~ Passé & Vie ~

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La froideur du bus m'avait paru accueillante face à la chaleur écrasante de dehors. Dans cet « Ici » éternellement changeant, je me pris à rêver de mon passé, qui lui ne changerait plus jamais.

Ce post-it entouré par la poussière dansante dans les rayons de soleil. Ces deux simples mots m'ont fait vivre en pleine éclipse.

Ce beau vase fermé, décoré de chrysanthèmes, devenu en peu de temps le centre de la maisonnée. Il était rempli de regrets, à l'image de mon cœur.

Cette tache rouge qui grandissait sur le parquet blanc. Elle s'était maintenant logée sur mon âme.

Cette bagarre que j'avais eu enfant, au sujet d'un amour naissant. Même les choses sans importance blessent un cœur meurtri.

Il semblait que je sois déjà arrivée, sans même m'en rendre compte. Le bus s'était arrêté pour de bon. Néanmoins, l'endroit où il était ne ressemblait en rien à ma destination. Les larmes aux lèvres, je partis parler au conducteur. Il me devança à mi-chemin.

« Voulez-vous la recommencer ? Votre vie. Souhaiteriez-vous repartir de zéro ? »

Encore plongée dans mes souvenirs, j'y réfléchis sérieusement. Ce serait une chance de la sauver. Une occasion de ne pas avoir à vivre avec un fardeau aussi lourd. Avec des ténèbres dévorant toute lumière. Je n'ai plus rien qui pourrait me faire espérer le bonheur. Quelque part, je n'aurais rien à perdre. Mais recommencer signifierait aussi que toutes ces années de souffrance n'ont servies à rien. Que j'ai souffert en vain pour un futur que je ne verrais jamais. Dire que tout cela n'avait aucun sens me détruirait. J'ai toujours fait de mon mieux pour être heureuse et je me dois de respecter mes efforts. Au final, j'ai surtout peur. Peur du vide que serait mon existence. Peur que ma prochaine vie soit pire. Peur de l'être que je suis.

« Je préfère une vie de souffrances traversées qu'une vie de souffrances à venir.» D'autres arriveront sans doute mais l'incertitude de l'avenir me rendait le présent moins amer.

Il hocha de la tête. « Prenez alors la ligne Vie, juste en face. »

Je lui fis un signe de la tête sans le regarder pour le remercier. Il me répondit avec la formule d'usage. « Merci d'avoir utilisé la ligne Passé, nous vous souhaitons une agréable journée. » « Vous de même. » lui répondis-je, quoique l'absence de soleil ou de lune m'empêchait de savoir si c'était le jour ou la nuit. Tout était brouillé autour de moi, comme si rien n'avait de forme définie. Les deux seules choses reconnaissables étaient mon bus et un autre, sans doute celui que je devais prendre.

Je suis montée et ai pris directement la même place, sans dire un mot au conducteur. Il démarra et je sentis une douce chaleur réconfortante m'envahir. Elle me rappela d'autres souvenirs.

Le sourire rayonnant de ma sœur qui m'encourageait toujours même si elle était meilleure en tout. Y repenser me donnait encore la force de persévérer.

Les douces caresses de mon ami, qui avait voulu rendre ma vie meilleure au péril de la sienne. Même parti, son vœu de bonheur sincère était resté en moi et je souhaitais être capable de le réaliser un jour, par reconnaissance.

La chaleur de ma famille, lorsque nous étions tous réunis pour notre repas traditionnel du dimanche, autour de délicieux plats et desserts. J'avais envie de revivre cette scène nostalgique et de passer de tels moments avec une famille que j'aurais construite.

Tous ces souvenirs du passé étaient lourds de regrets mais me permettaient aussi de continuer à avancer, et d'espérer qu'un jour apparaîtront d'autres souvenirs précieux que je pourrais ainsi serrer contre mon cœur.

Le passé était une force et un obstacle, il donnait la force de vivre et d'espérer mais apportait aussi le désespoir, faisait penser que les moments heureux n'existaient plus. Je me sentais pitoyable de ne pas avoir eu le courage de tout oublier et recommencer mais je venais de réaliser que respecter ma souffrance et vivre pour revivre d'autres moments heureux comme ceux perdus n'était pas si mal.

J'ouvris les yeux, me demandant quand je les avais fermés, et me rendis compte que j'étais arrivée à destination. Je sortis en même temps que d'autres personnes, apparues sans que je m'en aperçoive. La chaleur me parut moins insupportable, j'eus le sentiment que mon cœur nageait encore dans une douce tiédeur et je souris en me rappelant que c'était la même sensation qu'être enlacée par des bras affectueux.

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