Chapitre 1

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J'ouvre les yeux. Il fait noir dans la chambre. Je ne sais même pas quelle heure il est, dans le fond, je ne sais même pas si j'ai envie de le savoir. Je vais rester comme ça un moment, je pense. Je suis encore seule dans mon lit. J'aimerai tant avoir une vie de couple normale, me réveiller dans les bras d'Antoine, passer mes journées avec lui, rire ensemble, faire le ménage ensemble. Mais voilà, nous n'habitons même pas ensemble. Bientôt, ça fera  cinq ans que nous sommes ensemble, pourtant notre relation n'a jamais vraiment évoluée. En plus d'être seule, je me sens seule.

    J'attrape mon téléphone, histoire de regarder l'heure, mais surtout histoire de savoir si j'ai encore bousillé une journée. 14h42. Bon, j'ai encore bousillé une journée. J'embauche à 17h45, en trois heures, je dois me laver et me préparer, me faire un truc à manger, passer un coup de ménage et laver mes draps. Je devrais y arriver, après tout, c'est pas si difficile d'entretenir trente cinq mètres carré. Haut les cœurs Marie!

    17h30, il est temps de partir. je prend un pull, mon sac à dos et c'est parti. Je m'installe dans ma vieille 306, elle est vert bouteille, elle est vieille, mais c'est mon bolide. Au moins j'ai un truc pour me porter les fesses! Je m'installe au volant et allume une cigarette. Je sais que c'est mal, mais je suis bourrée de défauts, et je le serai toujours. Je hais ma vie, c'est un capharnaüm, un bordel total. Je ne sais même plus comment j'ai fait pour en arriver là, mais j'espère que tout s'arrangera un jour. Mais pas aujourd'hui. Ça fait maintenant plus de deux ans que je travaille dans ce bowling, je fais principalement des heures de nuit (payées une misère), je chouchoute mes clients, gère la mauvaise humeur de certains, débloque les machines et les répare quand je peux, j'installe, j'encaisse et quand j'ai fini ma journée de travaille j'ai l'impression de sentir le pied. J'aime bien ce boulot, j'ai mes clients habitués et mes licenciés. Mais surtout ce boulot m'apporte une vie sociale que je n'aurai pas sans lui. Je me rappelle encore de mon embauche. Le directeur était venu me voir lors d'un extra au restaurant, et en suivant le responsable du bowling est venu me chercher pour me proposer un CDI. J'était tellement heureuse! Mon couple avec Antoine battait de l'aile, justement parce que des extra ne payaient pas les factures, pourtant j'étais encore en BTS. Un mois après ma non-obtention du diplôme, le directeur et le responsable m'ont proposé ce travail. J'ai accepté de suite, déjà parce qu'il fallait que je travaille de façon plus stable, mais aussi parce que je pensais que notre couple se relèverait.

Et en effet, notre couple s'était relevé, mais pas tant que ça. Nous vivons toujours chacun chez soi, et nous nous voyons dès que nous pouvons. La semaine il vient chez moi parce que j'habite en ville et que c'est mieux pour travailler, et pendant nos repos nous allons chez lui dans la campagne. D'une certaine façon c'est bien, mais il y a "chez lui" et "chez moi", toujours pas de "chez nous".

- Tu as avalé quelque chose aujourd'hui, Princesse? Je sursaute, tirée subitement de mes songes par Mathieu.

- Je t'ai déjà dis que je ne mangeais plus ici, que de la viande rouge et des fritures, mon portefeuille déteste ça. J'ai encore du aller me chercher des jeans vu que je ne rentre plus dans les autres.

-Arrête ça tu es très bien, je te ramène un dessert, me dit-il en repartant vers la cuisine.

Math est très attentionné, mais je n'en ai pas l'habitude. C'est le seul de mes collègue qui va débarquer en tenue de cuisine au bowling juste pour savoir si j'ai mangé. Ses desserts sont tellement bons que, même totalement rassasiée, je pourrais en manger. Pourtant j'ai faim. Je devais me faire un truc à manger, mais je ne me suis rien préparée. D'abord parce que je n'avais rien dans mon frigo et aussi parce que la montagne de vaisselle m'a découragée. J'ai une sainte horreur de faire la vaisselle.

Il revient deux minutes plus tard avec un crumble, rien qu'en le voyant mon ventre gargouille. Je le remercie et commence à le dévorer. Il me regarde amusé, et repart en me disant qu'il viendra faire une partie après son service. Ce dessert est vraiment parfait! Ma soirée continue, dans une éternelle routine.

- Nanou! Comment tu vas?

Je me retourne et vois arriver mon Kiki. J'adore cet homme. On se ressemble beaucoup, en tout cas sur ce qui est d'aider les autres.

- Kiki! Tu m'as fait peur. Ça va et toi? je répond le sourire aux lèvres.

- Toujours dans tes pensées à ce que je vois. Je t'offre une cigarette?

Je balaye la salle du regard: les clients sont en début de partie, la salle de billard est vide. J'ai le temps d'en fumer une. Mon chef est assez sympas la dessus, il me laisse fumer quand je le souhaite à la seule et unique condition que je lâche ma clope lorsque des clients se présentent au comptoir. J'accepte donc la proposition de Kiki.

- Tu cogites encore? Tu es souvent dans la lune en ce moment, constate Kiki comme s'il avait lu dans mes pensées.

- Je ne sais pas, je ne comprends pas pourquoi il me laisse de coté. Antoine est un mec super, mais parfois je me demande s'il m'aime vraiment. Ça va faire bientôt 5 ans que nous sommes ensemble, mais il ne veux toujours pas habiter avec moi, il ne me donne jamais de surnoms, il... Je ne sais pas, il me donne l'impression d'être indifférent. Je lui répond d'une petite voix.

- Il a peut-être peur.

- Peur de quoi? Je ne vais pas le manger!

- Peur d'habiter avec toi. Pas dans le sens que tu crois, mais dans le sens où il a peut-être peur de s'engager.

J'allume la clope qu'il m'a tendu et tire une bouffée. J'analyse ses paroles. Peur de l'engagement? Mais il arrête pas de me répéter qu'il veut des enfants avant d'avoir 25 ans. Je refuserai tant qu'on aura pas un chez nous. J'ai beau chercher, je ne comprends rien. Je décide de parler d'autre chose, j'en ai marre de me prendre la tête.

- Bref... Tu es tout seul ce soir?

- Oui, je viens m'entraîner un peu avant de partir pour la Chine. Je part en tournoi la-bas. Je n'en ai pas envie tu sais.

- Je t'arrête tout de suite! je le coupe en levant légèrement la voix. Tu vas y aller! On dirait un enfant qui ne veut pas aller à l'école. Tu as la chance de parcourir la Terre, alors pense à ceux qui sont bloqués dans leur train-train et voyage pour eux!

Parfois j'ai l'impression d'avoir à faire à un ado, pourtant je remonte bien les bretelles d'un homme de 45 ans. Il à la chance de parcourir le monde au gré de ses tournois de billard et il pleurniche comme un enfant qui ne veut pas aller à l'école le lundi matin. Il m'exaspère. Je donnerai n'importe quoi pour l'accompagner, déjà parce qu'il ne ronchonnerai plus pour y aller, mais surtout parce que je pourrai visiter les plus belles villes du monde. Pire qu'un enfant celui la, mais je l'adore.

Je vois Math arriver, il s'est changé, le service doit être terminé. Il nous rejoint dehors et sors lui aussi une cigarette. Je préviens Kiki que notre conversation n'est pas terminée. On se met à parler de tout et de rien, je rigole avec eux et ça me fait du bien. Je sais qu'Antoine sors avec ses collègues ce soir, alors je profite avant de me retrouver encore toute seule chez moi. Le bowling va bientôt fermer, je commence à ranger et les garçons viennent m'aider. J'adore quand il le font, c'est tellement gentil de leur part. Math nous propose de passer faire un rami chez lui après la fermeture et de sortir boire un verre.

- Ca te tente? me demande Kiki.

- J'ai rien de mieux de prévu, alors pourquoi pas. Je vous retrouve chez Math dès que je termine!

Ma soirée ne sera peut-être pas aussi pourrie que ça finalement. Je compte ma caisse, le sourire aux lèvres.

Plus jamais seuleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant