J'ai une bicyclette rouge.
À croire que c'est une honte, aujourd'hui, de ne pas avoir de voiture, de ne pas vouloir de voiture.
Je suis un homme, je suis jeune, je suis riche, j'ai une bicyclette rouge.
Et personne n'a jamais rien pu faire contre cela.
J'ai toujours suivi avec exactitude les chemins que l'on voulait que j'emprunte. J'ai fait ce que j'avais à faire, j'ai été qui on voulait que je sois.
Comme tout le monde en fait, n'est ce pas?
J'ai été populaire au lycée. Indépendant.
J'ai pris ma vie en main.
Mais jamais sans le rappeler à ceux qui m'avait abandonné aux humeurs de mon adolescence.J'étais un jeune homme libre.
Aussi libre que l'on puisse l'imaginer. Je n'avais eu aucunes contraintes. Tout ce dont les autres lycéens se plaignaient, je ne l'avais pas eu.
Je n'avais jamais eu de couvre feu, de mère surprotectrice, d'engueulade avec mes parents, de petit déjeuner au lit.Et c'est peut être ça, ma vraie prison.
Je laisse filer ma vie comme une poignée de sable sans avoir le temps de comprendre sa complexité.
J'ai hérité d'une entreprise, un jour, sans ne jamais rien avoir demander à personne.
Ça m'est tombé dessusJe reste tapis sous mon image. J'observe.
Et je dis haut et fort avec un rictus dédaigneux.
Je classe proprement les affaires. Et, avec une sobriété classieuse, je commande un café noir, sans sucre, au café du coin de la rue, celui où les directeurs d'entreprises vont, sérieux, commencer leur vie qui ne doit se résumer qu'en termes de bénéfices et profits.Pour les journaux il y a deux seules façons de réaliser sa vie lorsque l'on est dans ma situation ; par la grandeur de son entreprise ou par la beauté de sa femme.
J'ai toujours jugé cela profondément ridicule et je n'ai pas une grande originalité pour cela; tout le monde le voit de la même manière.
Je n'ai jamais eu d'amantes. Cela vous surprends? Jeune, beau, riche, et pas d'amantes. C'est l'oxymore que j'ai choisi d'être, non pas par esprit de contradiction avec le reste du monde mais parce que je me sentais juste bien comme ça.
Mon entreprise elle, est grande, bien entendu, mais là n'est pas la question.
Pourquoi ne pourrions nous pas nous réaliser en tant qu'individu?
Ne pourrions nous pas devenir les gens que nous souhaitons être sans dépendre d'un élément extérieur qui sera marqueur de ce que l'on vaut?Mais sur la bicyclette, dévalant les rues, préparant le hasard qui me fera démarrer une nouvelle aventure, je n'ai plus peur du vide.
Je n'ai plus besoin de masque.
Le vent l'efface, épure chaque traits de mon visage.Je ne suis plus un homme populaire et insolent.
Je ne suis plus le nouveau PDG de l'entreprise de mes parents.
Je ne suis plus cette homme que les journaux cherche à accabler parce qu'il ne s'affiche pas au bras d'une femme.Je suis un garçon, appréciateur de rock alternatif et de thé à la menthe, qui dévale les rue à toute vitesse, sur une bicyclette rouge.