second call

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« Rafael, c'est encore moi. »

Anna inspira bruyamment. Elle ne pouvait s'empêcher de marquer un silence après avoir prononcé cette phrase incroyablement douloureuse. Prononcer les six lettres que formaient son prénom lui brûlait les lèvres.

« Ca fait deux semaines que tu es parti, je crois. J'ai renoncé à savoir où tu es allé, je me suis dit que tu ne souhaitais peut-être pas que je le sache. Je me couche seule chaque soir, je me lève seule chaque matin et bordel, tu me manques. T'es plus là et pourtant je te vois partout, il me suffit de clore mes paupières pour que des images de toi, de nous, défilent à grande vitesse.

C'est-peut-être elles qui m'empêchent de dormir. Ou alors la froideur d'une pièce sans toi, sans vie. Je suis sortie pour la première fois hier soir depuis que tu n'es plus avec moi, les rues parisiennes ont tout de suite l'air moins romantique quand l'on marche sans personne pour nous tenir la main. Ils me disent tous que prendre l'air et rencontrer de nouvelles personnes me ferait du bien. Mais quand on t'a connu toi, Rafael, le nouveau n'intéresse pas. La nouveauté est effrayante pourtant la vie sans toi l'est encore plus.

La musique de la boîte était trop forte, la lumière trop aveuglante et tout le monde trop alcoolisé. Moi aussi, peut-être. Mais pas assez pour oublier la douleur qui m'assomme. Je suis partie au bout de deux heures, laissant Emilie seule dans la foule qui m'oppressait un peu trop. J'ai longé la Seine en titubant, ravalé mes larmes jusqu'à l'appartement puis fondu en larmes dans l'ascenseur. Un regard vers le miroir a suffit à me faire craquer de plus belle. J'ai détaillé mes cheveux blonds en bataille, les cernes violacées autour de mes yeux et mon teint livide.

Mes yeux se sont promenés dans l'ascenseur et sa moquette hideuse. Je nous ai revu, il y a quatre ans, nos cartons plein les mains et la sueur qui perlait sur notre front. Tu te rappelles de ça, notre emménagement ? »

Anna marqua à nouveau un silence alors qu'un demi-sourire nostalgique étira ses lèvres. Elle se souvenait de cette journée comme si elle s'était passée hier et affectionnait ce souvenir de tout son coeur.

« On avait enfin décidé de quitter nos chambres de bonnes respectives pour un notre petit appartement. On était en plein hiver, le froid qui transperçait nos pulls contrastait avec la chaleur due à l'effort. Des millions de cartons à décharger, c'était l'enfer »

Elle rit doucement en serrant le téléphone contre son oreille.

« Et puis à la fin de la journée, alors que je passais la porte de notre nouveau chez nous, le dernier foutu carton en main, je t'ai vu. Affalé sur le canapé, tes yeux verts fatigués et ta barbe de trois jours que tu détestais. Je t'ai vu et sans aucune raisons bien précises, je t'ai murmuré que je t'aimais pour la première fois. J'sais pas, ça m'a fait tout drôle nous voir tous les deux dans ce nouvel endroit qu'on appelle "maison", de te voir là et me dire que ces beaux yeux verts et ces lèvres rosées m'appartenaient, qu'on allait passer ce que je croyais être le restant de nos jours ensemble. Ca m'a fait tout drôle mais ça m'a fait du bien. Je t'aimais. Je t'aimais, cela me semblait tellement évident. Rien ne m'avait semblé aussi clair qu'à ce moment là dans ma vie.

J'aime ce moment parce qu'il me rappelle que nous deux, c'est comme une évidence, même aujourd'hui. Je me vois plus sans toi, parce là tout de suite, il n'y a pas d'Anna sans Rafael. C'est quand même triste et terriblement cliché de me dire que j'arrive plus à être quelqu'un sans toi, je sais. Mais quand t'as pris ta valise et que t'as claqué la porte avant de hurler que tu ne voulais plus jamais me voir,

je savais que je m'étais perdue moi-même en te perdant toi.»

RafaelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant