir manteau nocturne. Je caresse d'une main légère l'objet sur lequel je suis allongée et reconnais au doux touché du plaide ma source de quiétude dans cette veste et lugubre demeure. Il s'agit d'un matelas disposé devant l'imposante porte fenêtre blanche donnant sur la forêt et sur laquelle courent moult verdures s'échappant de pots multiples et formant une magnifique couronne de fleurs aux couleurs pastelles.

Alors que je médite sur le rêve que je viens de faire, je sens la couverture glisser sur mon corps jusqu'à ce que ma personne toute entière soit exposée à la fraîcheur de la pièce. Je rêve ou on vient de me piquer ma couette ? Je ne tourne paresseusement vers la droite pour démasquer l'auteur de ce "crime odieux" et j'aperçois Juliette. 

Ses cheveux blonds et bouclés sont étalés en auréole autour de son visage endormi sur lequel sont imprimés les draps.  Sa main se déploie juste sous mes yeux, face au plafond. Un pansement brunâtre repose au centre de sa paume laissant apparaître, par intermittence, une entaille rougeoyante à peine cicatrisée. Ce n'était donc pas un rêve... J'observe pendant un temps qui me parait interminable cette personne qui a toujours veillé sur moi, je regarde ses traits fin et tendre et lentement, comme une fraîche et chatouilleuse brise matinale, les remords font surface. Comment ai-je pu faire une chose pareille ?  Je passe ma main sur sa joue et elle gémit dans son sommeil. Un étaux se resserre sur mon cœur et c'est l'esprit très préoccupé par les différents moyens de me racheter que je me dirige vers l'immense fenêtre aux parures colorées dans l'espoir de me rafraîchir les idées. 

Sans prêter attention à la chaleur accablante qui s'échappe des multiples fissures dans les volets, j'ouvre à deux mains ceux-ci. Les rayons solaires, particulièrement puissants, entrent dans la chambre. Je sens les fils majestueusement dorés brûler ma peau. Ils pénètrent chaque couche de mon derme et de mon épiderme poursuivant leur chemin destructeur à travers ma chair. Une puissante odeur de charogne se répand dans la pièce et je recule en titubant les deux mains sur le visage. Entre deux doigts ensanglantés j'aperçois Juliette se lever d'un bond pour fermer les volets mettant ainsi un terme à ma croissante agonie.  Je m'écroule à terre, en pleur.

Juliette allume la lumière et accourt vers moi. Elle s'accroupit lentement pour se retrouver face à la pauvre créature meurtrie que je suis devenue. Elle prend délicatement mes mains -pour ne pas faire pression sur ma chair à vif- et je vois son visage se décomposer à la vue du miens. Ça doit vraiment pas être beau à voir... Nous restons là quelques minutes, mains dans la mains, le regard fixe, dans le silence le plus complet.
Peu à peu, ma douleur s'estompe laissant place à un tiraillement désagréable dans la totalité de mon organisme. Ça gratte ! Ne sentant plus les mains de Juliette sur les miennes, je lève la tête vers elle. Elle a les bras le long du corps, le dos avachi et les yeux, vide de toute lumière, fixés sur ma personne.

- Qu'est-ce qu'il y a ? je lui demande en observant les alentours sans rien voir de suspect.

-Tu... Ça... Elle bégaye et butte sur les mots. Tremblante de toute part elle pointe son index vers mon visage.

Je palpe mon front,  mes joues et mon menton. Rien. Qu'est ce qu'elle a  ? Dans un violent sursaut elle recule et pointe un index tremblant sur mon bras gauche. Je lève celui ci à hauteur d'œil pour apercevoir la cause de cet incontrôlable trouble et ce à quoi j'assiste suffit à me couper le souffle. La couverture de chair sanglante recouvrant mon os et qui, quelques minutes auparavant, avait été retirée par le soleil se reforme regagnant ainsi son douillet emplacement.   Ça  cicatrise... En quelques secondes l'affreux orifice n'est plus qu'un lointain souvenir et seul le regard tremblant de Juliette peut attesté de son ancienne existence. Je remue les doigts. Ils se mouvent parfaitement normalement si l'on ne prend pas garde à la grâce fort inexistante de mes mouvements. Les abominables plaies qui, il y a une dizaines de minutes, recouvraient mon être ont cédé la place à une peau laiteuse aux nuances d'un blanc nuageux. 

Un bruit fort peu discret résonne dans la cage d'escalier et j'entend ma mère se jeter sur la porte en bois blanc pour l'ouvrir à la volé dans un élan d'adrénaline. Je me tourne calmement vers elle et la regarde avec deux yeux inquisiteurs d'une explication acceptable à ce raffut. Haletante et le front en sueur, elle pénètre dans la chambre.

- J'ai cru entendre un cri... Commence-t-elle.

-Probablement ton imagination débordante qui et joue des tours, la coupai-je. 

Je suppose que la dubitation de ma mère est dût au ton d'une froideur extrême que je viens d'employer mais quoi qu'il en soit, elle ne semble pas esquisser le moindre mouvement vers la porte. Elle fait faire à son regard une rapide promenade dans la chambre et alors qu'elle s'apprête enfin à quitter mon territoire, ses yeux tombent malencontreusement sur le sang au sol que les yeux vitreux de Juliette couvent avec terreur. Elle lève son visage expressif et le place face au plus implacable de tous, le mien. 

-Mitsuki, peux tu m'expliquer ce que signifie l'état critique de Juliette et de MON sol ? Nous nous fixons l'une l'autre tandis que nos yeux enflammés se livrent une bataille enragée au centre du ring. Cette menace mutuelle s'attarde sur plusieurs minutes et ce n'est qu'en comprenant que cette faible femme a changée que je consens à lui répondre.

-Ce n'est rien, je nettoierais.

-Ce n'est pas la question, me répond-t-elle après un regard.

-Il n'y a aucune question à se poser maman. La seule question que moi je me pose c'est pourquoi es tu encore dans ma chambre ? Sort.  Je la fixe autoritairement, cependant pas la moindre once de méchanceté n'habite mon regard. Elle sort non sans une hésitation. 

Le bruit des pas sur les marches de l'escalier s'estompe peu à peu. Dans un mouvement brusque j'accours auprès de Juliette. Elle tremble et des larmes noircies par son maquillage coulent sur ses joues créant sur leur passage de longues stries grisâtres sur sa peau couleur miel.  Je m'accroupie à ses côtés et la prend dans mes bras. 

C'est à ce moment précis que je me suis promis de veiller sur elle dans ce monde cruel  et dénué de toute pitié pour les êtres tendres et attentionnés. 

Je la serre plus fort dans mes bras. Son parfum me rassure et je finis pas m'endormir  tandis qu'un flot inconscient de souvenir prend possession de mon corps. 


DestinéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant