Chapitre 2

982 148 77
                                    

- Vous avez de la visite ! m'informe Evie en pénétrant dans ma chambre.

Un vieil homme aux yeux bridés d'une cinquantaine d'années la suit de près. Il remonte ses lunettes à l'aide de sa paume, plongeant son regard grisâtre et hagard dans le mien. Je me lève de mon matelas, bâillant de la manière la plus offensante qui soit et soignant mon regard blasé. Je passe lentement une main sur mon crâne chauve et la lui tends dans un regard appuyé. Il la serre dans un rictus de mépris et de dégoût, ce qui m'arrache un sourire victorieux.

- Quel jour sommes-nous ? je demande.

- Le 1er février, Monsieur Mckee, me répond Evie dans un soupir.

- C'est qui lui ? je la questionne en reniflant bruyamment.

- Un chirurgien réputé au Japon pour ses opérations et ses recherches poussées sur le cerveau humain, m'explique Evie avec professionnalisme.

Je dévisage le vieil homme avec application, souhaitant le surprendre à ma manière. J'ai appris le japonais durant les longues heures passées à m'ennuyer ici, et je peux vous affirmer que je me débrouille comme un chef. Je m'éclaircis la gorge et demande au cinquantenaire s'il a fait bon voyage. Étonné, le vieillard me salue en se penchant respectueusement en avant et répond à ma question sur un ton plus que désolé. J'aime les mettre mal à l'aise et j'espère qu'un jour cela me permettra de quitter cet endroit.

- Et du coup, que vient-il faire ici ? je demande à Evie.

- Monsieur Tokoyama vient en observation pour le moment, déclare Evie.

- Il assistera à nos séances ? je m'inquiète.

Elle hoche la tête d'un air désolé en guise de réponse. Je dévisage de nouveau le vieil homme, suivant Evie qui prenait place sur mon vieux matelas. Je m'installe devant elle tandis que Tokoyama se saisit d'un bloc note abîmée qui empeste le moisi. Cette séance n'allait pas être un pur plaisir, c'est moi qui vous le dis. Evie me force à la regarder dans les yeux tandis qu'elle pose ses nombreuses questions.

Ce petit bout de femme me fascinera toujours. Elle est psychiatre, neurologue, elle a également étudié la médecine et la biologie à des stades poussés. Pourtant, cette magnifique femme n'est âgée que de 24 ans. Elle est très intelligente, peut être trop pour le ridicule travail qu'elle exerce.

- Monsieur Mckee, est-ce que vous m'écoutez ? souffle-t-elle, exaspérée.

- Oh ! Bien sûr que je vous écoute, Evie, je réponds mielleusement.

- Qu'est ce que je viens de vous demander dans ce cas là ? s'impatiente-t-elle.

Je détourne le regard en pointant du doigt un oiseau imaginaire. Je me mets à rire à ma farce, mais les gloussements ne suivent pas. Je stoppe net ce gênant moment de solitude et lui demande la question qu'elle m'a posée.

- Qu'est ce que ça vous fait d'être ici ? répète Evie.

- Ça pue le renfermer et j'aimerais pouvoir sortir..., je lui avoue.

- Ce n'est pas possible, Monsieur Mckee, m'affirme-t-elle.

- Rien qu'une promenade, c'est trop vous demander ? je soupire.

- C'est impossible, il n'y a pas à tergiverser sur le sujet, s'exclame-t-elle d'un ton sévère. Est-ce que vous vous sentez faillir ? Votre santé mentale vous lâche-t-elle ? me demande le docteur Coulter.

- Vous savez, je n'ai plus toute ma tête, mais j'ai encore tout mon cœur, je rétorque.

Je me retourne en direction du vieux Japonais qui gribouille sur son carnet qui pue. Je me sens de plus en plus oppressé entre ces quatre murs blancs. J'aimerais pouvoir sortir. Après tout, une promenade de cinq minutes ça ne changera rien à leur petite vie insignifiante. Je croise le regard blasé et mystérieux du docteur dont les joues sont rosies. Ma formulation poétique l'a touché en plein cœur et je me sens agréablement fier de l'effet donné. Le docteur écourte notre séance, me laissant en plan avec ce drôle de chirurgien en provenance du soleil levant.

Qu'est ce que je vais bien pouvoir lui raconter ? Est-ce qu'il parle un seul mot de Français ou encore d'anglais ? Je le vois depuis tous à l'heure sourire niaisement comme s'il ne comprenait pas un seul mot de ce que je racontais. Il prend toujours en note alors que la séance est terminée depuis quelques minutes déjà. Je m'approche lentement de lui afin de ne pas lui faire faire une crise cardiaque. À son âge ce serait débile, l'espérance de vie a augmenté de plus de 40 ans dans chaque pays. Malheureusement, nos chercheurs n'ont toujours rien trouvé sur la mort. Ce n'est pas comme s'ils ne cherchaient pas, ils possèdent juste d'autres préoccupations telles que moi.

Je me positionne derrière le vieil homme et découvre avec stupéfaction un magnifique dessin de moi. Je me retrouve moi même étonné, ne possédant aucun miroir dans cette maudite pièce. Tout avait été prévu pour que je ne me suicide pas, les chercheurs souhaitant découvrir de quoi mon cerveau est réellement capable. Les vêtements que je porte sont fabriqués dans une matière qui est facilement friable afin que je ne me pende pas avec. Même le pommeau de douche est raccourcit afin que je ne puisses pas l'utiliser comme une corde.

Je touche le dessin de mes longs doigts, fascinés par la beauté retranscrite à travers son croquis. Mes yeux se ferment avec l'âge ou bien la fatigue et cela se retrouve parfaitement sur le dessin. Le chirurgien me lance un sourire arrogant avant de quitter la pièce, me laissant pour seul souvenir de mon reflet un dessin au crayon à papier. Je me retrouve de nouveau seul dans cette pièce avec pour seule compagnie des murs et mes souvenirs perdus.

Que me veut ce chirurgien ? Est-ce qu'il est bien attentionné ? Après tout, tout le monde n'est pas fou à lier dans ce pays. Je me couche sur mon matelas en pensant à comment je pourrai bien m'évader de ce trou perdu. La vie ici n'est pas désagréable, je mange à ma faim et il m'autorise à pratiquer autant de sport que je le souhaite. J'ai également des visites régulières du magnifique spécimen qu'est le docteur Coulter. Tout cela devrait me suffire selon les chercheurs. Mais malgré ces deux ans à analyser mon cerveau, ils n'ont toujours pas assimilé que j'ai soif d'aventure.

Un courant d'air inhabituel traverse la pièce et je me relève d'un bond. Un petit papier est disposé juste devant ma porte. Je m'approche rapidement et le saisis d'une main comme si c'était quelques chose de précieux. Je retourne le bout de papier et y découvre mon visage blasé dessiné au critérium. Des inscriptions en Japonais sont écrites sur le côté droit et je les lis à voix basse, la boule au ventre.

- Je ne te veux pas de mal. Chaque jour tu recevras un dessin qui te mènera vers ce que tu souhaites le plus au monde. Amicalement, le docteur Tokoyama.

Afin de ne garder aucune trace de son dessin, j'enfourne le papier dans ma bouche et l'avale sans poser de question. Je nargue les gardes à travers le hublot et retourne à mes entraînements. J'ai peut-être de la chance. Je me libère enfin de ce poids. Je sortirais de cet endroit, je peux m'en tirer. J'enchaîne les coups, riant aux éclats en pensant à ma future liberté.

Je connaîtrais l'air pur, le brouhaha que produit une foule, le déchaînement d'une tempête. Je serai libre.

25 Brain : Connor [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant