Never Be The Same { EN PAUSE }

- 1 - Ruth

Il n'est que 19 heures. Dehors, l'atmosphère s'est légèrement radoucie. La petite brise printanière a pointé le bout de son nez un peu plus tôt que d'ordinaire. Les parterres de fleurs dégagent un parfum délicat, les arbres commencent à bourgeonner également. L'agitation de la journée fait place à un calme quasiment religieux où juste quelques miaulements de chats et piaillement d'oiseaux viennent briser ce silence.

Ma chambre donne directement sur le jardin de notre maison. La vue est imprenable avec le grand saule pleureur qui domine les divers arbres fruitiers, les roses qui bordent les grillages, la pelouse verdoyante tondue de près. Un potager ainsi qu'une serre au fond du terrain font penser à une habitation campagnarde. Par moments, j'aime me mettre à la fenêtre et regarder au loin, je peux m'aérer l'esprit, penser à autre chose, m'évader dans les nuages ou bien dans les étoiles. Certaines personnes sortent, lisent, passent leur journée sur les réseaux sociaux mais moi je me qualifie plus de solitaire sur ce point. Me sentir connecter avec la nature, avec à la fois la réalité mais également un monde rien qu'à moi ...

Ma mère me ramène à la réalité en m'appelant pour descendre dîner. J'enfile rapidement une veste en laine car la température intérieure ne dépasse pas les 10°C. Il faudrait peut-être se décider à appeler un chauffagiste car ça devient invivable ! Une fois arrivée en bas des escaliers, Miss, notre border collie âgée de trois mois, me saute dessus pour réclamer des caresses. Cette petite boule de poils était un cadeau de mon beau-père pour mes dix-neuf ans. Ce fameux soir, en rentrant du lycée, je m'attendais – comme tous les ans – à n'avoir qu'un gâteau d'anniversaire ainsi que la petite chanson qui allait avec. Mais en plus de tout ça, après le dîner, ma mère était revenue de la cuisine avec une grande boîte blanche nouée d'un ruban rouge. Elle l'avait posé sur la table et ils me regardaient tous les deux les yeux remplis d'excitation. Un sourire avait illuminé mon visage lorsqu'un petit être avait surgi les yeux brillants et la langue pendante, comme heureux d'avoir trouvé enfin une famille qui l'aimerait comme il le mérite. L'animal avait le bout des pattes toutes blanches, comme s'il portait des petits chaussons en laine. Son pelage, noir comme de l'ébène, était d'une douceur comparable à celle de la soie. Ses petites oreilles en pointe se dressaient pour montrer qu'il était content et ses yeux exprimaient le bonheur d'avoir une personne a aimé et qui l'aimerait en retour. Un seul nom m'était venu à l'esprit lorsque j'avais vu sa petite frimousse : Miss. A la fois mignon et distingué, cela ne pouvait pas être autrement. On dit que le chien est le meilleur ami de l'homme, et c'est bien vrai ! Elle est ma meilleure amie et sait lorsque je ne vais pas bien. Généralement, elle vient se blottir contre moi, la tête sur mes jambes et me regarde de son air triste qui semble vouloir dire Je suis là tu sais ? Jamais je ne te laisserai tomber et même si je dois rester comme ça toute la nuit, ne t'inquiètes pas que je serai là ! Quel amour sérieusement.

Tout le monde est déjà à table lorsque j'arrive. Maman nous a préparé une quiche aux légumes accompagnée d'une salade. Je m'installe sans un mot, ni un regard pour personne. Un malaise s'est installé au sein de cette maison depuis quelques mois sans que je ne comprenne réellement pourquoi. Chaque soir c'est la même histoire, aucun de nous n'adresse la parole à quiconque, ni même un regard. C'est une ambiance glaciale qui trône au-dessus de notre famille, personne ne l'a vu venir.

Le dîner se déroule dans le silence le plus complet. Les minutes me paraissent être des heures. Après avoir aidé mon petit frère Drew à débarrasser, mis la vaisselle dans le lave-vaisselle et rangé ce qu'il restait dans le frigo, la seule idée que j'ai en tête est de retourner dans ma chambre. Je n'ai même pas envie de pleurer, ni même envie de crier que cette ambiance est réellement pesant, je veux juste regagner mon petit cocon pour m'y enfermer et rester le plus loin possible de tout ça.