Face à son mutisme avéré et quand l'ongle de mon petit doigt est presque totalement arraché, je me laisse glisser du canapé. Je marche jusqu'à la cuisine pour attraper un torchon propre et un grand bol, avant de retourner au milieu du salon.
- Fais chier, il m'en restait plus qu'une à acheter ! je râle en m'agenouillant sur le parquet.
Je me mets à essuyer la grande flaque de vodka qui s'étend devant mon canapé, en coulant de temps en temps des regards dans sa direction. Imperméable à ma présence, il tourne les pages de son bouquin l'air profondément intéressé. Je me penche un peu plus pour réussir à lire le titre de l'ouvrage. Le Paradis Perdu, je déchiffre entre ses doigts. Jamais lu.
- Ce livre a l'air passionnant, je commente d'un ton nonchalant en essorant mon torchon dans le saladier.
Si quelqu'un me surprenait en cet instant, à faire la conversation à mon canapé, il penserait sûrement que je viens de lécher tout l'alcool répandu sur le sol. Et je comprendrais cette déduction absolument logique. Heureusement, les gens normaux n'apparaissent pas dans votre appartement sans s'annoncer.
- Je suis contente que tu sois là hein... je reprends à l'intention de Chris le revenant. N'en doute pas ! Mais bon tu vois, ici c'est chez moi quoi, alors à l'avenir si tu pouvais frapper avant d'entrer, ce serait un bon deal.
Il humecte le bout de son index et tourne une page.
- Bon, frapper c'est sûrement hors de ta portée, je te l'accorde, je ne voulais pas te vexer, je continue en lançant le torchon trempé dans le saladier. Bref, ce que je veux dire c'est que te pointer comme ça, cash sur mon canapé, comme si c'était le truc le plus normal au monde, c'est un peu flippant dans le fond. Ok, jusqu'ici je trouve que je réagis super bien à ce délire d'être hantée, tout ça tout ça... Mais... Si tu as l'intention de squatter là encore un moment, je préférerais que tu trouves un moyen de t'annoncer à l'avenir.
Je fais une pause dans mon monologue pour réfléchir à une idée.
- Je sais pas moi, tu pourrais m'envoyer un pigeon mort par exemple ! je propose, fière de ma trouvaille. Enfin, quand je dis mort, c'est mort comme toi évidemment. Pas mort genre vraiment mort. Parce que si tu lances un pigeon raide en plein milieu de mon salon, alors là c'est sûr, je vais me mettre à hurler.
En m'entendant tenir un tel discours, je ne peux pas ravaler le fou rire qui vient de débouler. Essoufflée, je finis par me laisser tomber sur le sol collant, évitant de justesse un morceau de verre tranchant.
- Putain, j'ai un sale karma avec les bouteilles en ce moment !
Je me redresse sur les coudes, l'esprit soudain traversé par une idée fulgurante.
- Tu serais pas mon ange-gardien des fois ?
Après tout, en y réfléchissant bien, ce n'est pas impossible. En à peine une semaine, j'ai évité de peu une mort foudroyante au One et un égorgement accidentel à l'instant. Et vu la folie de la situation, cette hypothèse n'est pas plus tordue qu'une autre. Si j'ajoute à tout ça la manière miraculeuse dont j'ai survécu à mon tragique accident de voiture cinq ans plus tôt, il n'est finalement pas si curieux d'imaginer que quelqu'un veille sur moi.
Ouais, cette idée me plaît.
Je me lève au bout d'un long moment de profondes tergiversions. Après avoir ramassé les derniers morceaux de verre et avoir passé un coup rapide de serpillère, je n'ai plus qu'une idée en tête. Prendre une douche. Entre l'odeur de vodka et les résidus d'émotions humaines qui me collent à la peau, j'ai besoin de me laver. J'entre dans la petite salle de bain et referme à clé derrière moi. Geste que je ne fais jamais, mais ce soir j'ai un invité. Bon, je l'admets, un invité qui n'est pas gêné par une porte fermée. Certes, mais c'est plus fort que moi. Et j'ai l'impression d'être moins cinglée en agissant de la sorte. Je me déshabille directement dans la cabine de douche et balance mes vêtements par dessus les cloisons vitrées. Chris n'a pas l'air d'un voyeur psychopathe - décédé - mais je préfère rester vigilante. L'eau chaude recouvre progressivement mon corps tendu et au bout de plusieurs minutes, je me détends. Et ça fait un bien fou ! À mesure que mon corps se libère de tout ce qui l'entoure, ma respiration se calme, mon cœur ralentit. Mes émotions tumultueuses retrouvent un certain répit et mon gel douche Instant de douceur, fait son taf comme un dingue. Enfin débarrassée de ces émotions étrangères que j'attire malgré moi, je coupe l'eau et m'enroule dans mon peignoir beaucoup trop grand. C'est l'un des nombreux objets qui lui appartenaient.
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Les Oubliés
ParanormalIl est resté assis à coté de moi pendant des semaines, sans même me parler. Jour après jour, il m'a accompagnée partout où j'allais, sans même me regarder. Je n'avais aucune idée de qui il était et de ce qu'il faisait assis là, sur la banquette ar...