Le cri de la carotte et une luge

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Les troupes de Rodolphe-Albert débarquaient en masse, inondant progressivement le palais, et ne laissant à nos protagonistes aucun répit.

« Diantre, dit CN, ils ne nous laissent aucun répit.

Gudule fit feu sur une carotte masquée qui les poursuivait. Du jus de carotte fut projeté sur les murs, après un inévitable cri de Willem.

— Je n'aime pas le jus de carotte, commenta CN.

Il s'était saisi d'un livre sur le taoïsme et patientait en attendant que Robert dégage leur passage. Une statue de Bouddha souriant semblait se moquer d'eux (en fait, ce n'est pas qu'il se moque, c'est qu'il sourit toujours).

— Récapitulons, dit CN. Nous sommes trois. Gudule, l'Élu du Monstre Spaghetti Volant, Robert l'huître ninja, et moi le Messie de Wattpad.

— Wattpad n'est plus une terre de liberté spirituelle depuis que Rodolphe-Albert a pris le pouvoir ! S'exclama Gudule en défendant âprement leur position.

Une tomate trop mûre s'écrasa sur la statue de Bouddha, qui continua malgré tout de sourire.

— Heureusement que je suis payé, dit Robert.

— Ah, hum.

CN ferma son livre.

— À ce propos, hum.

— J'ai peur que ce ne soit pas le moment pour discuter, dit Gudule.

— Eh bien, mon cher Robert, je me dois de dire que, comment placer cela dans une telle ambiance, euh...

Les responsables des effets spéciaux s'empressèrent de couper court au dialogue, car le couloir que Gudule défendait en profita pour s'effondrer. En un sens, c'était positif, puisqu'il n'y avait plus de couloir à défendre. Face à Gudule ne s'étendait plus qu'un vide aussi abyssal que celui laissé par une blague tendancieuse en plein discours de politique générale.

— Oui, dit CN, mais le vide existe-t-il ? Voici la question que le Messie vous pose.

Un ange passa, mimé par Norbert le coléoptère, car d'un point de vue objectif CN venait de parler tout seul.

— Et moi qui essayais de relever le niveau.

Gudule, fort peu préoccupé du niveau philosophique de la conversation, beaucoup plus par le sauvetage du monde et encore plus par la préservation immédiate de son enveloppe corporelle, leva le nez vers un hélicoptère qui distribuait gaiement des salves d'explosifs conventionnels en direction du monastère, en profitant pour faire tomber quelques tours dans les profondeurs des vallées lointaines de l'Himalaya – quelques milliers de mètres plus bas. Sa mâchoire se décrocha, il eut la bonne initiative de la remettre en place.

— Gné, dit-il.

— Mes chers amis, dit CN, la vie prend parfois des détours inattendus, j'en veux pour exemple que je ne pensais pas vous revoir pour un laps de temps si court avant que notre fin s'approche... hé, mais ne serait-ce pas notre marchand de tapis ? Ohé, Magouille ! Ramenez-donc votre plus lourd que l'air par ici !

Le chevalier Magouille, qui pilotait l'hélicoptère, tourna effectivement l'engin vers eux. L'éclat rasant du soleil sur la vitre leur révéla un brocoli avec un monocle et une casquette amidonnée, assis à ses côtés.

— Diantre, dit CN.

— Excusez-moi, lança Magouille – quoi qu'ils ne l'entendent pas à cette distance, mais c'était juste pour la forme. J'ai changé de camp. Voyez-vous, je fais ça pour l'argent.

— Le scélérat ! S'emporta Gudule. C'est lui qui a ramené les légumes ici !

— Ne critiquons pas trop, modéra Robert. Nous autres mercenaires devons bien vivre, tout travail mérite salaire, etc.

Une horde de carottes à costume et lunettes noires se pressa derrière eux comme une bande d'ados en classe de neige. Gudule tira CN par le bras ; CN essaya de se rattraper à Robert et le tira donc aussi, et ils tombèrent tous les trois en avant, dans le vide, comme une vraie équipe soudée.

Le vent sifflait à leurs oreilles et CN en profita pour dire à Robert qu'il n'avait absolument pas de quoi le payer, ce à quoi Robert ne répondit rien, car il était trop préoccupé à se convertir au pastafarisme et prier le Monstre Spaghetti Volant de l'accepter au paradis.

Le Monstre Spaghetti Volant, qui, bien entendu omniscient, observait la scène depuis son lieu de vacances, opina du chef. Il vous rappelle d'ailleurs que pour toute nouvelle conversion, la fibre sera gratuite pour les mille premières années.

Puis Robert songea que s'il se connectait spirituellement à la divinité nouillesque, peut-être volerait-il lui aussi.

Ou peut-être son sang serait-il remplacé par de la sauce bolognaise.

Quoi qu'il en soit, cela n'arriva pas.

En revanche, ils glissèrent le long d'une pente abrupte et enneigée, avant de se retrouver sur un morceau de plancher qui avait été arraché quelques dizaines de mètres plus haut. Montrant l'exemple, Gudule s'accrocha au bois. Puisqu'il était l'Élu qui devait sauver le monde, autant commencer tout de suite à être photogénique.

Aveuglé par ses cheveux trop longs (six mois en cellule ne l'avaient pas arrangé), CN rata totalement la suite de leur périple. C'était une sorte de version améliorée du Bobsleigh, du snowboarding et de tous les sports de glisse sur neige avec des noms étranges (le narrateur vous faisant savoir qu'il n'est plus certain d'avoir obtenu son premier flocon). Avec, bien entendu, entre cinq et dix sbires-carottes légumineux qui n'avaient rien eu de mieux à faire que suivre en poussant des cris rageurs.

On eût dit que la main divine du Monstre Spaghetti Volant les maintenait sur une course stable, sans obstacle trop contondant ou trop rocheux pour les arrêter. Ce serait oublier que le Monstre Spaghetti Volant n'a pas de mains, et est extrêmement maladroit, ce qui l'a conduit à égarer une théière en orbite autour de la Terre. Personne ne lui aurait fait confiance dans cette situation ; il vaut mieux tout simplement se remettre au destin, ou aux équations de la physique.

Robert, en bon sidekick, en profitait pour jeter d'étranges cris modulés en « youhou » indiquant vraisemblablement qu'après avoir cru à sa fin prochaine, il appréciait maintenant leur descente impromptue de l'Himalaya. Il faudrait savoir, quand même.

Malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin, en l'occurrence une vallée encaissée dans laquelle ils s'arrêtèrent, avant que les milliers de mètres cubes de neige déplacés derrière eux ne vinrent leur faire un gros (mais un peu froid) câlin, avec autant d'ardeur qu'un berger malinois (mais en beaucoup plus froid).

La situation étant à la fois désespérée (parce que froide et enneigée) et stoppée en plein élan (parce que plus rien ne bougeait dans la vallée désormais), c'était le moment idéal pour faire de l'introspection.

CN en profita pour résoudre la conjecture de Birch et Swinnerton-Dyer ; malheureusement, il oublia plus tard sa démonstration ; décida qu'il serait de bon ton de traumatiser le public wattpadien avec ça, et en parla plus tard (mais bien plus tard) dans PJAM.

Les chroniques de GuduleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant