Chapitre 2: Une grand-mère particulière

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     La maison était reconnaissable entre mille : un jardin soigné, une pelouse coupée au ciseau, des arbustes rigoureusement alignés, une façade blanche et propre à en faire mal aux yeux, des volets bleus assortis à la porte, un chemin en pierre menant à cette dernière et un morceau de carton devant la porte. Notre héroïne avança bravement le long de l'allée de pierre et appuya sur une sonnette impeccablement nettoyée recouverte d'un papier transparent. La porte s'ouvrit lentement et silencieusement sur l'aïeule de Chloé. Elle portait un ensemble jupe longue-polo de sport, le tout dans différentes teintes de violet. Pour compléter cet assortiment, des chaussures bateau et un foulard accroché en triangle dans le dos, tel un fanion de mauvais augure. Bien-sûr, tous ses habits sont importés d'Allemagne et acheminés par voie maritime depuis la France, histoire de faire fonctionner le commerce des deux pays. Son visage pâle était encadré par une coupe au carré et une frange parfaitement égalisée. Une paire de lunettes rondes surmontait son nez que la vieille dame fronça en lançant : « T'as encore grossi, toi.

- Bonjour à toi aussi. Tu vas bien ? En tout cas tu as bonne mine ! Je peux entrer ?

- Oui. Mais laisse tes chaussures sur le carton et fais attention à ne pas salir la maison. Je viens de tout nettoyer. »

     Chloé se déchaussa puis entra bravement dans la maison... et se prit les pieds dans un drap étalé par terre. Elle se redressa et continua son chemin en marchant précautionneusement sur les draps disséminés un peu partout sur les sols de la maison. Une fois qu'elle eut atteint la cuisine, Chloé se laissa tomber sur chaise et aperçut une bouteille de vodka à-moitié vide en haut d'une étagère. Au moment où elle allait se lever pour l'attraper, sa grand-mère entra dans la pièce, braqua le regard sur sa petite fille et avança vers elle d'une démarche plus ou moins fluide selon le point de vue, sachant qu'elle avait une prothèse de la hanche et une autre de la jambe droite. Elle s'assit sur la chaise voisine de celle de Chloé et prit la parole : « Alors, tu habites toujours dans notre ancien appartement ?

- Oui, mamie. Ton arthrite va mieux ?

- Non, je n'arrive plus à corriger les copies de mes élèves et, en plus, ils sont tellement mauvais que leurs fautes d'orthographe m'arrachent les yeux, tu verrais leurs fautes de déclinaisons... Et ne m'appelles pas mamie. Ça me vieillit.

- Tu prends toujours tes médicaments pour ta monomanie du nettoyage ?

- Je n'en ai pas besoin, je ne vois pas pourquoi tu t'acharnes pour que j'aille voir un docteur. De toute façon, ce sont tous des imbéciles.

- C'est quoi cette bouteille de vodka sur l'étagère ?

- C'est pour me donner un peu de courage pour la correction des copies. Ça dénoue mon arthrite et ça me rend les idées claires.

- Tu en as bu beaucoup aujourd'hui ?

- Je l'ai achetée ce matin. Pourquoi ? On n'a pas le droit de faire comme les jeunes à notre âge ? »

     Chloé soupira mais elle savait que c'était peine perdue. Sa grand-mère, Carmen, était professeure d'allemand. Pas le genre qui accepte les retards et autres petits écarts au règlement intérieur, non, mais une professeure tyrannique, qui fait faire des cauchemars à ses élèves, qui les fait trembler de peur quand elle les fixe dans les yeux. Le genre de prof qui, malgré sa petite taille, est plus terrifiante que tous les seigneurs siths du monde. Si elle s'attaquait aux grandes instances de notre planète, elle en aurait sans aucun doute le contrôle total. Mais pour le moment, ce n'était qu'une vieille dame maniaque du ménage et en manque de jeunesse qui boit pour combattre son arthrite. Mais elle avait quelques fois des restes de son métier de professeure qui ressortaient, comme envoyer des gens au coin car ils sont en retard. Pendant que Chloé était perdue dans ses pensées, sa grand-mère avait recommencé à discuter : « ... draguer des petits jeunes blonds aux yeux bleus, avec de belles mensurations. Alors ?

- Je n'ai pas tout suivi... Tu veux aller chercher un nouveau mari ? Mais je croyais que tu ne voulais pas te remarier parce que la personne en question salirait la maison ?

- Minus fünf Punkte ! ''J'alterne écoute et bavardage'' et puis de toute façon, je ne veux pas me marier. Juste tirer un coup. Avoir un homme d'un soir. Mais on sait tous que ce n'est pas ton cas. Je suis certaine que ça te ferait le plus grand bien de sortir un peu les soirs. Tu restes encore une fois chez toi et tu finis fossilisée ! Tu m'accompagnes ce soir, c'est décidé !

- Mais mamie ! Ce soir je dois étudier la tactique de l'équipe de l'Idaho contre laquelle on va jouer notre prochain match !

- Tu es payée pour cette étude ?

- Non, mais...

- Pas de discussions alors ! Tu viens, point final ! On mange, tu rentres chez toi pour te préparer et je passe te chercher à vingt-deux heures tapantes ! Et tu as intérêt à être là où j'en réfèrerai au proviseur ! Compris ?

- Heu... Oui...

- Très bien. À table alors. »

     Chloé et sa grand-mère mangèrent donc ensemble autour d'une table plastifiée, avec des couverts enroulés dans du papier aluminium (au cas où des aliens décident de faire un tour dans le coin) sans oublier la propreté clinique de la pièce et le regard destructeur de mamie Carmen. Cette femme était une vraie bombe atomique. Dans le sens purement destructeur du terme. Une bombe atomique qui jeta Chloé dehors lorsque l'heure fut venue de se préparer pour leur sortie du soir. Elle rentra donc chez elle, montant sa fidèle moto comme si elles ne faisaient qu'une.

ChloéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant