chapitre II partie 2 ; la bêtise (autumn)

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« Allez, fainéante, on se lève, il est déjà six heures vingt-sept du matin ! » me lance ma petite soeur, en entrant toute guillerette dans ma chambre, imitant sans trop de complexe mon père, et son ton de haut dirigeant d'armée. Elle ne se préoccupe pas de savoir qu'il pourrait l'entendre, risque que, bien que beaucoup plus âgée et affirmée qu'elle, je n'oserais jamais prendre. Mais c'est sa façon d'être, comme ça, insouciante, spontanée mais pourtant si fragile. Elle a vraiment de la chance qu'en étant la plus petite, le "bébé" de la famille, elle est un peu la chouchoute de mon père, et qu'il ne lui remonte pas les bretelles à la moindre parole prononcée avec un peu trop de franchise ou pour chaque minuscule faux pas qu'elle serait susceptible de faire, comme il le fait continuellement avec mon frère et moi. Elle ne supporterait pas, elle se sentirait oppressée, enchaînée. Elle ne se rend pas compte de la chance qu'elle a.

Je me lève avec difficulté, me rendant peu à peu compte que je n'aurais pas dû veiller si tard la nuit précédente. Je le sais pourtant, je le sais. Je sais que, chaque matin, je dois me lever à six heures, m'occuper de ma mère, parce que mon frère, parti à l'université, ne peut plus le faire. L'habiller, la laver, la maquiller, lui raconter ma journée de la veille, tenter de la rendre un peu plus heureuse, pour qu'elle oublie, ne serait-ce que pour un moment, l'accident qui l'a privée de l'usage de ses deux jambes et de son bras gauche, il y a de ça quatre ans maintenant. C'est dingue comme parfois, la vie ne tient qu'à un fil. Ce devait être une journée comme toutes les autres, sans doute. Une prise de service de nuit à l'hôpital, où ma mère travaillait comme infirmière. Un chauffard bourré et une autoroute prise à contre-sens. Une seconde d'inattention, une sortie de route et un choc frontal. Un mort sur le coup et une femme, ma mère, gravement blessée, pour toujours paralysée. "Elle a eu de la chance", nous ont dit les médecins, "elle aurait pu y passer". Et elle qui, pendant ce temps-là, subissait sa vie, affrontait son destin dans une lutte contre un coma de deux semaines, qui la dévorait un peu plus chaque jour, la tuant à petit feu. Plus personne n'y croyait, pas même moi, on avait tous accepté que c'était comme ça et pas autrement, qu'elle n'aurait pas la force de s'en sortir. Mais elle l'avait fait. Elle s'était réveillée. Et elle avait souri.

Parfois, je me demande comment elle fait pour garder ce sourire-là, vraiment. C'est la vie, je sais, il fallait que ça arrive et c'est arrivé, mais je ne pense pas que je pourrais rester si optimiste après ce genre de chose-là. Elle sourit toujours, a toujours une parole pour rire, elle essaie même de tout faire pour tenter de faire un maximum de choses par elle-même. Elle semble heureuse, mais quand elle n'y arrive pas et qu'elle est obligée de nous demander de l'aide pour quoi que ce soit, on peut clairement voir sur son visage qu'elle en a marre. Marre de vivre complètement dépendante des autres, complètement dépendante de nous. Mais elle est courageuse, et elle tient le coup, encore un peu. Pour nous aussi, je suppose.

Le petit-déjeûner dans la famille Montgomery n'a jamais été une grande partie de plaisir, et particulièrement depuis l'accident de maman. Tout le monde, même ceux qui n'ont rien à faire de la journée, doit se lever à une heure précise, en l'occurence six heures (sept heures pendant les vacances et autres jours fériés), choisie par mon père, et a trois quarts d'heure pour se préparer, avant le petit-déjeûner, toujours pareil. Des Corn Flakes avec du lait, un thé ou un café, et un jus de pomme ou d'orange. Et pendant le quart d'heure où nous sommes tous à table, et cela même si aucune "règle" de la maison ne l'interdit, personne ne parle. Parfois, ma petite soeur tente de lancer une conversation, mais ça ne prend jamais. "On ne parle pas en mangeant", que dit mon père. Alors on se tait et on mange, c'est tout. Sauf quand c'est lui qui a quelque chose à dire.

« Autumn, tu as prévu quelque chose aujourd'hui ? brise-t-il alors le silence, me sortant de mon observation détaillée du motif de la nappe, que je connais pourtant par coeur, après les centaines de matins que j'ai passés à l'observer, sans rien dire, le regard baissé sur mes genoux, mangeant vite, mangeant bien. Je hoche la tête avant de commencer à lui répondre, ayant encore des céréales dans la bouche. Bien sûr que j'ai prévu quelque chose, on est samedi. Je prévois toujours quelque chose, le samedi.

let's be unpredictable (ashton irwin au ; french version)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant