Prologue

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Il était une fois deux sœurs. L'une avait les lèvres rouges comme le sang, les cheveux noirs comme l'ébène et la peau blanche comme la neige. Née au cœur de l'hiver, dans le froid et dans la glace, sa mère la prénomma Blanche Neige. Délicate, timide et douce, elle craignait la forêt qui entourait leur masure et préférait effectuer des travaux ménager et lire.

L'autre, de plus d'un an son aînée, arborait une tignasse de feu, un air farouche et une peau pâle, parsemée de tâches de rousseur apparaissant uniquement lorsqu'elle passait trop de temps dehors. Fille de l'été, sa mère l'appela Rose Rouge. Très franche et joviale, elle passait sa vie à l'extérieur et à gambader dans les bois, pour la plus grande inquiétude de sa cadette.

Malgré leurs différences, elles s'aimaient de tout leur cœur. Quand Blanche Neige murmurait : « Nous nous aimerons », Rose Rouge répondait : « Toute notre vie » et leur mère rajoutait : « Ce que l'une aura, elle le partagera avec l'autre. »

La vie n'était pas facile pour la veuve vivant recluse dans les montagnes d'un royaume reculé, mais la naissance de ses filles et de les avoir près d'elle suffisait à son bonheur.

Ensemble, les deux sœurs allaient se promener dans les bois à la recherche de racines et d'herbes pour parfumer leurs soupes et l'aînée tenait toujours fermement la main de sa cadette quand celle-ci sursautait aux craquements et aux sifflements de la sylve. Elles étaient habituées aux animaux de la forêt et ceux-ci étaient habitués à elles. Il n'était pas rare que leur chemin croisa celui-ci d'un lièvre venant grignoter leurs lacets pour quémander quelques feuilles de thym ou celui d'un cerf venant les amuser de quelques bonds majestueux.

Lorsqu'elles s'attardaient entre les arbres et que la nuit les surprenait, elles trouvaient refuge dans une petite cabane perchée dans les branches que Rose Rouge avait construite et que Blanche Neige avait aménagé. Là, elles s'endormaient jusqu'au lever du soleil avant de rentrer chez elle. Leur mère ne s'inquiétait pas car elle savait que ses deux enfants ne risquaient rien.

En été, la cadette faisait le ménage tous les matins, avant que sa mère et sa sœur ne se réveillent. L'ainée, quant à elle, parcourait la montagne, cueillant plantes sauvages et tendant des pièges pour les petits animaux, pour remplir leurs assiettes. En hiver, Blanche Neige entretenait l'âtre où brillait la marmite de cuivre pendue à la crémaillère et sa sœur allait couper du bois pour tenir la famille au chaud.

Un soir d'hiver, alors que tout naturellement, Blanche Neige et sa mère préparaient le souper et que Rose Rouge aiguisait sa dague sans un mot, on frappa de grands coups à la porte.

« Va vite ouvrir, Rose Rouge, » lui dit sa mère. « Un homme cherche peut-être un abri. »

Il était vrai que la nuit était particulièrement froide et les rares routes menant jusqu'à la montagne étaient givrées depuis des jours.

L'aînée obéit à sa mère et tira le verrou.

Un gros ours brun passa la tête dans l'entrebâillement de la porte. Surprise, Rose Rouge recula de quelques pas en arrière, se prit les pieds dans le tapis et tomba sur les fesses. Dans un grand cri affolé, Blanche Neige se jeta derrière le fauteuil tandis que leur mère restait paralysée de terreur.

Sentant qu'elle allait être dévorée, Rose Rouge, tremblante de tout ses membres, saisit la dague laissée sur la petite table de bois qu'elle brandit. Malgré cet acte s'apparentant plus à de la folie pure qu'à du courage, de grosses larmes vinrent perler au coin de ses yeux. La pauvre fillette était morte de peur.

L'ours grogna et secoua sa grosse tête, envoyant voltiger autour de lui des flocons laiteux.

« Ne craignez rien, » grelotta-t-il. « Je ne veux blesser personne... J'ai si froid... »

La famille, étonnée d'entendre l'ours parler ainsi, laissa l'ursidé se glisser dans l'unique pièce de la masure.

D'elle-même, Blanche Neige s'avança vers l'animal et, avec une brosse, lissa l'épais pelage de l'ours brun qui se laissa tomber devant la cheminée. Il ne fallut pas longtemps avant que sa sœur ne délaissa son air de méfiance pour soigner ses pattes abimées par la neige.

A l'aube, il retourna dans les bois et durant tout l'hiver, il apparut chaque soir à l'entrée de la petite cabane pour se réchauffer.

Les années passèrent et les deux petites filles grandirent tandis que leur mère vieillissait. Toutes restèrent bonnes amies avec l'ours. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Mais un beau jour de printemps, alors que les deux sœurs s'en étaient allées cueillir des pommes dans un verger sauvage, une délégation princière croisa leur route.

Le premier prince du royaume s'était égaré lors d'un de ses voyages et il leur demanda l'hospitalité.

Bientôt, lui et Blanche Neige tombèrent follement amoureux. La vieille veuve et sa fille aînée en étaient ravies, bien que la dernière se montra plus circonspecte.

Mais alors que le noble promis à Blanche Neige de l'épouser, celle-ci reçut un étrange présent d'une des femmes qui accompagnaient alors le prince. Un panier de pommes aussi rouges que ses lèvres et lorsqu'elle croqua dedans, elle tomba dans un profond sommeil.

Atterré, le prince repartit chez lui avec ses compagnons, laissant derrière lui sa bien aimée et la famille désemparée.

Si leur mère tenta de la secourir de part son savoir des plantes et des onguents, rien n'y fut et les beaux yeux gris de Blanche Neige restaient obstinément clos. La vieille femme finit par se laisser dépérir de chagrin et elle mourut peu de temps après. Rose Rouge l'enterra dans le jardin et pleura pendant quatre jours et quatre nuits.

Puis, dans la plus belle clairière qu'elle connaissait, elle construit un magnifique cercueil de branches et de métal pour y déposer sa sœur endormie qui resterait là, protégée à jamais par la sylve.

L'ours tenta de la réconforter, mais rien n'y fut et Rose Rouge resta dévastée par le chagrin durant des années et des années. 

Mais entre ses larmes, elle se fit la promesse de soigner sa sœur et de se venger du prince qui la lui avait volée. 


*


Petit prologue de type "conte" retraçant rapidement la vie de Blanche Neige et Rose Rouge avant l'instant fatidique. Le style de conte pour enfants peut paraître assez étrange, mais je le trouve plutôt adapté pour le coup héhé. 

En tout cas, le prochain chapitre est écrit du style "roman" plus traditionnel et on rentrera dans le vif du sujet :)

Rose Rouge & Blanche NeigeWhere stories live. Discover now