Les monstres ont-ils vraiment tous peur du noir ?

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Écrit en Avril 2016 :

Toutes les espèces ont une peur irrationnelle du noir. Après tout, aucunes d'entre elles ne peut exactement savoir ce qu'il s'y cache. Ce que personne ne sait en revanche c'est qu'en réalité cette peur n'a strictement rien d'irrationnelle, et que lorsque vos cheveux se hérissent sur votre nuque ce n'est pas que votre imagination vous joue des tours mais qu'un danger mortel rôde non loin de vous.

Lui il n'avait pas peur du noir. Ou plus exactement il n'en avait plus peur. Quand il était petit, il y a bien longtemps de cela, on le punissait en l'enfermant dans l'endroit le plus sombre possible : une cave, un placard, un cagibi. Alors l'obscurité avait fini par devenir son royaume, l'endroit dans lequel il se réfugiait quand il se sentait mal. Il était en train de méditer à tout cela, à la peur inconditionnée qu'avaient les autres pour la pénombre quand il entendit non loin la voix du jeune garçon de la famille chez laquelle il habitait. Sa petite voix joyeuse de gamin heureux qui entrainait sa chère mère derrière lui. Il n'avait pas envie de les voir, lui, son sourire et sa mère. Alors il se réfugia dans le placard, glissant comme une ombre à travers la chambre sombre. Ce n'était pas inhabituel qu'il se dissimule ainsi. Bien au contraire. La porte du placard se refermait tout juste quand celle de la chambre s'ouvrait en grand, illuminant la pièce de la lumière du couloir.

— Tu me lis une histoire ce soir hein maman ? demanda l'enfant en s'engouffrant dans la chambre, agrippé à la manche de sa mère comme s'il ne voulait pas la lâcher.
— Bien sûr, rit l'adulte en allumant lumière. Bon sang... Tu penseras à ranger ta chambre demain, soupira-t-elle avec un sourire.
— Oui, bien sûr, lui répondit le garçon sans conviction en se précipitant sur un livre d'image. Je veux celui-là ! s'exclama-t-il avec un grand sourire en brandissant l'objet au-dessus de sa tête.

Sa mère prit le livre d'une main et lui dit avec un sourire en coin :

— Tu connais la règle...

Il n'en fallut pas plus pour que l'enfant se précipite sur son lit et se recouvre de sa couette, ne laissant que sa tête et ses mains dépasser, attendant impatiemment que sa génitrice vienne s'installer à ses côtés. Celle-ci leva les yeux au ciel, secouant la tête en souriant devant l'empressement de son fils, avant de venir s'asseoir sur le bord de son lit et de commencer le récit.

Quand ce moment privilégié fut terminé, la mère ferma doucement l'ouvrage et caressa la tête de son fils. Elle se leva et se dirigea vers la porte. Quand elle éteignit la lumière, une petite voix dans l'obscurité la retint.

— Maman... Tu n'as pas vérifié...

Elle poussa un léger soupire. Depuis quelques temps son fils était terrorisé par un soi-disant monstre dans sa chambre et refusait de s'endormir avant qu'elle n'ait vérifié l'intégralité de la pièce. Alors elle ralluma la lumière et se mit en quête. Regardant derrière les rideaux, inspectant l'espace sous le lit. Et immanquablement elle vint vérifier l'armoire. Il se recroquevilla du mieux qu'il put dans un coin sombre du placard. Il avait l'habitude de ce manège et ne s'était jamais fait repérer. Cette fois-ci non plus il ne fut pas découvert et les yeux de la femme passèrent sur lui sans le voir avant qu'elle ne referme la porte.

— Tu vois, comme tous les soirs il n'y a pas de monstre. Tu peux t'endormir tranquillement Jimmy.
— Non... chuchota le petit garçon. Il vient quand vous dormez...
— Couches-toi. Il n'y a pas de monstre, dit simplement l'adulte en sortant de nouveaux de la pièce, emportant une nouvelle fois la lumière avec elle.

***

Il attendit que la maison se calme pour songer à sortir de sa cachette. Son instinct de prédateur se réveilla en lui, comme une petite étincelle qui ne demandait qu'à s'enflammer. Il sourit. Si un filet de lumière avait pu l'atteindre d'où il était, on aurait probablement aperçu ses longues dents effilées miroiter brièvement dans l'obscurité. Il ouvrit ses yeux en grand, deux billes d'obsidienne, entièrement noirs, parfaitement adaptés à la chasse nocturne. Ses griffes acérées raclèrent la porte du placard et il inspira profondément l'odeur de peur qui suinta des pores de la peau de l'enfant. Ce serait ce soir qu'il l'emporterait. Il avait passé des mois à le préparer, à le terroriser nuit après nuit, à faire en sorte qu'il le craigne lui, le monstre du placard, le cauchemar des enfants et de leurs parents.
Il passa une main hérissée de griffes dans l'entrebâillement de la porte et savoura la terreur de Jimmy tandis que celui-ci, apercevant sa plus grande crainte à la lueur de sa veilleuse, se réfugiait sous sa couette. Lui, il se coula dans la pièce comme un bateau de papier glisse sur l'eau et rejoignit le pied du lit en faisant grincer ses dents. Le petit se mit à sangloter doucement, presque silencieusement. Il avait hâte de l'entrainer dans son antre pour le déchiqueter de ses griffes, pour pouvoir enfin l'ouvrir et se repaitre de ses entrailles. On raconte souvent aux enfants pour les effrayer que le croque-mitaine viendra les emporter. Mais ce qu'on ne leur dit pas, c'est ce qui leur arrive après.
Alors, recroquevillé dans le noir, il glissa un doigt sous la couette de l'enfant et lui effleura la cheville, provoquant un glapissement de terreur de sa part. Il ricana. C'était un rire étouffé qui ressemblait étrangement au son d'une porte qui grince. Mais il s'était assez amusé, comme un chat le ferait. Il était temps d'emporter sa proie dans son repère. Il saisit d'une main la cheville frêle du garçon et l'entraina derrière lui tandis que celui-ci hurlait d'effroi, tentant de se raccrocher à ce qu'il pouvait. Mais c'était un effort voué à l'échec. Il était condamné depuis que le monstre avait élu domicile dans son placard. Alors le jeune Jimmy disparut dans un froissement de tissu et un hurlement de terreur dans les profondeurs obscures de son propre placard.

Dans le fond, c'était lui que tout le monde craignait. Il était l'obscurité. Il était le noir que l'on redoutait. Il était le monstre du placard. Il était le monstre qui se cache sous le lit.  Il était... Le croque-mitaine. Et personne ne revenait jamais de son royaume.

Chronophage [recueil d'OS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant