Solitude

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Elle est seule. Très seule. Il n'y a rien de plus à dire. Elle attend. De l'amour, de l'attention peut-être ? Elle ne sait pas. Peut-être juste un sourire, de temps en temps, un regard. Parfois elle se fait bousculer, dans le métro par exemple, et elle est bien obligée de dire pardon, car on ne s'excuse jamais auprès d'elle. Parfois c'est elle qui bouscule, puis dit pardon, mais on ne le lui rend jamais. Alors elle se sent très seule. Elle en pleure, parfois, ou alors elle mange des caramels, beaucoup de caramels, en écoutant du Muse.

Mais aujourd'hui, c'est arrivé. Dans les couloirs de la fac, il y a toujours du monde. Le plafond est bas, les murs garnis de casiers et le sol plutôt glissant. Aujourd'hui, comme à chaque fois qu'elle a besoin de réconfort, elle se jette dans la foule, et cette mêlée forme un gros câlin, un câlin qui marche sur les pieds, un câlin qui la porte comme par miracle jusqu'au bout du couloir. Mais aujourd'hui, en se jetant dans le câlin d'étudiants, elle fait tomber son livre d'histoire. Merde. Elle ne sait pas se pencher pour le ramasser, déjà entraînée par la marée vers l'autre bout du couloir. Elle a juste le temps d'apercevoir une main qui se saisit du manuel et lui fait lâcher un "eh !" sonore et cinglant. Relevant prestement la tête, elle aperçoit un jeune homme qui lui fait un clin d'œil quand ils croisent leurs regards. Ses yeux décourroucés tombent automatiquement vers ses pieds, qui marchent à reculons, comme pour vérifier qu'elle n'est pas en train de s'envoler, et ses joues rougissent, elle tente de se retourner mais ne peut même pas bouger un bras, alors elle se retrouve obligée de soutenir le regard de cet étrange jeune homme. C'est d'autant plus difficile qu'elle a rarement eu à soutenir le regard de quelqu'un, et encore plus rarement dans le cas d'un beau quelqu'un inconnu. Le jeune homme la fixe, elle le sent. D'habitude, c'est elle qui fixe les gens, ce qui lui a déjà valu des remarques, mais maintenant elle comprend tout à fait pourquoi. Il étend son bras à travers la foule, celui qui ne tient pas le livre, et lui tapote le crâne du bout du doigt. Elle relève la tête en un sursaut et se retrouve nez à nez avec lui, ce qui manque de faire tomber ses lunettes de son nez surpris. Enserrés par la foule, elle se sent poussée vers lui et lui vers elle, elle approche de ce jeune homme comme muée par une force latente, divine, quand il pose avec un sourire le livre dans ses mains. Elle est presque étonnée de ce geste, si peu familier, puis se rappelle que c'est la raison pour laquelle elle a eu, un instant, de l'importance à ses yeux. Devant son expression déboussolée, il lui dit tiens, c'est à toi, non ? Si si, c'est bien à elle. Elle attrape le bouquin et sourit en retour, murmurant un merci rougissant. Clin d'œil en réponse, sourire en coin, et il s'échappe de la mêlée pour rejoindre sa classe. Elle passe la matinée à se demander ce qu'il s'est passé, elle le cherche durant tout le repas à travers la cantine puis sur les différents terrains de sport, dans les couloirs, près des casiers, et, se rabattant sur la bibliothèque, dernier bastion inexploré ce midi, elle l'y trouva enfin, farfouillant dans un livre de philosophie, comme il est de coutume chez les jeunes hommes qui n'ont rien de mieux à faire sur un temps de midi à l'université. Il souriait tout seul, gentiment, comme quand on écoute une vieille blague ou qu'on lit un poème que l'on connaît par cœur. Elle s'approche de lui sans savoir pourquoi, elle se sent attirée vers son rire muet, d'un coup, elle s'arrête, mais enfin, à quoi ça rime ? à quoi tu joues ? qu'est-ce que tu vas lui dire ? rien ? bonne idée, fixe le sans rien dire, je suis sûre qu'avec lui ça marchera... Alors ? tu n'avances plus ? Nouveau pas. Grincement du parquet. Il tourne la tête et pose son regard intrigué contre ses lunettes. Elle rougit instantanément. Non, c'est pas moi, c'est le parquet... est la seule chose qu'elle trouve à dire. Il ne lui laisse pas le temps de se reprocher ces mots et chasse le malaise d'un petit rire, avant d'ajouter c'est rien, il a l'habitude... Petit rire embarrassé, aigu de la demoiselle. En fait, je voulais te remercier, pour tout l'heure... Tout à l'heure ? ah, ton bouquin, tu veux dire ? oh mais t'inquiètes, c'est naturel. Clin d'œil. Bah oui, mais j'ai pas l'habitude... Quoi ? Non rien. T'as pas l'habitude que quelqu'un ramasse tes affaires quand tu les fais tomber ? non... Mon dieu, mon dieu, la décadence... Ben du coup, avec plaisir. Elle hausse les pommettes dans un sourire. Tu lis quoi ?

La Fabrique des Cœurs CassésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant