~ Une orange bleue comme la Terre ~

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« C'est l'histoire d'une orange qui est tombée d'un chariot rempli de ses compères. Elle ne le savait pas encore mais elle était partie pour une grande aventure.


Elle roulait le long d'une route d'une ville ensoleillée qu'elle avait confortablement montée en bonne compagnie grâce à son ami l'âne. Elle l'aimait bien mais c'était un bourreau des jus, pour lui toutes les oranges étaient les mêmes et il n'aurait même pas pu se rappeler de son nom. Il y avait des chances qu'il ne remarque même pas sa disparition de cette foule d'oranges. Elle allait devenir une orange anonyme, oubliée de tous. Mais comme elle n'avait rien à faire d'autre elle roula, elle le fit par choix et pas parce que de toute façon elle ne pouvait pas s'arrêter. Elle acceptait sa nouvelle condition d'orange anonyme et ça lui allait même de finir dans un canard.


La route tournait mais elle non, elle continua son chemin, déterminée. Elle traversa courageusement le vide qui l'attendait avant d'atterrir sur la tête d'un canard, qu'elle assomma sur le coup. Elle continua sa route et passa sous la barrière d'un enclos, en savourant sa vengeance pour toutes les oranges qui avaient finies en accompagnements canardiens. Enfin, elle pensait que c'était ainsi qu'on le disait. Ensuite elle se demanda à quoi cette vengeance avait-elle servi mais aussitôt, la route bifurqua à nouveau et elle roula sur une toiture.


Du haut du toit, elle entendait des bruits de fête et des éclats de rire. Alors qu'elle s'apprêtait à tomber, ralentie par les dédales des tuiles, quelqu'un déclara « Pour fêter l'occasion, voici ma meilleure bouteille ! » et les gens répondirent avec des « Oooh » et des « Aaaah ! », elle se dit qu'il y avait sûrement de la place pour une orange toute mignonne dans une aussi belle fête ! Puis elle tomba. Sur la bouteille de vin. « Pouirrsssttt ! » fit la bouteille. « Aaaaaa ! » firent les gens. « Poump » fit l'orange en tombant par terre parmi les éclats de verre. C'était un « Poump » bien triste, sans doute le plus triste de sa vie. Le beau gâteau aux fraises, cerises et oranges confites était maintenant couvert de vin rouge et de débris de verre. Ce qui restait de l'inscription souhaitait un « Joy 5 an  d age » et elle se dit que peut-être était-ce l'anniversaire d'un enfant de 5 ans qui s'appelait Joy. Du coup, c'était malpoli pour lui de boire de l'alcool, donc ils étaient aussi en tort mais la pauvre orange ne pouvait se pardonner d'avoir gâché la mort de ces pauvres sœurs qui s'étaient parées de leur meilleur jus pour offrir un dessert inoubliable aux convives et au petit enfant. Elle continua à rouler au loin, le plus loin possible de ce massacre, sous les invectives des invités, en se disant qu'elle pourrait tout aussi bien disparaître après avoir commis un tel crime et qu'elle le méritait après tout pour avoir voulu se venger de ce pauvre canard.


Elle roula à travers la ville, tout droit vers la mer, éblouissante sous la lumière du jour. Elle se dit qu'elle ferait aussi bien de s'y perdre après ce qui venait de se passer et continua de plus belle. Elle entendit d'un coup quelqu'un parler devant elle et pria pour ne pas lui faire de mal aussi « Tu sais, je pense qu'il est temps pour notre relation d'évoluer... ». Une femme lui répondit et l'orange pensa qu'elle ne pourrait pas éviter les deux « Tu ne sais pas jouer d'un instrument, ce n'est pas comme si je pouvais te prendre dans mon groupe. » Elle les entendait de plus en plus et commençait à les voir, l'impact était imminent et elle prenait de plus en plus de vitesse... « Non, ce n'est pas ça que je veux dire... écoute, je... ». L'orange joua au bowling pour la première fois de sa vie. Elle se dit qu'elle le montrerait à ses amies si jamais elle les revoyait puis se dit que c'était un sport dangereux au final et qu'elle ferait mieux de l'emporter avec elle sous les flots. « Aaaaa » cria l'homme, que l'orange avait fait tomber sur la femme, leurs bouches avaient l'air de s'être cognées l'une l'autre et l'orange était contente en voyant ça de ne pas avoir de bouche, puis elle reprit son chemin, se disant qu'elle avait une raison de plus de sombrer. « Oublie ce que j'ai dit, tu rentres dans mon groupe, maintenant on fera tout le temps des duos ensemble ! » « Waaaah ! ». Elle les avaient faits tomber mais ils avaient l'air heureux malgré tout, alors l'orange eut le sentiment d'avoir fait quelque chose de bien, et se dit qu'il n'était pas trop tard pour rattraper ses erreurs et aider à rendre le monde meilleur, à sa façon.


Elle fit le souhait de ne plus finir dans l'eau, mais elle ne dût pas le souhaiter assez fort car elle atteignit une digue d'où elle sauta pour ensuite atterrir dans l'eau. Elle devint alors bleue comme la Terre. Elle ne fit pas de plat comme elle était ronde, et elle en remercia sa mère nourricière, l'oranger, et sa mère biologique, la Terre, dont elle tirait sûrement le gène de la rondeur. Puis elle pria, pour ne pas finir ainsi au fond des eaux, oubliée de tous, alors qu'elle était si jeune et juteuse... Elle était sûre qu'elle rendrait plus d'un enfant heureux, même ceux qui n'aiment pas les fruits ! Mais personne ne l'entendait et elle s'enfonçait inexorablement.

Soudain elle sentit un souffle chaud sur sa peau douce de jeune orange. Elle fut ensuite avalée vivante et flotta dans le tube digestif d'une énorme bête. Elle resta ensuite dans son ventre pendant quelques jours, se demandant ce qui allait se passer pour elle, si elle allait finir mangée par une bête rustre qui n'avait même pas pris la peine de la déshabiller avant ou rester à jamais dans ce gros ventre où la vie était confortable mais monotone. Alors qu'elle avait perdu le fil du temps, elle sentit l'eau s'agiter autour d'elle. Quelque chose se préparait. Allait-elle finir ainsi, maintenant, alors qu'elle n'aura pu être un bon repas pour personne !? Non, elle ne pouvait pas l'accepter ! Elle se laissa porter par l'eau, prête à se battre jusqu'au bout. L'eau monta, monta puis explosa en un geyser. Elle était dehors.

L'orange volait dans le ciel, elle se disait que c'était un sentiment bien agréable mais elle savait que sa chute ne saurait tarder. Elle finissait toujours par tomber de toute manière, c'était l'orange la plus maladroite de sa famille. Elle avait même été la première orange mûre à tomber des branches de sa mère. Elle ne pouvait rien contre sa maladresse, juste l'accepter et s'y adapter du mieux qu'elle le pouvait. Ainsi, elle accepta sa chute, se préparant mentalement au choc. Elle tomba contre la surface de l'eau puis remonta en l'air. L'eau ne la voulait pas, elle la refusait. C'est comme si elle lui disait que sa place était ailleurs, sur le sol ferme peut-être ? Ou dans une assiette ? Elle voyait un rivage inconnu à quelques mètres. Elle retomba encore contre la surface puis décolla, un peu moins haut cette fois. Elle se rapprochait de plus en plus. Après 3 bonds de plus, elle atteignit la plage et se nicha dans un trou de sable creusé par ses soins.


Elle ne savait plus quoi faire maintenant. Son voyage avait l'air d'être fini mais elle ne voyait pas ce qu'être dans le sable lui apportait ? Enfin, elle avait toujours aimé bronzer donc ce n'était pas désagréable. Elle fit un somme comme au bon vieux temps où elle était encore une enfant orange et que sa maman la berçait avec l'oncle vent.

Quand elle se réveilla, elle vit l'eau se rapprocher dangereusement. Elle se dit qu'elle était venue la réclamer, qu'elle allait finir oubliée dans les profondeurs au final ! Mais quand l'eau commença à l'envelopper, je me suis penchée pour la ramasser. Trop heureuse d'avoir été sauvée, elle me raconta son aventure et comment maintenant elle souhaitait se faire pardonner en apportant du bonheur à un enfant, après avoir gâché le gâteau d'un autre... Je lui dis que mon enfant avait 5 ans et elle se laissa rapporter à la maison, le sourire à la peau. Elle accorda toute confiance en mes mains expertes pour la préparer de la manière la plus délicieuse qui soit. Maintenant, la voilà dans ton assiette, attendant que tu lui offres la rédemption en t'en nourrissant, en souriant grâce à elle et en ayant ensuite l'énergie pour toute la matinée. Donc mange-la mon chou, tu ne vas pas lui refuser ça après tout ce qu'elle a traversée non ? »


Cela faisait un mois depuis que j'avais prononcé mon refus de manger tout fruit et légumes. Un mois d'échec. La façon dont les fruits et légumes se mettaient en travers de mon assiette pour empêcher mes plans forçaient l'admiration. En plus, ils souhaitaient mon bonheur. Je suis tellement ému que je pourrais pleurer en mangeant cette orange, mais ça serait une défaite... Je commençais à secrètement dessiner des super-carottes ou des pommes médecins et je crois que je me mettais à vraiment apprécier leur goût, en plus de leur courage. Peut-être devrais-je faire quelques exceptions... Après tout, ce midi il y avait un céleri revenu de la guerre du Chou en parachute et ce soir, une aubergine qui avait traversé les Alpes à dos de cochon... J'ai déclaré à ma mère, d'un air gêné, vouloir qu'elle me fasse aussi des légumes plus tard en accompagnement et elle me répondit d'un grand sourire « Ce sont vraiment des super-héros hein ? ».

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