Je me hais.J'enfile ma veste en faux cuir achetée dans un magasin plutôt qu'un autre pour une raison qui m'échappe totalement. Une pub peut-être. Un subtil message vide de sens qui s'est incrusté dans ma tête et que j'ai bien voulu suivre. C'est enveloppé dans ma veste à cent dix balles que je dévale les escaliers de mon immeuble dégueulasse. Dans la rue, je pose mes écouteurs dans mes oreilles pour écouter cette musique populaire vide de sens qui fait danser la ménagère ou les chansons engagées qui devraient me secouer mais la connexion dans mon cerveau ne se fait pas.
Le métro est encore en retard. Je ne rage même plus comme endormi par cette rengaine. Autour de moi les gens soufflent, râlent, boivent leur café tellement occupés par leur petite vie qu'ils ne remarquent pas l'homme endormi par terre, emmêlé dans ses cartons et ses couvertures. Il pue l'alcool et ses duvets sont trop minces pour le protéger du froid qui règne sur ce quai. Peut-être qu'il ne dort pas mais le métro arrive, alors mes pensées altruistes s'envolent. Je m'assieds et le métro redémarre. Je regarde par la vitre, les ténèbres des tunnels dans lesquels l'engin passe pour ne pas regarder les personnes autour de moi. C'est amusant de voir que tous les gens qui prennent les transports en commun essayent toujours de fuir la présence d'un autre individu. J'adore les paradoxes que cette société détraquée a su créer.
J'arrive enfin à mon arrêt et bataille pour passer la porte. Il me faut encore marcher dix minutes pour arriver sur mon lieu de travail. Je pourrais venir en vélo, ça serait plus sain et je n'aurais pas à payer mon abonnement tous les mois pour le métro. Mais je ne le fais pas. Je ne sais pas trop pourquoi. Je crois en plus que je ne déteste pas le vélo. Mais je rentre dans le building où se trouve le bureau devant lequel je m'assieds presque tous les jours. Comme d'habitude, Sandra et Chantal, les deux hôtesses de l'accueil, débattent et argumentent sur des sujets capitaux. Elles parlent aujourd'hui des nouveaux seins de Laurie, la secrétaire de mon patron. Chantal qui dit que la chirurgie esthétique est un attrape-couillon pour les riches et les jeunes écervelées, me fait un sourire étrange. Je me demande comment elle y arrive encore, en dépit de ses muscles faciaux paralysés par le botox. Pour elle, ce n'est pas de la chirurgie esthétique mais de simples piqûres par ci, par là. Un traitement tout ce qu'il y a de plus banal, en résumé. Je les salue toutes les deux et me dirige vers l'ascenseur.
Je m'assois à mon bureau étroit, séparé des box de mes collègues que je ne salue pas par de fine paroi. J'allume l'ordinateur et ouvre mes dossiers. Je me concentre pour faire ce qu'on me demande de faire. Je n'aime pas ça, je ne suis pas doué non plus mais ça rapport de l'argent. Une pile de dossier s'écroule bruyamment sur mon bureau, apportée par Mr. Blanchard, mon supérieur. Il me réprimande pour le retard que j'ai accumulé tout le long de la semaine. Je ne l'écoute pas, ça ne sert à rien. Ça ne servirait rien non plus de lui expliquer que je ne peux pas gérer tout seul tous les dossiers qu'il me donne dans un délai aussi court. Surtout s'il veut que le travail soit bien fait. Il aime juste parler plus fort que tous les autres, donner des ordres et montrer que c'est lui qui commande.
Ce mec est un con, habité par la connerie à l'état pur. Tellement pure que lorsque je l'ai vu pour la première fois, j'ai trouvé ça beau. Avec ses cinquante balais, son gros ventre et ses restes de cheveux gras, je me demande comment il a pu arriver à ce poste : un quiproquo, un miracle ou simplement parce qu'aujourd'hui, on autorise les connards à donner des ordres. Il a l'esprit si étriqué que je me demande comment il fait pour penser. Il finit son laïus et repart vers son grand bureau, vide de travail, après s'être assuré que tout le monde l'ait entendu engueuler son employé. Je pose mon regard vide sur les dossiers qui sont déjà en retard. Je me lève et me dirige vers la cafetière pour remplir ma tasse.
La journée va être longue.
extrait de Sortez moi de là
proposé par l'auteur: ProfesseurX
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