Prologue

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Il se pencha sur son dessin, une esquisse au fusain tout en élégance. D'un habile geste du poignet, il accentua quelques traits et fit ressortir le visage de la fille. Il ajouta ensuite une nuance plus foncé avec un charbon d'avantage gras pour marquer les ombres.

Il sourit. Assis en tailleur dans le vide, ses ailes noires jais battirent dans son dos. Il ne manquait qu'une chose à son oeuvre, sa signature personnelle.

Le garçon déploya l'un de ses membres volatiles devant lui et arracha une plume ébène avec délicatesse. Il ne grimaça pas, ça ne lui faisait pas trop mal. Puis il sortit un petit canif de sa poche et traça une délicate entaille sur son poignet. Il tressaillit sans qu'aucune douleur ne lui parvienne. Il regarda le sang perler à la plaie. Enfin, il passa la pointe de la plume sur sa blessure et grava quelques lettres sanguines sous son dessin.

Satisfait, il conptempla l'esquisse. La plus belle de toutes ses oeuvres, sans hésiter. Son regard dériva au loin.

Par delà la colline où il se trouvait s'étendait une infinie et immense prairie lumineuse. Le Soleil au loin paraît ses ailes de toutes les noblesses de l'ombre et de la nuit. De l'autre côté de la plaine, la Lune était là, elle aussi. Douce et délicate avec son éclat argenté.

Il flottait. Tout autour de lui, quelques une de ses plumes voletaient, comme dénuées de l'effet de l'apesanteur. C'était normal après tout. Il était dans un rêve.

Un rêve qu'il avait créé par sa propre volonté.

C'était son seul échappatoire. Depuis combien de temps était il prisonnier? Ah... Peut être dix sept, vingt ou trente ans ; peut être même cinquante ans. Il ne savait pas en quelle année il était en ce moment. En fait, au bout d'un moment, il avait arrêté de compter les jours, les mois et les années. Puis, vers l'âge de seize ans et des poussières, il avait arrêté de vieillir.

Il ne savait pas vraiment qui il était. Mais il savait ce qu'il était. Il était une expérience. Un test des Scientifiques canadiens sur le Génome Humain. Un test secret.

Un test raté.

Il était une erreur. Son code génétique n'était pas bon. Son caryotipe était défaillant. Il ne devrait pas vivre. Ça ne devrait pas être techniquement possible. Il n'aurait même pas du être capable de se réveiller et d'être conscient jours après jours. Les scientifiques l'avaient gardé ; peut être trouvaient ils ça trop difficile de se débarrasser de lui.

Il soupira. Il commençait à entendre de nouveau les sons environnants. Son rêve commençait à se déchirer, il partait en milles lambeaux cauchemardeux. Son radieux Soleil, sa splendide Lune. Détruits. Même le ciel et le sol se désagrégeait. C'était la fin.

La fin de son rêve.

Le garçon ferma les yeux et se replia sur lui même, le dessin près de lui - contre son coeur au lent et puissant rythme quasi mortuaire.

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Au fond de la cellule entièrement noire, un des cobayes s'éveillait lentement. C'était celui qui n'était toujours pas mort. Il émergeait tout juste d'un rêve de sa propre création. Il était roulé en boule sur lui même dans une attitude de protection. Dans son dos, il n'avait plus les ailes dont il avait rêvé.

Les ailes qui lui auraient pourtant permis de s'envoler loin de là. Loin de ce cauchemar.

Lorsqu'il se dégagea de sa position, il dévoila une feuille qu'il tenait dans sa main. La feuille de son rêve. Dessus il y avait le dessin de la fille. Même si le croquis était au fusain, et donc en noir et blanc, les couleurs semblaient se parer d'elles même et ressortir malgré leur inexistance.

L'or de ses cheveux coupés à la garçonne, l'éclat prismatique de ses iris - parées des milles couleurs de l'arc en ciel - et son parfait teint clair.

Lui, il n'était pas aussi beau qu'elle, loin de là. Il en avait pleinement conscience. Mais avait il seulement besoin d'être si joli? Personne n'avait besoin de l'aimer. Du coup, personne n'avait besoin de le trouvait beau. C'était du moins ce qu'il pensait.

Et elle alors? Elle qui était si parfaite. Depuis combien de temps était elle donc là? Même sans repères chronologiques, il savait que cette fille était la dernière des créations de ces scientifiques.

C'était aussi leur plus gros projet, de loin le plus ambitieux. Et encore une fois... L'expérience avait raté.

Elle devait avoir dans les seize ans, comme lui, et venait tout juste de ce réveiller, par erreur et au même âge que son arrêt de croissance à lui.

Seize ans.

Sauf que cette fois c'était différent. Elle était différente. Il le sentait. C'était pour ça qu'il avait dessinée. Et puis il avait décidé qu'il l'aimait bien, aussi.

Il bailla ; il fallait croire que malgré son corp et son âme intemporelle, la fatigue parvenait tout de même à avoir raison de lui.

Le garçon tourna rapidement de l'oeil. La feuille au dessin glissa légèrement entre ses longs doigts fins et vint se déposer au sol.

Sur le poignet, quelques perles de sang séchées. Sur le dessin, quelques lettres carmins gravées.

"À Utopie. Mon Utopie.

Soleil de mes nuits.
Lumière de ma Lune.
Ma dame en paria, mon ange déchu aux ailes blanches.
Onde de mes rêves irréels au splendide goût de l'exacte réalité.

Je ne suis que ton Ombre, ma Lumière.
Et les ombres disparaissent à la lumière.
Moi peur? Jamais.
Moi perdu? Depuis toujours, et à jamais."

À La Frontière Des Rêves - UtopieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant