P O U R Q U O I

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Salut.
Excuse-moi d'appeler aussi tard, mais tu sais, j'ai beaucoup de questions à te poser, et j'espère que tu auras les réponses. S'il te plaît. DIs-moi, pourquoi t'es plus là ? Pourquoi tu m'as laissée ? Dis-moi, à quoi t'as pensé ? Pas à moi, en tout cas... Enfin, je ne crois pas. Dis-moi, est-ce que c'est mieux comme ça ? Dis-moi, pourquoi tu ne pouvais plus rester avec moi ? J'ai juste l'impression d'avoir manqué certains signes, depuis que tu es parti, et le soir, je me pose des questions et regarde le plafond de ma chambre, pendant des heures. Je crois même que maintenant, je le connais par coeur. Dans un coin, il y a une mince fissure, qui fait écho à celle dans mon âme, et j'ai oublié de décrocher le ruban écarlate qu'on avait accroché à Noël. Pourtant, maintenant, nous sommes en février, sauf que j'ai plus la force, plus l'envie de me lever. Alors je regarde les motifs et je souris, en retenant mes larmes devant un flot de souvenirs. Mais pourquoi, pourquoi t'as fait ça ? Pourquoi ?
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Submergée par l'émotion, la jeune fille aux yeux verts scintillants de larmes replia ses jambes et, assise par terre, appuyée contre son lit, entoura ses genoux de ses bras pour y cacher son visage. Ainsi, elle ressemblait à une frêle poupée de porcelaine, prête à se briser au moindre geste brusque, et seul le téléphone continuait de diffuser une douce lueur bleutée dans la chambre. Le message enregistré n'était pas fini, mais elle avait du mal à continuer, et le réseau avait encore une fois décidé de jouer, coupant la communication et la laissant seule. Elle n'aurait pas du s'en soucier autant, ne parlant qu'à une voix qui ne lui répondrait pas, mais elle en était malgré tout désolée, presque frustrée. A l'heure où seules les étoiles, muettes, écoutaient, elle avait envie de parler, de tout lâcher, de tout crier. Alors elle composa à nouveau le numéro, et ses traits fins retrouvant une attitude plus posée pour camoufler ses tourments, elle continua. Sa voix était à peine plus élevée qu'un murmure, mais était un véritable cri du coeur... Elle avait été silencieuse trop longtemps. Peine, douceur et tendresse se mêlèrent, puis elle continua son histoire, cachée dans son Royaume de Nuit.
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Salut.
Désolée, ça a coupé. Désolée, je suis égoïste. Je me doute que tu as tes raisons d'avoir fait ce que tu as fait, et je suis simplement désolée de n'être pas assez. Je suis simplement désolée de n'avoir pas su te garder avec moi, te protéger, t'aimer. Désolée, j'ai pourtant essayé, mais je n'avais que mon amitié, mon affection, ma loyauté à donner. Alors tu as choisi de t'éloigner, et maintenant j'ai envie de pleurer. Tu sais, je regarde souvent, malgré tout, les messages de notre groupe d'amis, qu'eux aussi tu as laissés. Ils s'inquiètent pour moi. Ils disent qu'il faut que j'arrête de penser à toi, ou plutôt de me torturer comme ça, et que je ne garde que nos bons moments, nos fous rires, le soulagement dans tes bras, ta voix. Ils s'inquiètent pour moi, mais eux aussi ont mal, même s'ils pensent que je ne le vois pas. Tu nous as tous blessés, mais je suis désolée. Désolée qu'on ait pas suffi pour te faire rester. Pourtant, il paraît qu'on t'a fait hésiter.
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Tous ces mots, la jeune fille aux mèches de jais les pensait, restant un instant figée, préférant raccrocher tandis qu'elle se mettait à sangloter. Personne ne savait, sinon ce petit groupe d'amis encore très lié et uni dans la peine, à quel point elle avait mal vécu ce départ. Devant les autres, elle souriait doucement, de ces sourires qui n'amenaient aucune étincelle dans ses yeux, elle discutait, elle continuait d'être l'adolescente modèle, douée en classe, sérieuse pour son avenir, calme, enjouée, loyale, intelligente et courageuse, sans insolence envers ses parents, toujours prête à aider ceux qu'elle aimait, et plaisantant avec sa classe, en riant aux éclats. Elle ne craquait jamais, ne montrait ni peine, ni colère, ne criait pas, ne pleurait pas, n'élevait jamais la voix. Elle était Cassidy, simplement, enfant parfaite, en apparence, motif de fierté, à la vie paisible, assurée. Mais elle ne pouvait garder ce masque si parfait, une fois la porte de sa chambre fermée, le silence couvrant les paysages au-dehors, et trop souvent, en plein devoir pour le lycée, elle réalisait qu'elle s'était mise à pleurer. La voûte céleste était sa confidente, en un silence et quelques larmes... Ses parents n'avaient rien su de ce qui s'était passé après la séparation, et ne sauraient sans doute jamais. Ils savaient simplement qu'en apprenant la nouvelle, elle était restée une journée allongée sur son lit, à fixer le plafond, sans parler, sans manger, sans bouger, à contempler, sans doute, des souvenirs qu'elle seule pouvait comprendre, tandis que le ruban écarlate flottait dans la brise. De l'aube au crépuscule, elle n'avait pas bougé. Et le soir, enfin, elle avait pleuré. Un mois avait passé, mais elle était encore brisée, et avait l'impression que rien ne la réparerait jamais. Elle ne pourrait pas oublier, et ne voulait même pas essayer.
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Salut.
L'autre message était trop long. J'avais les larmes aux yeux. Alors je recommence, sous un ciel bleu. C'est la nuit, ici. Tu le saurais, si tu n'étais pas parti, et si tu n'avais pas semblé emporter avec toi toutes les étoiles, toute la lumière du monde. Je viens d'appeler Neeve. Elle pleurait, et le pire, c'est que ce n'est pas la première fois. Le pire, c'est que chaque fois, c'était à cause de toi. Maintenant, elle est près de moi, et Simon, que je n'ai jamais vu agir ainsi même s'ils s'adorent, puisqu'il n'y en avait aucune nécessité, la serre dans ses bras. Mais le pire, je crois que c'est Mélissa. Elle a les yeux rouges, elle est pâle, immobile, et ses cheveux courts flottent dans le vent. Elle pleure silencieusement. Elle ne bouge pas. Elle ne parle pas. Enfin, si, juste un peu, parfois. Elle me parle, à moi, elle me parle de toi. Et parfois, elle aussi demande pourquoi. Sauf que je ne sais pas quoi lui répondre, alors je secoue la tête, efface une larme du bout des doigts. Je ne les avais jamais vus comme ça. Pas quand tu étais encore là. J'en ai assez, si tu savais ! Reviens ! Reviens ! Mais reviens, putain ! Si t'es pas insensible, écoute-nous pour une fois, et reviens !
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Cassidy releva un instant ses yeux verts du téléphone sur lequel elle venait de crier, son visage pâle encadré d'une rivière de soie noire marqué par la tristesse, à genoux entre les arbres, pour contempler la scène qu'elle venait de décrire, un peu plus loin. Aucun de ses trois amis n'avait entendu sa voix s'élever puis se briser... La jeune fille aux prunelles d'émeraudes sourit doucement : c'était mieux comme cela. Ils ne devaient pas porter sa douleur en plus de la leur, Neeve et Mélissa l'inquiétant déjà, tandis que Simon, pour elles, restait fort. L'adolescente de porcelaine était la plus jeune, mais certains évènements l'avaient fait grandir trop vite, et une maturité trop grande pour ses quinze ans à peine se lisait sur ses traits posés, tandis qu'elle laissait son visage offert au vent frais. Ses joues rosies par la brise, elle inspira profondément la fragrance qu'elle ne savait pas décrire, si froide, et resserra son manteau blanc autour de son corps mince, avant de retourner vers les autres, esquissant un pas de danse léger mais sans espoir dans la poudreuse décorée de ses empreintes. Entre deux grands arbres, ils avaient allumé un feu, et restaient là, tous les quatre, plutôt que de rentrer dans la petite maison de bois qu'ils partageaient, pour des vacances, pour s'amuser, profiter de la neige ensemble, avaient-ils dit à leurs parents pour que ceux-ci acceptent. Mais en réalité, ils avaient eu besoin de se retrouver pour pleurer, pour ne pas aller trop loin, pour s'épauler et remonter la pente. Ils s'aimaient, vraiment, et la benjamine avait envie de dire qu'ils s'en sortiraient, mais c'était difficile. Elle aurait tant voulu pouvoir reculer, prendre le contrôle du temps, retourner ce sablier et retrouver ces jolis moments qu'ils désignaient comme "avant"... S'asseyant près de Simon, elle se noya dans ses prunelles sombres, et ils échangèrent un regard qui valait mille mots.
Ils devaient continuer d'avancer, ensemble, ne pas s'abandonner, jamais, ne pas se briser davantage qu'ils l'étaient. Ils seraient toujours là, les uns pour les autres, veillant, se protégeant, frères et soeurs dans la joie et les pleurs. C'était une promesse.
Un peu rassérénée, la main de l'adolescent à côté d'elle s'entrelaçant à la sienne, Cassidy reprit le téléphone pour un nouveau message.
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Salut.
Le téléphone n'a pas aimé que je crie. Ou alors il n'a pas aimé le fait que tu sois parti. Ou il n'a pas aimé les questions de Neeve. Ou les réflexions de Mélissa sur la vie. Simon reste simplement, tout près, une main sur l'épaule de Neeve, le bras autour de mes épaules, et son autre main est entrelacée à celle de l'adolescente qui a été ta petite amie. Mélissa, la seule, celle dont tu as été fou amoureux, tu m'avais dit. T'avais promis de pas partir, pourquoi t'as menti ? Enfin... Non, oublie. Le téléphone m'a rappelé, une fois déjà, que je ne devrais pas m'énerver. Mais c'est la seule chose que je parviens à faire à part pleurer. Pourtant, je devrais pas, je devrais pas me sentir trahie ! Mais j'y peux rien. Chacun son tour d'être égoïste. J'aimerais tellement que tu reviennes, j'aimerais tellement que tu sois encore là. Mais tu n'écoutais pas, et tu n'entends toujours pas.
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La jeune fille aux yeux d'émeraude et aux mèches de jais fut tirée de ses pensées et de ce chuchotement par une caresse de Mélissa sur son bras, du bout des doigts, relevant la tête et croisant le regard noisette de son alliée dont les courts cheveux chocolat entouraient joliment le visage, un regard triste mais qui, pour la première fois, semblait plus vivant. Elles échangèrent un sourire, puis Cassidy posa son téléphone et attira lentement la brune dans ses bras, la berçant doucement. Les bras de celle-ci se placèrent autour d'elle, se nouèrent dans son dos, et malgré les quelques larmes de son amie, la cadette songea que Mélissa s'en sortirait, elle aussi, avec du temps. Ils seraient là, toujours... Près d'eux, Neeve et Simon, main dans la main, contemplaient le ciel, leurs peaux d'ébène se mêlant, des fragments de ciel tout blancs se déposant dans leurs cheveux. Le garçon, songeur, murmurait à l'adresse de sa meilleure amie, et celle-ci, en croisant le regard de Cassidy, lui tendit la main, l'invitant à venir plus près. Bientôt, tous quatre, sous la voûte céleste, restaient assis dans la neige, leurs doigts entrelacés, se racontant des histoires et jouant un peu de musique, au milieu de la nuit.
Les mélodies et les voix s'élevèrent, jusqu'à la lune et au-delà, puis le silence revint. Mais cette fois, ils ne pleuraient pas. C'était un de ces moments dont on ne réalise pas immédiatement la portée, et qui pourtant, marque un nouveau départ. Bientôt, ils rentreraient chez eux, reprendraient l'école, et ils devraient dire au revoir, en un dernier message, malgré les larmes... Ensemble.
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Salut.
Ce message sera long, mais c'est le dernier. Je te le promets. C'est pour ça qu'on est quatre, dans la lumière bleutée de l'écran qui éclaire nos visages, pour que je puisse conclure tout ça. Allez. J'ai mal, comme eux, tu sais. Je frissonne, mais ce n'est pas de froid, et Mélissa est en train de sangloter. Neeve regarde le plafond, elle aussi, je crois, avec un triste sourire aux fissures, au ruban rouge qui décore encore ce foutu blanc. Blanc, blanc, blanc et écarlate. Simon ne dit rien. Il attend, simplement, ferme les yeux douloureusement. Lui aussi tu l'as blessé. Mais qu'est-ce que t'as faitt, qu'est-ce qu'on a fait ? Le pire, c'est que même si je t'appelle encore, je sais que tu ne répondras plus, et que ces messages, tu ne les écouteras jamais. Blanc, comme ta peau si pâle après le rouge de ton sang, qui t'a entouré, tachant tes vêtements. Blanc, comme tes draps, sur lesquels des dessins rouges jouaient. Blanc, comme le contour des pupilles de tes amies, nos amies, qui peu à peu devient rouge parce qu'elles ont trop pleuré. Blanc et rouge, rouge et blanc.
Je suis tellement désolée. Mais rien de ce que je dis ne pourra te ramener.
Dis... Est-ce qu'on a été à ce point aveugles, impuissants, est-ce qu'on était à ce point de mauvais amis ? Dis... Est-ce que c'était si horrible, que tu ne puisses continuer ta vie ? Pour que tu prennes cette lame, un soir, et qu'après le lyce, après avoir ri avec Neeve, écouté le violon de Simon, le mien, appelé Mélissa et m'avoir serrée longuement dans tes bras, tu te coupes les veines des poignets ? Pour que tu entailles profondément et regardes ton sang couler ? Pour que tu prennes ces gélules colorées, en grande quantité, pour t'envoler ? Pour que le monde devienne flou et que tu fermes les yeux, à jamais ? Pourquoi tu n'as rien dit ? Pourquoi t'as menti, pourquoi t'as dit que tu commençais à aller mieux ? Pourquoi tu ne nous disais pas tout ? Pourquoi tu fermais les yeux quand je tentais de lire ton regard, et pourquoi tu jouais à cache-cache avec nous et tes marques, quand on voyait que tu n'allais pas bien ?
Je suis tellement désolée. Mais rien de ce que je dis ne pourra te ramener.
J'aurais tellement aimé pouvoir tout arranger, j'aurais tellement voulu réussir à effacer tout ce que tu m'as raconté, tout ce qui te déprimait, te faisait pleurer, crier, t'anéantissait. J'aurais tellement aimé faire plus que t'écouter, te parler, même si tu dis dans ta lettre que ça t'aidait. Une lettre. Une lettre. Bordel, j'ai envie d'entendre ta voix, moi, et pas forcément celle de ta messagerie, une voix préenregistrée, cette voix en conserves pour les déprimés dont les amis ont sauté, se sont envolés. J'ai envie que tu me prennes dans tes bras, que tu me serres contre toi.
J'aurais du comprendre, ce jour-là ! J'aurais du comprendre que ce « au revoir », tu ne le pensais pas !
J'aurais du t'empêcher, j'aurais du être là ! J'aurais du être là pour toi...
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La jeune fille à la chevelure aile-de-corbeau marqua une pause, sa voix s'éteignant après ses murmures émus, puis baissa les paupières, dissimulant ses prunelles colorées, émeraudes délicatement ciselées qui illuminaient son joli visage, derrière ses cils auxquels s'accrochaient des perles de cristal irisées, larmes de peine, de colère et de douleur. Il lui manquait, terriblement, et sa douleur émotionnelle semblait physique, comme un coup de poignard, tant elle était lancinante. Elle devait également porter le poids de sa culpabilité et de ses remords... Elle aurait du faire quelque chose, aurait du réussir à l'aider, le sauver, si seulement elle avait été une bonne amie. Cassidy détestait l'impuissance, et savoir que son ami avait mis fin à ses jours la faisait se haïr. Elle voyait dans ses yeux qu'il n'allait pas bien, quand il était encore là, elle avait été là pour l'écouter, le serrer contre elle, le bercer, l'empêcher de se couper parfois, mais elle n'avait pas été là au moment décisif. Elle n'avait pas été là. Elle aurait du être là... L'adolescente ne vit pas le téléphone, déchargé, s'éteindre, mais bientôt, la main de Simon se posa sur la sienne, lui ôta le petit écran, et entrelaça leurs doigts tandis que Neeve branchait l'appareil puis ajoutait sa main, suivie de Mélissa. Ils partageaient le même fardeau, et de nombreuses fois, reformulaient, par des mélodies, des textes, des dessins ou des discours, ce serment qu'ils s'étaient fait. Cette fois, le silence suffisait.
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Salut.
Je me suis trompée, ce n'était pas le dernier. Mon téléphone était déchargé, alors j'ai du attendre, juste un peu, pour rappeler. C'est éphémère, une batterie, comme une vie. Mélissa s'est endormie, et malgré les pleurs, ses traits se sont adoucis. Simon est, lui aussi, blotti dans le lit. Sur ce tas de coussins, au sol, les yeux fermés mais encore éveillé, il s'est mis à sangloter en silence, meurtri. On fait semblant de ne rien voir, avec Neeve. Elle, elle est plus calme, maintenant, même si elle a mal, on l'entend dans ses mots quand elle dit qu'il est injuste que tu sois parti. Elle veut te parler, je pense. Te dire tout ce pour quoi elle aurait voulu une dernière chance.
Deux heures du matin. Excuse-moi d'appeler aussi tard, mais tu sais, j'ai beaucoup de questions à te poser, et j'espère que tu auras les réponses. S'il te plaît. Non, en fait, je n'en ai qu'une seule, une grande, si simple, si triste, si puissante qu'elle en devient absurde : est-ce que ça en valait la peine, se suicider ? Ne réponds pas, je ne suis pas sûre qu'on le supportera. Enfin, de toute façon, tu ne peux pas. Mais s'il te plaît, fais encore quelque chose pour Neeve, Simon, Mélissa. Fais encore quelque chose pour moi. Dis-leur, à tous ceux qui veulent faire comme toi, de continuer leur combat. On a tous été blessés dans ta bataille, et si tu t'es envolé, tu nous as laissés avec un poids qui nous cloue au sol. J'ai l'impression que tu nous as, à tous, brisé les ailes... J'ai mal, tu sais.
Neeve s'est mise à écrire, je vais te la passer. Mélissa, réveillée, est en train de dessiner, avec du noir, du blanc, et du rouge. Du rouge sang. Simon est en train de composer, et je sais ce qu'il pense nous jouer. Je peux déjà, par-dessus son épaule, voir le début et le chantonner. J'aimerais tellement que tu reviennes, que notre art ne soit pas le moyen de te dire adieu. Non, oublie ce mot, de te dire « au revoir ». On se reverra, « le plus tard possible j'espère », as-tu écrit. Pour toi, chacun de nous va vivre sa vie, puisqu'on te l'a promis. Mais s'il te plaît, retiens les autres qui veulent t'imiter, en ce monde sans pitié. C'était horrible, la veillée. Tu ne parlais plus, ne bougeais plus, ne voyais plus, ne souriais plus. Il y a un mot, unique, affreux, pour ça. Mort. Tu es mort. Pourtant, j'ai envie de courir dans tes bras, d'entendre ta douce et paisible voix. J'aimerais tellement que tu reviennes. Tu me manques encore.
Je t'aimais, tu sais, sincèrement, pas comme ils le pensaient tous hormis notre petit groupe, pas comme un amoureux, un petit ami, mais comme un meilleur ami, un confident, un nounours, presque un grand frère. Quand j'étais petite, je voulais un grand frère, et j'étais déçue parce que je savais que ce n'était pas possible. Mais tu étais là, alors la vie s'est rattrapée.
Maintenant, tu es parti, mais je t'aimais, tu sais... Et je t'aime encore, à jamais.
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Ces dernières phrases prononcées assez bas pour que ses amis, concentrés sur leurs oeuvres, ne l'entendent pas, Cassidy s'approcha lentement, d'un pas léger, de Neeve, qui écrivait un poème, et lui tendit le téléphone, que celle-ci prit avec soin et délicatesse. Toutes deux, un instant face à face, échangèrent un regard amical, complice, puis un sourire, tout en contrastes : l'une avait une peau de porcelaine, une silhouette fine, des yeux verts et de longs cheveux lisses, l'autre, plus grande, possédait des formes, et sa peau d'ébène était moirée, satinée, tandis que ses cheveux étaient crépus, l'une s'habillait de noir et blanc, son tee-shirt à la tête de chat l'entourant d'un halo, l'autre de couleurs, vêtue d'une robe rouge sombre. Mais peu importait, elles se comprenaient par l'esprit, et elles étaient amies... L'aînée ajouta quelques mots à ce dernier messages, quelques confidences, quelques rires, quelques larmes, puis Mélissa fit de même, serrant le téléphone contre son coeur avant de le donner à Simon, qui terminerait le cycle. Le jeune homme ne dit rien, posant simplement le petit écran sur un cousin au centre de leur cercle, mais il prit son violon, posant délicatement ses doigts sur les cordes, et la benjamine aux prunelles d'émeraude sourit en comprenant, prenant également son instrument et le calant sur son épaule avec toute l'agilité et l'adresse de l'habitude. Combien de fois leur ami ne l'avait-il pas appelée sa petite elfe ? Mélissa et Neeve écoutèrent, tandis que les deux musiciens commençaient la mélodie composée par Simon, entre adieu et espoir, entre ombre et lumière, la première serrant contre elle l'ours en peluche trouvé sur le lit de Cassidy, tandis que la deuxième observait les visages détendus des deux adolescents perdus dans leur monde de musique : le jeune homme avait fermé les yeux, concentré, ses doigts virevoltant, volant au-dessus de son instrument et faisant s'élever des sons purs, emplis de douceur et d'émotions, mais si la jeune fille, elle aussi, ne jouait pas moins avec son coeur, elle avait les yeux grands ouverts, et posait son regard sur trois photos accrochées côte à côte sur le mur. La première était une photo de groupe de l'été précédent, sur laquelle tous souriaient, les deux garçons enlaçant Mélissa et Cassidy, tandis que Neeve, au centre, était lumineuse près de ses deux amis, les couleurs de l'image étant brillantes, en un fragment d'arc-en-ciel. La seconde, aux teintes pastels très douces, ne montrait que la benjamine et celui qui avait été son grand frère de coeur, son meilleur ami, son confident et son protecteur, tous deux s'étreignant en riant dans une salle aux murs blancs décorés de rose et d'orangé comme un coucher de soleil, le jour où il lui avait offert son nounours, alors qu'elle avait quatorze ans, pour Noël, un sapin apparaissant derrière eux. La dernière, enfin, où ils étaient à nouveau cinq, était plus froide, toutes en nuances bleutées et blanches, mais le soleil brillait tandis qu'ils se tenaient tous la main, au centre de la patinoire entourée de glace. Trois moments de bonheur, trois esquisses de perfection, tandis que le morceau continuait, les deux violons se répondant et s'accompagnant. C'était la première composition, mais ce ne serait pas la dernière, et tous poursuivraient leur passion, tout en créant l'avenir. Ils continueraient de vivre, simplement.

« On se reverra un jour, Noé. Tu nous l'as promis dans ta lettre, mon ami. Mais pour toi, on tiendra l'autre promesse. Tu pourras être fière d'eux, tu pourras être fière de moi. » souffla Cassidy, seulement entendue de son ami, tandis que leurs violons se taisaient.
« Je suis sûr qu'il l'est déjà. » la rassura-t-il. « Ne t'inquiètes pas. Tu es merveilleuse, et la meilleure amie dont on puisse rêver. »
« Merci. » rougit-elle légèrement, amusée et émue à la fois. « Vous l'êtes aussi, crois-moi. On parle trop de moi. »
« Je confirme ! » fit Neeve avec ironie, son regard pétillant de malice. « Mais c'est parce qu'on a beaucoup à dire. Tu es une fille bien, Cassidy. Vraiment bien. Ne mets pas le poids du monde sur tes épaules. Ce n'est pas ton fardeau, petite elfe aux yeux d'émeraude. »
« C'était vraiment beau, ce que vous nous avez joué, et vous y avez mis votre coeur, on l'entendait. » murmura Mélissa, qui ne retrouvait qu'alors la parole et finit en souriant. « Ça faisait du bien de vous réentendre jouer, comme avant. Simon, je veux que tu me promettes, que tu nous promettes quelque chose, d'accord ? Refuser n'est pas une option, j'espère que tu t'en rends compte. »
« Je pense qu'il saurait davantage accepter et promettre si tu lui disais ce que tu attends de lui. Après, je peux me tromper. »
« Neeve ! » rit à nouveau la jolie brune aux yeux noisette face au ton moqueur de son amie. « Je veux simplement que tu nous promettes de ne pas arrêter. C'était ta première composition, mais tu aimes ça, ça se voit... Je veux simplement que tu continues, parce que ça te fait vibrer, rire et pleurer, ça te fait vivre, tout simplement. Alors promets-nous de ne pas arrêter et d'envisager la musique pour ton avenir. S'il te plaît. »

Un bref instant, le silence se fit, et le jeune homme à la peau de cacao passa une main dans ses cheveux sombres et frisés, sous un regard malicieux de la benjamine, tandis que les deux autres filles lui faisaient de grands sourires indiquant qu'elles étaient parfaitement complices, bientôt imitées par Cassidy. Les trois amies pensaient la même chose : il était talentueux, passionné, et avait l'étincelle qui lui permettrait d'aller loin, entre violon et composition, ainsi que les autres instruments qu'il avait commencé à apprendre, cette lueur à en rendre jalouses les étoiles les plus brillantes. Ne pas utiliser cette lumière dans la nuit serait un gâchis... Elles ne lui imposaient pas un choix, mais lui demandaient seulement d'y penser. Il rit alors et déclara, posément :

« D'accord. Je promets de réfléchir à l'idée de choisir la musique comme avenir. »

Fières de cette victoire, les adolescentes se tapèrent dans les mains, et le quatuor se replaça pour continuer de créer. Crayons, feutres, couleurs, gommes, feuilles de papier lignées, blanches ou décorées de portées, violons, livres, cahiers et matériel d'art les entourèrent, tandis que deux d'entre elles maniaient soigneusement la plume, une autre couvrant de rêves et de dessins le délicat canevas devant elle, le dernier inscrivant une multitude de notes, à la pointe de son stylo. La vie continuait, ils devaient avancer, même s'ils n'oublieraient jamais.

Love is not an emotion. Love is a promise. - Doctor Who
Il est grand temps de rallumer les étoiles. - Guillaume Apollinaire.
You said memories become stories, when we forget them.
Maybe some of them become songs. - Doctor Who

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