Le parquet glisse un peu, juste ce qu'il convient, et il fait noir, on ne voit pas le public, mais on l'entend, il rit, chante, chuchote, applaudit, les projecteurs lui sèchent les yeux, il danse, chante, sourit, tape du pied et dans ses mains. Les scènes s'enchaînent, les tableaux du décor changent de ton, couleurs vives, été, histoire d'amour, elle languit sur un banc, sous un faux soleil d'ampoule, lunettes de soleil au bout du nez, il s'approche, lui sourit, elle redresse la tête, lui rend son sourire, pirouette, il cueille une fleur de papier crépon, oh demoiselle, acceptez ce présent, et cueillez mes baisers, sous cette ombrelle, l'automne nous attend, bleu, sous les peupliers, le piano s'envole vers les aigus, la voix féminine répond, eh bien, je vais profiter de l'été, en votre compagnie, et me laisser aimer par vos baisers, dans vos bras endormie. L'été se fane, les projecteurs virent à l'orange, encore une ou deux scènes, ils virent au bleu, puis s'éteignent, et la troupe salue, le public applaudit, se lève, bravo ! bravo ! Les acteurs reviennent, nouveau salut, tous sourient, puis la salle s'allume et ils rentrent en coulisse. Il lui sourit toujours, elle le félicite, ils vont se changer, bravo ! Merci, c'était moins stressant qu'hier, j'ai failli m'évanouir, c'est moi ou le projo trois à eu un problème ? Dis, c'était génial, mais où sont mes chocolats, t'as une clope à me dépanner ? Couloirs, loge, chocolats, cigarette, chacun son addiction, son réconfort, serviette, eau, froide, chaude, serviette, cintre, chemise, costume rangé, pantalon, cravate, jupe, robe, chocolat, elle sort de sa loge et va le rejoindre, porte fermée, t'as été génial ce soir, sourire, toi aussi, je t'aime, baiser, t'as une clope ? Non, j'vais en acheter, attends, je t'accompagne. Rue, froid, quelques fans, le plus gros du public est déjà rentré, bonsoir, vous pouvez signer ça ? Wouah, c'était trop beau ! Main dans la main, ils avancent vers le petit libraire dans son kiosque, salut Mike, salut les artistes, alors ce soir ? Ça a été, t'aurais des Laramie blondes, bien sûr, tu veux un briquet ? Non ça ira merci, à demain. Étincelle, tabac, papier enflammé, viens, je t'offre un verre, martini et café noir, bar presque vide, barman taiseux, ils ne disent rien, savourent leur boisson, se regardent dans les yeux, embués de fumée grise, bruits de billard, viens on rentre, j'ai sommeil, tu veux rien manger ? Non merci, mon amour, d'accord, viens, au revoir, silence, nouvelle cigarette, nouveau baiser, pas sur les pavés, puis voiture, puis pas sur les graviers, puis paillasson, parquet et canapé. T'es sûre que tu veux rien manger ? Non, je monte me coucher, d'accord, j'arrive, pain, fromage, fauteuil, cravate posée sur l'accoudoir, journal, tartine finie, escalier, pyjama, lit, dernier baiser, chuchotement, je t'aime, moi aussi, on est trop bons, Broadway nous appartient, je sais, non mais tu te rends compte ? À notre âge, c'est du jamais-vu ! Je dors, mon chéri, oui, tu as raison, bonne nuit, yeux clos, lune, sommeil. Il rêve. Il rêve d'elle. Mais pas de la bonne elle...
Le matin sonne de clameurs électroniques, il est huit heures mon chéri, quoi, déjà ? Oui, embrassade, corps endormi se levant, marchant, porte ouverte et refermée, robinet tourné, eau froide sur peau chaude. Il enfonce sa tête dans l'oreiller, comme pour retrouver ses rêves, leurs parfums, leurs chants et leurs couleurs. Sa voix, cristalline, ses yeux d'émeraude, ses jambes blanches, ses seins et ses rires. Mais ce n'est pas la bonne elle... Elle est plus jeune, plus drôle et plus fascinée, peut-être pas plus belle, mais tout autant de charme. Bon, quand faut y aller, faut y aller. Il se lève.
Céréales, lait, cuiller, café, clope, douche, rasoir sur joue, coupure, aïe ! sang, mer-de ! eau de Cologne, ça pique, mouchoir. Elle l'enlace, oh, tu t'es encore coupé ? C'est rien, vas t'habiller, on doit être au café à dix heures, je mets quoi ? Ta robe bleue, elle te va à merveille, en cette saison ? Le rouge avec ton chemisier en lin ? et une veste ? Non, ça va pas ensemble, ben je sais pas, ta tenue jaune ? Tu y vas comment toi ? Costume brun, chemise blanche, cravate rouge, ah ben le jaune sera assorti, super. Baiser. Ils s'aident à enfiler leurs vêtements, elle noue sa cravate, il arrange ses cheveux, qu'elle recoiffe ensuite, car il s'agit de sa coiffure tout de même. Il sourit, elle espiègle, il volte-face, elle enlace, il dévolte-face, elle embrasse. Il l'aime, elle aussi. Câlin du matin, chagrin ?
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La Fabrique des Cœurs Cassés
Short StoryMon premier ouvrage officiel, cinq nouvelles d'amour triste, écrites pour mes dix-huit ans