La chute (partie deux)

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 Parmi les autres épisodes marquants de son existence, il vit aussi le jour où il devint orphelin de père. Il n’avait que douze ans. Le ciel était dégagé, aucun corbeau n’avait plané en tournant en rond au-dessus de leur toit. Selon certains superstitieux cela est un présage mauvais. Un signe annonciateur d’un probable décès. Il se souvint que M. Mosséki avait été bien portant ce jour-là, qui fut le dernier dimanche du mois de septembre. Un dimanche qui avait marqué la fin des vacances, ainsi que la fin de la vie de M. Mosséki.
   Jusqu’à l’extinction du soleil il avait la pêche, la patate comme lui-même le défunt l’aurait dit. Mme Mosséki avait fait remarquer à son époux qu’il faisait vingt heures dépassées de plusieurs minutes à sa montre. Une montre de couleur blanche au design féminin, de marque Dior que son mari lui avait offerte il y a six jours de cela. Elle avait glissé cette remarque parce qu’ils attendaient le retour d’Alassane, leur premier né. Les filles jumelles de celui qui fut autrefois son oncle préféré avaient passé le weekend avec eux ; Alassane avait eu pour mission de les ramener auprès de leurs parents. Pendant ce temps, celui qui plus tard allait faire un saut à l’élastique sans élastique se faisait une partie de jeu vidéo, sous l’admiration de M. Moséki qui,  assis dans sofa en simili de couleur beige avait offert ses cuisses à sa femme qui s’en était servie comme oreiller, allongée dans le même sofa, n’attendant plus que la surprenne le sommeil. Il s’agissait d’une Sega méga drive comme console et le jeu auquel il jouait était « les aventures de mickey mouse ». Souvent en compétition avec son père à ce jeu, il jouait avec la plus grande concentration. Il avait débloqué des niveaux que nul autre dans leur maison n’avait pu, et là, à cet instant il se rapprochait sûrement du dernier niveau. Il est connu de tous que l’élément motivateur des amateurs de jeux vidéo est de voir le générique de la fin d’un jeu. Ce petit scénario avait autant de valeur pour eux que l’avait le saint graal pour certains réligieux. Du père au plus jeune fils de ce foyer, aucun n’échappait à cette logique. Celui qui en premier aurait vaincu le boss du dernier niveau aurait profité de la reconnaissance et du respect éternel des autres concurrents de la maison. C’est ainsi que cette petite compétition avait pris la tournure d’un conflit de génération. Une sorte de guerre froide familiale, car M. Mosséki voulait prouver à sa progéniture que bien qu’étant originaire de trop de décennies plus tôt,  qu’il n’était pas en marge de l’évolution de la société, « qu’il était toujours dans le cou » comme il aimait à le répéter avec son air de papa cool ; tant dis que les enfants voulaient gagner le respect de leur géniteur au moins dans ce domaine, lui qui connaissait et excellait en tout.
Une heure avait passé, M. et Mme Mosséki avait résolu d’aller se coucher. Alassane n’étant toujours pas de retour, ils avaient déduit qu’il passerait certainement la nuit chez son oncle. Habituellement la règle était que tous les enfants doivent gagner leur chambre à partir de vingt et une heures. Mais ce jour-là, M. Mosséki avait décidé de faire une exception. Inspiré par une miséricorde sans réelle justification, il avait décidé d’accorder à son fils la grâce de poursuivre sa partie. La seule condition était qu’il ne devrait oublier d’arrêter tous les appareils après qu’il ait fini.
Environ soixante-seize minutes après qu’ils soient allés se coucher, le fils au salon avait accompli l’exploit. Il avait terrassé le dernier bosse. Il l’avait enfin vu ce générique, ce petit scénario de la fin où mickey mouse délivrait minnie et les deux s’en allaient main dans la main. Seulement ni son état physique, ni le temps n’étaient à la jubilation. Epuisé comme ses parents, il avait arrêté les appareils comme promis, puis avait gagné sa chambre, son lit et ses draps. Il avait l’impression de s’être à peine couché quand il eut à attendre une agitation au salon. Il s’était dit que ça ne pouvait qu’être que sa paire génitrice encore sujette à une dispute d’amoureux. N’avait-il pas fini de raisonner que Alassane entra précipitamment dans la pièce, l’effroi plaqué sur son visage et s’exprimant sur ses membres supérieurs par une Parkinson très aiguë. Il s’était approché de son petit frère, lui avait donné des petites tapes sur le talon du pied droit pour le réveiller. Ce dernier ayant réagit, souleva sa tête, puis regarda en direction d’Alassane qui n’avait pas attendu plus longtemps pour lui informer de la moins compliquée des manières que leur père avait fait une crise d’épilepsie. Surpris de voir son frère ainé et étonné par la nouvelle reçue, il n’avait su comment réagir et resta immobile, ce questionnant : « A quel moment Alassane était-il rentré ? » N’ayant observé aucune réaction de son frère, Alassane se lança dans les détails, rajoutant que les yeux de leur père s’étaient soudainement retournés jusqu’à effacer complètement la rétine pour ne laisser que du blanc, avant qu’il s’écroule par terre en convulsant, la main droite solidement posée sur le côté gauche de son torse comme s’il voulait contenir une immense douleur, la bave dégoulinant, la main gauche tendue vers le haut comme pour se saisir d’un objet que lui seul avait pu voir. Il avait précisé que leur père avait été incapable de pousser un cri. On aurait dit qu’aucun son n’avait été capable de traverser son gosier ; qu’il avait été transporté depuis un moment déjà à l’hôpital dans la voiture de l’oncle préféré. Celui qui plus tard aurait rejoint son père tôt, six pieds sous terre, s’était senti envahi d’une énorme désolation. Un vide avait commencé à prendre place en lui.  Leur père n’avait manifesté aucun signe épileptique durant toute sa vie, d’autant plus qu’en remontant leur arbre généalogique il n’y avait aucun antécédent de ce genre. Tout ça avait été un mystère, cette histoire empestait la sorcellerie. Le sommeil ayant quitté ses yeux, il était descendu du lit pour se rendre au salon accompagné de son frère ainé. Il y avait une forte présence d’inconnus qui chuchotaient sur la véranda. Alassane lui avait dit que c’étaient les voisins qui avaient été alertés par le S.O.S. de maman qui n’avait pu s’empêcher de crier à l’aide avec un timbre morose. Celui qu’ont les gens dépassés par un triste événement. Le frère cadet avait résolu de se remettre à DIEU. Il LUI avait supplié d’épargner la vie de son géniteur. Genoux et front au sol, yeux fermés, il avait multiplié depuis une vingtaine de minutes déjà des prières et des louanges pour implorer la miséricorde du SEIGNEURE, faisant preuve d’une certaine foi qu’il sera écouté et exaucé. Visiblement sa foi n’avait pas été suffisante car des pleures s’étaient fait entendre au loin et se rapprochaient petit à petit de la maison. DIEU n’avait pas exaucé sa prière. Au dehors tous pleuraient la mort de M. Mosséki. Parmi ce triste tintamarre, il avait entendu sa mère inconsolable, demander au même DIEU « qu’avait-elle fait pour mériter ce malheur ? » Aucune larme ne s’était échappée de ses yeux sur le champ, refusant de se résoudre à accepter la sombre vérité sur le fait que son père était parti pour toujours. Non! Il avait refusé d’y croîre car pour lui tout ça avait l’air d’une blague. Son père n’aurait pas pu mourir ainsi.
   Le flash ne s’arrêta pas de défiler. Il avait énormément vécu de chose en une aussi courte vie. Alors il continua de voir les moments marquants de sa vie pendant sa chute. Des souvenirs bien amusants aussi comme celui de la fois où son oncle zagarino, sa petite maman zitisséno, ses cousins chaco et mobile, ainsi que lui s’étaient donnés à une partie de football. Il ne s’agissait pas d’une partie ordinaire qui consistait à mettre le ballon dans les buts, non. Ils avaient joué à « tiobo frappe ». tiobo frappe était un jeu assez violant qui se pratiquait que dans la rue, en groupe d’individualités. Ce qui faisait que chacun  jouait pour lui et pour personne d’autre. La règle était de dribler et de tenter de faire un petit pont à n’importe quel adversaire. Par conséquent, celui laissait passer la boule entre ses jambes devenait systématiquement la cible des gifles de tous. Le seul moyen d’éviter ou de stopper le massacre était de faire son meilleur temps au sprint pour larguer tout le monde afin de toucher la clôture d’une ppropriété la plus proche. Sinon il n’y avait plus qu’à attendre que tous se lassent de t’en coller, non pas "une" mais "plusieurs". Zagarino venait d’encaisser un petit pont. Le fantasme de tout le monde était sur le point de se réaliser, car tous rêvaient de lui faire goûter l’avers et le revers de leurs mains sans qu’ils ne soient considérés comme des malpolis pour avoir frappé leur oncle. C’était un jeu individuel, mais quand un joueur laissait passer la balle entre ses jambes, les autres joueurs travaillaient instinctivement en équipe pour lui coller une baffe. Ainsi, la première des choses à faire avait été de l’encercler, puis de l’immobiliser, et enfin de le clouer à même le sol ventralement. Tous pouvaient enfin s’acharner sur son dos qui avait encaissé des gifles, des coups de poing, des coups de sandales et même des griffes. Il avait impressionné tout le monde par son endurance et son courage, en encaissant silencieusement bien et en rampant avec toute la peine du monde, pour toucher un mur qui avait été tout près, à environ deux mètres en face de lui. Il s’en était rapproché lentement. Le mur n’était plus qu’à trois millimètres du majeur de sa main gauche quand, Alassane avait surgit de nulle part, s’empressant de donner un coup de pied à sa main, de passer derrière lui afin de le retenir par les pieds et de l’écarter du mur en trainant son corps jusqu’au centre de la rue. Zagarino qui jusque-là avait semblé fort se mit à pleurer à chaudes larmes, en voyant sa main tendue prête à saisir le mur, s’en éloigner plus vite qu’elle ne s’en était rapprochée. Ç’avait été incroyable. L’oncle avait pleuré comme un petit enfant. La vue de cette scène avait mis tout le monde dans un état de rire aux éclats, cessant net le massacre au profit de Zagarino qui s'était vu sauvé d'une incroyable pénitence,  jurant sur la tête de sa mère de ne plus jouer avec eux.

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