Le dernier été ☀

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Ce soir-là, j'ai éteins mon téléphone, coupé toute communication, cessé toute activité qui me paraissait futile. Je me suis enfermée dans ma chambre et barricadée dans mes pensées, et j'ai pleuré sur ce monde si beau fait de tant d'horreurs. Et j'ai pensé à toi.

Ton histoire commence un froid matin de janvier 2010, à l'hôpital de C. La météo ne t'a pas découragé, et c'est tout rouge et braillant que tu es né. Très tôt, on se rend compte que tu as beau être né en janvier, tu as la même personnalité solaire que ton frère, chaleureux, souriant, empli de joie et d'une volonté de bien faire. On a quoi ? 8, 9 ans d'écart ? Oui c'est ça, j'ai plus du double de ton âge. Et pourtant on s'entend tellement bien ! On se voit pas souvent non, juste aux grandes réunions familiales chez papy-mamy, et quand les adultes bavassent sur la scolarité de leurs gosses, nous on s'amuse bien. Quand je suis avec vous en fait je n'ai plus envie de jouer à la grande fille, j'oublie toutes mes responsabilités, mes emmerdes et mes problèmes d'ado normale et insipide, je retombe en enfance. Cette enfance passée bien trop vite ! Ça me fait du bien, de juste profiter avec vous, avec toi, sans penser à plus tard.

Donc on est chez papy-mamy, dans le grand jardin, il fait beau, il fait chaud. Je suis allongée dans l'herbe, Ethan a chipé des chips et on regarde tous le ciel en écoutant la musique. Flo se ramène avec des bouteilles qu'il a prises en douce dans le frigo de papy. Mais je n'ai pas envie de ça, j'en ai ma dose : tu n'imagines pas tous les pseudos-rebelles qui traînent au lycée et s'affichent dès qu'ils le peuvent avec leurs gadgets indispensables au maintien de leur cote de popularité : cigarette + bouteille, j'ai bien compris le principe merci. J'en ai ma claque de subir ce refrain, comme si on avait besoin de boire et de fumer pour profiter. Comme si la vie nous soufflait à l'oreille qu'on ne peut être heureux qu'avec quelques grammes d'alcool dans le sang. Alors je me lève et je les laisse tous les deux, avec Julie qui glousse au téléphone. Elle a une personnalité bipolaire Julie, un petit côté superficiel et pourtant une mine d'informations sur le monde, clairvoyante et pourtant inconsciente, des moments de déprime et d'autres de joies. Comme tous les ados j'imagine. Elle est faite de contrastes Julie. Je les laisse donc et je vais te rejoindre.

Cet été-là tu as six ans. C'est le dernier été. J'ai donc, attend, six plus neuf, j'ai 15 ans à ce moment. Tu joues avec le chaton, et c'est beaucoup trop mignon. Attendrie, je me laisse tomber à côté de toi. Tu attrapes la boule de poils et de tes mains d'enfant malhabile, tu la serres contre toi.

"Attention, tu vas l'étouffer !", je m'exclame en riant. Tu lâches le chat et tu te tournes vers moi, un peu inquiet. L'animal en profite pour s'échapper, le fourbe. Je me jette sur toi et te fais des chatouilles : l'effet escompté est immédiat. Tu oublies aussitôt ton chagrin et rie aux éclats. On roule dans l'herbe sèche jusqu'au bas de la pente et on remonte en courant pour recommencer, tu me coures après en hurlant, au joue au chat et on s'explose la rétine à regarder le soleil, on s'éclabousse près de la rivière et on construit des montagnes de ces petits machins rectangulaires en bois. L'après-midi s'écoule vite et le soir, lorsque je me glisse sur une chaise à côté d'Ethan pour le repas, je n'ai pas vu le temps passer.

la dame en noir qui te vola ton enfanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant