- Grégory ! Grégory, tu es réveillé ?
Plusieurs coups furent frappées à la porte de la chambre silencieuse, sans succès de réponse. Apparemment, l'habitant de cet antre était toujours endormi malgré l'aube.
Excédée, la personne qui avait toqué dix secondes plus tôt entrebâilla le battant et balaya la pièce du regard. Celle-ci était encore englobée dans l'atmosphère douce et sombre de la nuit, seuls les timides rayons du soleil levant osaient s'infiltrer par le store. Un peu partout dans la pièce, diverses affaires étaient éparpillés sur le parquet : un sac noir en bandoulière, un trousseau de clefs et un portable, lequel avait visiblement perdu trop de batterie pour réveiller le jeune homme allongé dans le lit.
La tête enfouie dans son oreiller et la couette remontée jusqu'au menton, ce dernier n'avait pas du tout l'air de vouloir sortir de ce refuge douillet.
- Grégory, tenta une nouvelle fois la visiteuse, es-tu décidé à te lever ou faut-il que j'emploie les grand moyens ?
Le prénommé Grégory marmotta un « Hum...» à peine audible. Pour bien se faire comprendre, il roula sur le flanc, le dos ainsi tourné à son interlocutrice.
Sa patience ayant des limites, la jeune fille qui jusque là avait fait preuve d'indulgence saisit la couette à deux mains et la tira de toute ses forces.
Sitôt que les draps lui furent ôtés, Grégory frissonna par le courant froid qui envahit ses membres.
- Maïlys ! grommela-t-il en entrouvrant les yeux.
- Je t'en prie, tout le plaisir était pour moi, persifla-t-elle. Et maintenant, debout !
Sur ses belles paroles, la dite Maïlys ouvrit la fenêtre, la lumière du jour inonda la petite chambre. Derechef, l'adolescent grogna.
- Tu aurais pu au moins me rapporter les pancakes au lit.
- Je te rappelle que je ne suis pas ta mère mais ta coloc, une place que je n'échangerai pour rien au monde, rétorqua Maïlys. Alors pour la deuxième fois, bouge-toi ou on ne pourra pas payer le loyer !
Résigné, Grégory posa les deux pieds au sol, tressaillant au contact du planché glacé tandis qu'il enfilait un T-shirt usé. Sous le regard impatient de son amie, il sortit de la chambre à la hâte sans même songer à refaire son lit.
Dans la cuisine adjacente au séjour, une odeur de pancakes cuisinés avec amour embaumait l'air. Cet arôme familier et exquis n'échappa à Grégory, qui bien que rancunier envers sa coloc pour l'avoir réveillé, ne put s'empêcher de la remercier avec gratitude.
- Tu n'étais pas obligée de te lever si tôt pour préparer un petit déjeuner aussi bon ! D'autant plus que tu as dû te coucher tard à cause des révisions.
- À dire vrai, je n'ai aucun mal à déterminer lequel de nous deux s'est couché le plus tard, déclara son amie.
Grégory s'affaissa sur une chaise et s'occupa d'ouvrir le pot de confiture. Il avait espéré que Maïlys n'embraye pas sur ce sujet.
- Tu as beau prétendre ne pas être ma mère, tu parles comme telle.
- Où étais-tu hier soir Grégory ? le contra-t-elle abruptement. J'ai passé plus de temps à attendre un texto de ta part qu'à réviser mes partielles.
Grégory s'octroya un temps de réflexion en mordant dans une tranche de pancake. S'il y avait bien une chose dont il avait horreur le matin, c'était d'être assaillit par un interrogatoire de police.
- J'étais dans le bar du coin.
- Chez Tom ?
- Oui, confirma-t-il. Franchement Maïlys, tu n'as aucune raison de t'inquiéter, j'ai bu deux verres à peine.
Guère convaincue, elle fit la moue.
- Mais contrairement à Tom, je sais que tu ne sors pas pour le plaisir. Je sais que c'est pour oublier Juilliard.
Cette fois-ci, Grégory réagit vivement à ses paroles : la tranche qu'il tenait une seconde plus tôt lui échappa des mains et atterrit sur le carrelage.
Maïlys souffla, lasse.
- Grégory, je sais que c'est stressant d'attendre une lettre mais s'il-te-plaît, épargne-toi de cette folie.
L'intéressé garda les yeux rivés sur ses mains désormais croisées sur la table.
- Et puis, je suis sûre que le jury a particulièrement aimé ta prestation, renchérit sa compagne. Il est rare qu'un américain interprète Cyrano de Bergerac avec autant de ferveur.
- Si cela leur a plu, ils ne l'ont pas vraiment exprimé, soupira Grégory. Je te jure Maïlys, j'avais l'impression de jouer devant des statues de marbre.
- Et moi je te jure que tu exagères les choses ! Les juges t'ont bien dit un mot quand tu as quitté la scène non ?
Grégory fit mine de réfléchir, sa main droite portée à son front.
- Oh oui, ils m'ont même adressé une phrase entière figure toi ! Ils m'ont dit : « Merci pour votre prestation monsieur Haukins, nous vous tiendrons au courant de notre décision dans les deux prochains mois ».
Le sarcasme était palpable dans le ton de sa voix.
- Au moins, ils t'ont remerciés pour le bon moment que tu leur a procuré ! tenta de le réconforter Maïlys.
- Sauf que cette phrase a été prononcé pour tous les comédiens.
Les pieds de sa chaise raclèrent le sol et Grégory se retira prestement de la cuisine. Alors qu'il comptait joindre la salle de bain pour prendre une douche, Maïlys déposa ses paumes délicates sur les épaules de son ami et les massa doucement.
- Grégory, quand bien même tu n'es pas accepté, tu dois savoir que tu as un talent digne des plus grands acteurs connus, assura-t-elle. Juilliard School n'est qu'une épreuve de plus sur ton chemin qui une fois surmontée, te permettra d'en être convaincu.
Grégory chercha toute trace de mensonge dans les iris sombres de son amie, n'en trouvant cependant aucune. Un sourire amusé fendit ses lèvres.
- Ce n'est pas une épreuve. C'est un roc, c'est un pic, c'est un cap, que dis-je c'est un cap ! C'est une péninsule !
Rassurée, Maïlys leva les yeux au plafond.
- C'est bien la première fois depuis deux mois que j'ai plaisir à entendre une réplique de Cyrano !
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Quand tout s'écroule...
Short StoryUne lettre, ce n'est pas grand chose dirait-on. Un texte impersonnel rédigé à la plume ou à l'ordinateur, écrit sans état d'âme, parfois émouvant, troublant, voire même irritant, mais jamais entrevu comme la porte du destin. Et pourtant, ce fut en...