CHAPITRE 1

1.1K 26 1
                                    

"Ne me secouez pas, je suis plein de larmes." Henri CALET, (Peau d'Ours.)

Il faisait plutôt froid pour un mois d'Octobre, et puis les médias avaient annoncé un hiver très rude. Je sortais juste de cours vers 18 heures, et la nuit étais tombée à une vitesse impressionnante. Une fois rentrée, je me souviens avoir décidé de regarder les informations, chose que je ne faisais jamais habituellement. Des manifestations, des tentatives d'attentats, des nouvelles absurdes.. rien de bien intéressant. Mais parmi tous ces déchets, un accident avait attiré mon attention. Il se trouvait qu'un conducteur de poids lourds s'était violemment projeté contre un jeune motard sur l'autoroute passant non loin de chez moi. Sur les images présentes à l'écran, j'avais pu voir avec horreur l'état pitoyable des deux véhicules, et au milieu du désastre, la moto de Kader mon meilleur ami. Je me souviens aussi avoir été prise de panique et pendant de longues minutes j'avais essayé de le joindre. Il était sensé venir fêter mon anniversaire, avec une pizza comme cadeau. Tant bien que mal, j'avais tenté de me persuader que ça ne pouvait être lui et que j'allais le voir arriver dans quelques heures le sourire aux lèvres et une Quatres-Fromages à la main. Je m'étais aussi dis que je m'inquiétais sans doute pour rien, malgré le fait qu'il ne réponde ni aux appels, ni aux messages. Je riais intérieurement ; " s'il lui est arrivé malheur, qui va me passer de la beuh gratuitement ? ".
Plus tard, pendant que j'avais été fumer au balcon, mon téléphone -qui étais dans le salon- s'était mis à sonner plusieurs fois d'affilée. Ne voulant pas écraser ma clope, je les avais laissé passer. "Ça doit être Shadi qui m'harcèle encore parce que je ne lui ai pas envoyé de messages."
Une fois le mégot jeté et un cendrier vidé, j'avais été tcheker les notifications sans grand intérêt puisque j'étais convaincue que c'était mon copain.
"Neuf appels manqués de la soeur de Kader...elle ne me parle jamais habituellement, ça doit être grave."
En voyant que je ne répondais pas, elle avait laissé un message vocal.
"Alia ? Je... je n'avais pas le droit de te l'annoncer maintenant, alors que tu es seule à la maison mais.."
Sa voix tremblait et j'avais clairement pu comprendre qu'elle pleurait.
"...Je me sens obligée de te le dire. Parce qu'au fond, c'est de ta faute. D'accord, tu étais celle qu'il aimait le plus après sa famille, mais tu es aussi la cause de sa mort. Il s'est tué sur l'autoroute B110 alors qu'il allait te voir pour passer la soirée chez toi, après avoir eu une altercation avec un camionneur. Cet enfoiré n'a rien respecté, il a éjecté Kader sur la barrière de sécurité. Il ne reste plus rien de lui, ne serait-ce que le cadavre de sa 125. Nous sommes tous extrêmement abattus, je voulais que tu le soit aussi. Bon anniversaire."
  Les infos.
    L'accident.
Tout se rejoignait dans ma tête, comme un puzzle de l'horreur.
La violence ne fait qu'empirer les choses, disaient-ils.
__________________________
Cela va faire deux semaines maintenant que Kader est parti. Mais ça va également faire deux semaines que je n'arrive plus à vivre correctement. Son enterrement a été compliqué à supporter, et c'est à peine si me yeux ne produisaient pas plus d'eau que la pluie qu'il y'avait. Je ne m'en remets absolument pas, ma mère, ma petite sœur et Shadi peuvent en témoigner. Étant donné que je suis une fille assez renfermée, je n'ai pas énormément de potes et Kader était réellement tout pour ma personne. Je ne sais plus quoi faire à part chialer sa mort, c'est déprimant. Je ne mange plus, je ne sort plus, je ne fait plus rien. Bordel mais si ce dieu tant convoité existe, pourquoi m'a-t-il retiré ses deux hommes pourtant si essentiels à ma vie ? Après mon père, Kader, pourquoi pas Shadi ? J'ai envie de tout démolir, de crier ma haine jusqu'à n'en plus pouvoir. Pour ne pas que ma mère ait encore à supporter une de mes crises, je sort prendre l'air. Il caille, et comme une imbécile je suis sortie en T-shirt. La nuit est déjà tombée depuis une bonne heure, et le faible éclairage rend au jardin un aspect glauque. Mais je m'en fous, j'ai besoin de parler, de me libérer un peu de ce poids qui me pèse tant sur la poitrine. Mais il n'est plus là. Kader... une idée me vient à l'esprit.
"Pourquoi ne pas parler à son répondeur ? J'aurais l'air conne, mais je n'ai rien à perdre de tout façon."
Allez...je peux le faire, mais l'idée d'entendre sa voix à nouveau me fais flipper.
"Ayoo ! Vous êtes bien sûr le répondeur de Kader, si vous êtes là c'est que je ne suis pas dispo pour le moment, laissez-moi un message !"
Sa voix si joyeuse me glace le sang et je manque d'en lâcher mon téléphone.
"Kader ? Je me sens seule sans toi. J'ai froid, j'ai peur et puis je vois trouble. J'ai l'impression que le monde entier m'en veut d'exister, d'être la cause de ta putain de mort. Ta sœur à raison, c'est entièrement de ma faute. Peut-être que je n'aurais pas dû naître, qui sait. Ta vie sans moi, elle aurait été plus belle tu crois ? Tu aurais juste eu moins d'heures d'appels gâchés, une fille en moins à supporter et... tu ne serais pas enterré à l'heure qu'il est. Je me sens mal tous les jours, coupable. Je n'ai plus de motivation pour quoi que ce soit. Je voudrais qu'on me laisse tranquille mais aussi qu'on s'occupe de moi, tu vois le délire ? Et oui, je sais bien qu'à trop hésiter je me retrouverais sans rien au final. Mais encore, qui-sait ? Peut-être que je suis déjà vide, complètement dénudée de tout sentiments positifs, de toute trace de vie. Mon putain de corps est délaissé par mon âme, qui elle même se laisse crever. Bordel je ne manquerai à personne si jamais j'avais à partir, alors à quoi bon dépérir ici à la vue de tout le monde ? Pour Shadi ? Pour Maman ? Ils s'en remettront...Il faut que j'accepte le fait que les gens ne sont pas pour moi, que je n'ai pas de place ici, parce que... parce que c'est ailleurs qu'avec toi. Je veux me casser, quitter cet endroit devenu terne, insalubre et repoussant. Jusqu'à aujourd'hui je me réchauffais corps et âme à l'aide de ma chère Poliakov et deux ou trois cigarette vertes. Mais là maintenant, sans ton soutien, c'est plus possible. Je te l'ai dis Kader, je suis jeune, incompétente et stupide. Si tu avais été présent, tu m'aurais sorti que c'est un ressenti d'adolescente. Sauf que tu ne l'es pas, et étant donné que je suis persuadée de ne pas m'en sortir au point où j'en suis, pourquoi ne pas rester une adolescente pour toujours?"
La voix de ma mère m'appelant à table me force à terminer le message. Étrangement, je me sens un peu plus légère, mais les mots que j'ai débités me semblent un peu lourds. Me tuer, est-ce vraiment ce dont j'ai envie ? Au fond je n'en sais rien, j'ai parlé vite et sans trop réfléchir. Ça me paraît être une idée stupide. Quoique..
Juliette est déjà à table, en train d'engloutir quatre par quatre son gratin dauphinois. Ma mère m'en tend une assiette en souriant. Je n'ai pas grand appétit, alors je laisse de côté mon plat pour me consacrer à ma petite soeur. Je lui parle de son école, et je demande des nouvelles de ses amies, ce qui a l'air de beaucoup l'intéresser. Ma génitrice, agacée, nous sort de notre discussion.
"Tu sais, que tu prennes des forces ou non, ça ne fera pas revenir Kader..."
S'en est trop pour moi, et je quitte la salle sans oublier de gueuler mon mécontentement. Je suis en train d'halluciner, comment peut-on dire une chose pareille à une adolescente de seize ans? C'est à la limite d'être comique.
Dans ce genre de moments, une seule solution. Je prend mes clopes, mon briquet, et je grimpe sur le rebord de mon lit. En ouvrant mon paquet, je remarque avec amusement qu'il n'en reste plus qu'une.
"La clope du bonheur..."
Le bonheur... cette pensée m'arrache un sourire...J'aimerais bien le retrouver.
___________________________
Le front collé contre la vitre, elle regardait les rares lumières qui brillaient encore dans la nuit, en se demandant si à l'autre bout de la ville, quelqu'un l'attendait. Elle avait froid parce qu'elle avait laissé la fenêtre ouverte à cause de l'odeur de la cigarette, et se trouvait ridicule à se poser des questions comme celle-ci.

BA106Where stories live. Discover now