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Après s'être déshabillé, Grégory pénétra dans la douche et actionna le débit d'eau chaude, ce dernier laissé à désirer par la froideur qu'il répandit durant les trois premières minutes.

Quand la patience de Grégory aboutit à une eau chaude permanente, il se détendit, les biens faits de la douche agissant sur la tension qui l'habitait. Comme avant d'entrer en scène, il inspirait et expirait lentement afin de sentir l'oxygène traverser avec aisance ses poumons. Tout en travaillant sa respiration, il se répétait : « Inspire profondément, visualise la scène et laisse ton rôle parler. »

Plus facile à dire qu'à faire dirait-on, mais si l'exercice était répété avec régularité et sérieux, les effets étaient concluants. Cela lui évitait d'avoir un nœud dans la gorge quand il devait articuler devant un public qui s'attendait à du sensationnel.

Désormais serein, Grégory coupa l'eau, sortit de la cabine et enroula une serviette autour de sa taille. Ce fut à ce moment précis qu'il réalisa avoir oublié ses vêtements dans la chambre.

- Flûte, maugréa-t-il entre ses dents.

Embarrassé, il entrouvrit la porte, vérifia que sa coloc ne traînait pas dans les parages puis s'empressa de récupérer sa chemise bleue marine et son jean. Si l'adolescent avait bien un défaut, c'était celui d'être constamment ailleurs.

La buée du miroir estompée, Grégory se rasa et arrangea machinalement ses cheveux auburn. Bien qu'il prêtait plus d'attention à sa voix claire qu'à son image, le comédien en herbe demeurait très beau garçon. Ses yeux noisettes empreints d'une douceur non feinte faisaient chavirer les cœurs d'artichauts, sans oublier ses lèvres pleines joliment dessinées que beaucoup de filles rêvaient d'embrasser.

Mais au grand désarroi de ces demoiselles, Grégory n'était pas de ceux qui utilisaient leurs atouts comme armes de séduction. Pour lui, aimer une personne n'était pas la dévorer des yeux devant son physique époustouflant, mais au contraire dépasser cette vision pour entrevoir ses pensées et succomber à la beauté de l'âme, ce qui ne se faisait pas en un seul coup d'oeil aguicheur.

À cette réflexion, Grégory poussa un profond soupir, formant un nouveau nuage de vapeur sur la glace. Jusqu'à maintenant, aucun esprit n'avait su aimer sa sensibilité, les gens de son âge souvent freinés par son trop grand sérieux. Il y avait bien Maïlys qui se détachait du lot mais en tant qu'amis loyaux, ils s'étaient mis d'accord : pas d'amour dans le scénario, juste une bonne et réelle amitié qui perdurait jusqu'à ce que le rideau tombe.

Rêveur, le jeune comédien coula un regard sur sa montre et s'empressa de sortir. Il travaillait à la librairie du coin et il se trouvait là en mauvaise posture, son employeur détestant les retardataires.

- Maïlys, je file ! lança-t-il derrière lui, clefs en main. Je suis très en retard et si par malheur la librairie est déjà ouverte...

Sa phrase resta en suspens, son attention portée en direction d'une pile de lettre, celle-ci gisant sur le seuil de la porte.

Dubitatif, Grégory se pencha pour la ramasser et entreprit d'éplucher le courrier. Comme tous les matins depuis deux mois, il espérait qu'une lettre en particulier soit postée et change le court de son existence.

Mais il ne s'attendait pas à ce qu'elle arrive aujourd'hui.

Car cette lettre, cette missive si ardemment désirée qu'elle en était devenue utopique, apparut entre les mains de Grégory.

Muet de surprise, il peinait à la tenir entre ses doigts, angoissé à l'idée de ce qu'il allait lire. Après tout, il se pourrait que les juges n'aient pas adhéré à son choix de rôle, préférant de loin Roméo à Cyrano qui soit dit en passant, figurait dans une pièce française et non américaine.

Ou alors, peut-être n'avait-il pas assez articulé ? Sa voix chantante tremblait souvent quand le trac lui nouait la gorge.

Inspirant une bouffée d'air, Grégory ferma les yeux et décacheta l'enveloppe à l'insigne de Juilliard School. Ses craintes pouvaient se révéler réelles, néanmoins y penser à l'instant était une erreur. Dans la mesure où il avait été accepté pour une audition, il y avait de l'espoir.

Toujours à l'aveugle, Grégory déplia la feuille et hésita brièvement avant de battre des paupières.

- « Cher Grégory, c'est avec un immense plaisir que nous vous acceptons dans notre école... »

À nouveau, l'adolescent ne put terminer sa lecture. Si on lui assurait que ces mots étaient tout droit sortit de son imagination, il serait dupe.

- D'habitude, tu ne mets pas autant de temps pour lire les publicités !

Subjugué par ce qu'il lisait, Grégory sursauta : Maïlys se tenait derrière lui.. De ses gestes appliqués, elle nouait ses cheveux noirs comme jais en une tresse sur le côté.

Cependant, elle interrompit son activité en apercevant les yeux de Grégory. Ils étaient si brillants que des étoiles semblaient y être incrustés.

- Grégory ? Qu'est-ce que...

Elle ne trouva pas l'intérêt d'achever sa question, subitement hypnotisée par la feuille qu'il lui tendit.

- Ils t'ont accordés une place, une place à Juilliard... Oh mon Dieu, Grégory !

Dans un élan de joie, elle sauta au cou de son ami, sentant le cœur de ce dernier battre à la chamade. La jeune femme était sûre que pour la première fois depuis des lustres, il revivait, le stress engendré par l'audition s'évaporant tel de la fumée qui l'avait empêché de respirer.

- Je n'arrive pas à y croire, susurra Grégory, un sourire soulagé se peignant sur son visage. Cela semble tellement irréaliste !

- Et pourtant c'est réel, confirma Maïlys.

Quelque peu mal à l'aise envers leur étreinte, elle s'écarta. Elle ne voulait pas que leur relation soit aussi ambiguë, surtout en cet instant.

- Bon, je suis peut-être admis à Juilliard, il faut bien que j'aille travailler, soupira Grégory.

- Pas question ! l'arrêta sa coloc alors qu'il se dirigeait vers la porte. Je téléphonerai à Charlie pour qu'il te laisse la journée de libre. Quant à toi, tu vas aller voir tes parents.

- Mes parents ?

La suggestion de son amie étonnait Grégory. Ses parents, Hugo et Susan Haukins, n'avaient jamais apprécié la passion que leur fils portait au théâtre. Ils la qualifiaient de « décadente » à leur époque.

- Absolument, assura Maïlys. Cela fait des années qu'ils méprisent ton talent, il est temps qu'ils comprennent que tu es un comédien né.

Grégory se raidit, il n'avait pas envie de se prendre une claque en pleine figure seulement parce qu'il avait osé tenté sa chance. D'un autre côté, peut-être que ses parents seraient fiers de voir leur fils intégrer la prestigieuse école, et voir cette admiration ne l'encouragerait que davantage à faire de sa vie un rêve éveillé.

- Tu as raison, concéda-t-il finalement. Que ferais-je sans toi ?

Maïlys rigola à cette question.

- Tu serais tout le temps dans le monde de la scène, sans que personne ne puisse te ramener sur Terre !


Quand tout s'écroule...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant