Chapitre 3

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Viktor ne prononça pas un mot lorsque Bransac redescendit le voir et lui enleva la chaîne à sa cheville. Il se tut et, au vu du sourire narquois du pirate, celui-ci trouvait la méfiance du garçon amusante. Il le laissa marcher jusqu'au pont. Le regard du jeune vampire se posa alors sur la vaste étendue bleue, et il se perdit dans la contemplation d'une mer qu'il avait envié pendant si longtemps.

Il avait toujours voulu faire partie d'un équipage, monter sur le mât et affronter les périls des vagues. Il en avait rêvé des journées entière alors que Mère lui contait comment son géniteur avait gagné sa réputation, et que son précepteur lui parlait de toutes les nouvelles découvertes que les hommes faisaient. Viktor s'était sentie happé par ce besoin de partir à l'aventure, lui aussi.

Deux cents ans plus tard, la mer lui paraissait n'être qu'un grain de sable d'une existence qui ne lui appartenait plus vraiment.

Bransac eut un léger ricanement en voyant l'air absolu du garçon face aux vagues. Celui-ci fixa l'eau jusqu'à ce que le bateau entre dans le port et que le pirate le pousse devant lui. Ils avaient navigué en fin de journée, et il s'assura de n'emprunter que des routes peu fréquentées pour éviter les regards curieux sur le vampire.

Lorsqu'ils arrivèrent devant sa demeure, Bransac vit l'hésitation qui agitait le garçon, comme s'il voulait tenter une nouvelle fuite. Aussi lui claqua-t-il une bonne bourrade dans le dos, le forçant à pénétrer dans la maison. Une jeune-femme accourut immédiatement à leur chevet, et Bransac fut heureux de reconnaître Tyla. Ce n'était peut-être pas une vampire, mais c'était la moins curieuse de tout son personnel.

Elle le débarrassa de son manteau, lui demanda s'ils désiraient qu'elle ne prépare quoi que ce soit. Bransac la renvoya d'un geste de la main et se contentant de lui demander sa discrétion sur son hôte de la soirée.

Et Bransac était un homme suffisamment étrange pour qu'elle obéisse sans poser la moindre question.

-Maintenant, nous ne sommes que deux, mon garçon, s'exclama alors l'homme en lui donnant une nouvelle bourrade dans le dos, et Viktor montra les crocs.

Bransac lui traîna jusqu'à l'étage et il lui désigna la première salle sur sa gauche. Viktor ouvrit la porte et releva les yeux sur le premier objet dans son champs sa vision: un immense miroir. Il s'approcha avec stupéfaction jusqu'à toucher la glace, incapable de croire que l'homme qui apparaissait était bien son reflet. Il avait gardé à l'esprit ce jeune humain de vingt-cinq ans, noble et au sourire constamment aux lèvres. C'était l'époque où il fréquentait ces semblables tous les jours, et aidait son père à organiser des banquets lorsqu'il revenait de ces longs voyages. C'était l'époque où tout criait chez lui qu'il était le fils aîné des Dambrey, déjà diplomatique et de bonne conversation.

Ses cheveux et sa barbe étaient bien trop longs, bien plus long qu'il n'en avait eu l'habitude, avant. Sa peau paraissait également beaucoup plus pâle, presque d'un blanc laiteux qui aurait beaucoup mieux sailli à une dame. Cela le rajeunissait encore de quelques années, si bien qu'il grimaça. Ses habits s'étaient usés avec le temps, sans qu'il ne s'en rende réellement compte. Cependant, ce n'était pas tant ces détails qui le troublait. Il n'avait que très peu songé à son hygiène ces dernière années, après tout. Même si ces aïeux devait le maudire depuis les cieux, Viktor tenait bien plus du mendiant que du noble désormais.

Non, ce qui le tétanisait au point qu'il se reconnaisse à peine, c'était ses deux grandes pupilles d'un rouge bordeaux sombres, bien plus sombre encore que celles d'Annabelle. Il se pencha encore un peu plus sur la glace, et montra les crocs, sans même le vouloir. C'était le premier instinct qu'il avait développé à son réveil. Et les pupilles bordeaux s'écarquillèrent lorsque le garçon vit deux canines pointus dépassaient la bordure de ses lèvres. Inconsciemment, il y porta le doigts, et fut surpris lorsqu'il se coupa.

Entre nos crocsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant