Un lourd manteau neigeux recouvrait la boue frigorifiée des montagnes les plus reculées du royaume d'Allbahst. Le givre craquait sous chaque pas, hurlant et gémissant, à la fois avalant et vomissant le silence. Les arbres avaient perdu toutes leurs feuilles, laissant uniquement les sapins et les ifs menacer les cieux pâles de leurs branches recouvertes d'épines grises. Quelques corbeaux croassaient en passant de rameaux en rameaux, se donnant quelques coups de bec au passage, probablement pour se disputer un maigre ver de terre, sûrement le dernier de sa lignée encore en vie. Car avec l'hiver triomphant, c'était l'avènement de la mort et les soupirs exténués de la campagne qui répondait au regard ahuri des hommes. Dans la profondeur des bois, aucun son de venait se glisser entre les fougères rabougries aux tiges figées dans la glace. Aucun son ne résonnait entre les écorces. Aucun son ne sifflait entre les collines mornes. Rien que la stupeur d'une nature surprise par cette dague glacée qui était venue se ficher entre ses côtes sans qu'elle n'ait eu le temps de protester. La forêt, autrefois chantante et grouillante de murmures engageant, était maintenant aussi muette qu'une crypte. Comme un animal blessé, elle s'était repliée sur elle même et ne laissait plus rentrer en son sein que les plus courageux et les plus fous pour découvrir ses mystères, en ne faisant pas la promesse de les laisser un jour ressortir. Carcasse vide, mélange de racines noires et d'os laiteux pour les plus méfiants. Repère dangereux et maudit pour les plus peureux. Singularité étrange et respectable pour les curieux.
Le soleil de l'après-midi caressante avait du mal à transpercer les nuages gros de flocons qui venaient du large, mais durant quelques secondes de répit, le combat cessa et un fin rayon de lumière vint illuminer le sol scintillant comme des centaines de pierres précieuses. Même les plus belles femmes, épouses et filles de nobles, ne pouvaient se vanter d'avoir des cailloux plus incroyables accrochés autour de cou. Car elles étaient là, les plus belles créations d'orfèvrerie. Par terre, habillant chaque courbe, chaque mont et chaque val d'une lueur différente selon la façon dont on la regardait. C'était cela que Rose Rouge aimait. La beauté subtile et pourtant éclatante de la nature qui se muait et ne cessait de se transformer au fil des secondes.
Dans le mutisme du petit chemin reliant la masure de sa famille à la sylve, la jeune femme hâtait le pas. Emmitouflée dans un lourd manteau inconfortable et engoncée dans un pantalon sans couleurs, elle s'était en plus enroulée dans une grosse étoffe de laine et couverte la tête d'une capuche de fourrure de renard pour éviter à la bise glaciale d'entrer en contact avec sa peau. Seuls ses yeux restaient visibles dans cet amas d'épaisseurs sans forme. Son souffle se matérialisait dans l'air comme le sillage d'un fantôme désespérant d'apparaître aux yeux des vivants.
Malgré sa tenue digne d'une sauvageonne et sa marche athlétique, le froid parvenait tout de même à se frayer un chemin jusqu'à ses doigts et ses orteils, manquant de la faire frissonner. Même les habitants de la montagne avaient froid. Elle aurait préféré rester au coin du feu, à se réchauffer les membres et à recoudre ses vêtements avec sa sœur et sa mère, mais cela n'était plus possible. Cela n'était plus possible depuis des années.
Habilement, elle descendit la montagne sans jamais trébucher. Ce chemin, elle l'avait parcouru des centaines et des centaines de fois en dix-neuf ans. Rose Rouge connaissait chaque pierre, chaque rigole, chaque plaque de verglas. Son pied était sûr et son souffle régulier. Elle se rappelait encore avec un sourire nostalgique les jambes tremblantes de Blanche Neige lorsqu'elle manquait, à chaque fois, de glisser sur le moindre dénivelé et qu'elle s'accrochait à sa manche comme une noyée à sa planche. Son aînée se souvenait encore de la sensation du tissu tiré comme si le fantôme de sa cadette se trouvait encore à ses côtés.
Au pied de la montagne, la neige opaque s'était transformée en gadoue brune et opaque.
_Rah ! s'agaça la jeune femme en sortant ses pied poissé d'une flaque.
YOU ARE READING
Rose Rouge & Blanche Neige
FantasyVous connaissez tous le conte. Un conte aussi vieux que le monde. Des lèvres aussi rouges que le sang. Des cheveux aussi noirs que l'ébène. Une peau aussi pâle que la neige. Mais Blanche Neige n'était pas seule dans l'histoire. Lorsque Blanche Ne...