chapitre I partie 2 ; le destin (autumn)

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Jamais, au cours des pratiquement dix-sept dernières et uniques années de ma vie relativement inintéressante et banale, je n'avais rencontré un pareil sourire que celui de Lynne, mon professeur de piano. Si je n'avais qu'un seul mot pour le décrire lui et tout ce qu'il dégageait, je n'aurais même pas à hésiter une seule seconde : vide. Pourtant, ce sourire-là, il avait tout pour plaire. Ses dents, d'un blanc éclatant qui aurait sans aucun doute correspondu à merveille avec les standards des castings des publicités pour dentifrice, étaient parfaitement alignées, harmonieusement disposées. Ses lèvres, sans être pulpeuses ni trop aguicheuses, étaient tout de même un peu charnues, et parfaitement entretenues, quelle que soit la saison. Elle portait ses cheveux auburn dans une coupe assez courte qui épousait la forme de son visage à la perfection. Malgré le fait qu'elle n'était plus toute jeune –elle devait sans doute approcher la soixantaine- et que ses traits commençaient tout de même à accuser le coup des années qui passaient, son visage rayonnait. Ou du moins... Aurait pu rayonner. Son sourire était fade, ses yeux sans vie. Elle semblait constamment en train de subir le cours de choses. 

Il n'y avait qu'une seule chose sur terre qui pouvait la ramener à la vie, et c'était pour cette chose-là pour laquelle elle vivait, cette chose-là aussi qui lui permettait de vivre : la musique. La première fois que je l'avais rencontrée, il y a de cela à peu près deux ans maintenant, elle nous avait invitées, ma mère et moi, à un concert de piano. A ce moment-là, j'étais en recherche d'un nouveau professeur après mon déménagement à Sydney, et j'hésitais encore entre elle, et un homme joyeux, un peu brouillon mais incroyablement talentueux, qui avait lui-même enseigné l'instrument à son propre fils, devenu d'ailleurs par la suite un pianiste de renommée internationale, l'un de mes modèles. Mon choix s'était tout d'abord porté sur lui car, lors de notre première rencontre, il m'avait semblé assez sympathique et compétent. J'avais déjà assisté à l'un de ses cours, alors qu'il enseignait à une jeune prodige de onze ans à peine –qui m'avait d'ailleurs impressionnée de par sa maîtrise-, et le courant été bien passé. Alors, lorsque Lynne, mon professeur actuel, nous avait invitées à ce concert, j'étais partie en me disant que, même si mon choix était quasiment fait, que je ne pensais plus changer, et que ce n'était pas elle, c'était toujours ça de pris, de voir un pianiste professionnel se produire en public. Pendant les quelques minutes précédant le concert, nous avions eu un peu de temps pour discuter et, même si elle avait l'air passionnée par son travail et son instrument... Quelque chose manquait. La petite lueur dans ses yeux, l'expression dans son sourire. Elle était éteinte. Je commençais de plus en plus à me dire que nous étions venues pour rien, ma mère et mo, jusqu'à ce que le silence s'était fait dans la salle et que les doigts du pianiste avaient effleuré pour la première fois les touches de son instrument. Elle s'était alors redressée sur sa chaise et, comme par enchantement, résultat d'une magie que je n'avais jamais encore vraiment ressentie jusque là, son visage s'était illuminé et, le temps d'un concerto, elle avait été la femme la plus belle, la plus heureuse et aussi sans doute la plus épanouie de la planète. C'était à ce moment précis, alors que je l'observais du coin de l'½il boire chaque note, chaque nuance, chaque mouvement de doigt comme quelqu'un qui aurait passé des jours à mourir de soif dans le désert et à qui l'on offrirait de l'eau à son retour à la civilisation, avide de plus, déshydratée. Elle avait besoin de ça pour vivre ; pour survivre. 

Et depuis ce jour-là, je m'applique à jouer pour elle, pour pouvoir l'aider un peu, dans l'espoir de la voir sourire un jour comme ce jour-là. Et elle, en échange, par des conseils précieux, des paroles sensées, jamais l'une prononcée plus haute que l'autre, sans jamais s'énerver, me délivre petit à petit ses secrets pour un jour y parvenir. Je crois vraiment que l'on s'entraide. C'était écrit. Et c'est le destin.

« Ecoute Autumn, c'est bien, très bien même, mais ça manque de quelque chose... Une touche personnelle, un peu de toi, tu vois ? m'interromps Lynne en plein milieu de mon morceau. Mes doigts, stoppés dans leur élan, glissent le long des touches dans un bruit sourd et retombent lourdement sur mes genoux, alors que je laisse tomber mes épaules dans un soupir d'insatisfaction.

let's be unpredictable (ashton irwin au ; french version)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant