Le ballon ne tenait presque plus entre ses doigts. Fébrile et tremblant, les yeux grand ouverts et emplit de désarroi, il fixait la sphère rouge et verte entre ses mains. On venait de siffler l'arrêt du match. Un coup de sifflet qui avait retentit dans la vaste salle. Un sifflement aigu qu'il avait été habitué à entendre lors de leurs victoires. Quand il retentissait, c'était un pur moment de joie. Il sautait partout sur le terrain, un sourire radieux jusqu'aux joues et se confinait dans les bras de Sugawara, Tanaka et parfois même dans ceux de Kageyama. Mais aujourd'hui , ce sifflet lui avait simplement transpercé les tympans, comme on avait enfoncé une flèche dans sa poitrine au même moment. C'était la deuxième fois de sa vie que cela lui arrivait.
La défaite.
La première étant cette rencontre au collège, une défaite écrasante contre "le roi du terrain" et son équipe, contre qui il n'avait rien pu faire. Il n'avait eu la force que de motiver son équipe à jouer, à continuer d'avancer, même si il avait su que s'en était déjà fini d'eux. Et cela dès le départ. Ils n'avaient marqué que deux points. Une défaite monstrueuse, qui l'avait hanté un an. Qui l'avait motivé à s'entraîner jour et nuit comme il l'avait brisé, déjà plus d'un soir, dans un fichu espoir de pouvoir battre celui qui l'avait en parti détruit. Le roi du terrain. Ce nom. Rien que de se remérorer ces quatre mots, il se rappelait des crampes d'estomac qu'il avait supporté, des douleurs sous lesquelles il s'était tordu dans son lit, entre deux larmes. Comme c'était douloureux,
La défaite.
Une déchirure. Un «Frcchhhh» dans le cœur, comme l'aurait dit Hinata. C'était d'ailleurs lui, au milieu du terrain. La tête baissée, les mains de chaque côté du ballon, les jambes encrées dans le sol. Totalement immobile.
Ses coéquipiers le regardait, de leur côté, sans vraiment savoir ce qu'il en était. On chuchotait derrière son dos, des remarques, des sortes d'hypothèses sur ce comportement si peu habituel. Sur ce soleil, comme on l'appelait, qui tout à coup avait fait de l'ombre sur le terrain. Un homme aux cheveux blancs, dans son ombre, paraissait inquiet, à côté d'un grand homme aux cheveux attachés en chignon. Le protagoniste jetait des regards aux alentours, puis s'arrêta pour venir fixer un joueur de dos, qui regardait seul la scène. Le nº9. Ayant l'air d'avoir eu une idée, il interrompit soudainement sa discussion avec le champion de l'équipe, Asahi, par une phrase, un sourire et quelques mots à son intention, puis Sugawara, l'aîné du rouquin, alla voir le passeur et lui chuchota quelques mots, auquel il grimaça quand ces derniers lui parvinrent. Quand le plus âgé le regarda avec insistance, en pointant discrètement du doigt le maillot nº10, Kageyama déglutit et acquiesça sans faire d'histoire.- « Fais en sorte d'être doux quand même, hein? Et ne force pas trop, surtout, lui sourit amicalement Sugawara.
- Mh, répondit le concerné, avec une moue boudeuse ».
Kageyama s'éloigna alors de son aîné et s'engagea sur le terrain, non sans un soupir. Pourquoi c'était à lui que l'on confiait cette tâche? C'est vrai quoi, "être doux", c'était pas vraiment son truc. Sugawara était meilleur que lui dans ces choses-là. De plus, l'être envers Hinata. Il avait réellement foiré toutes ses passes aujourd'hui, cet idiot. Ce n'était pas normal. Il s'était donné à fond, mais cela n'avait abouti qu'à un 25-12 pour Aoba Josai. Ils avaient vraiment été forts. Ou alors eux vraiment nuls? C'était aussi à prendre en considération. Après tout, un tel écart était-il admissible?
Dans la salle, et plus particulièrement de ce côté du filet régnait une atmosphère lourde. Des applaudissements et des messes basses, ainsi que quelques habitués qui félicitaient Karasuno pour ce bon match. Bon.
Réellement? Kageyama grogna intérieurement.
De loin, on pouvait percevoir les cris hystériques de filles obsédées par ce stupide Oikawa, qui ne cachait pas son plaisir à rendre des baisers à ses admiratrices. Franchement, quel abus, pensait-il tout en avançant.
Le brun s'extirpa soudain de ses pensées quand une touffe rousse se dressa devant lui. Il hésita un court instant, ne sachant comment s'y prendre, puis posa délicatement ses mains sur ses épaules avant de lui chuchoter un unique "Hé, Hinata, ça va?".
Il n'eut pas de réaction.
Il sentait seulement des épaules tremblantes sous ses paumes, qui paraissait vouloir se détendre, en vain. Enfin, après quelques minutes, Kageyama lui reposa cette même question, en se penchant à l'oreille de son coéquipier. Il prit une voix qui se voulait rassurante; à vrai dire il faisait comme il pouvait.
Cette fois-ci, Hinata sembla donner signe de vie et relâcha la tension de ses épaules dans un long souffle. Kageyama fronça les sourcils. Il était maintenant complètement immobile, le ballon toujours pressé entre ses deux mains. De là où il était, Kageyama crut même voir les ongles de son partenaire s'enfoncer dans le cuir. Le nº9 haussa un sourcil avant de les retrousser sur l'arrête de son nez.