Psychédélique

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Après les vacances d'été, comme après toutes vacances, il était temps de préparer la rentrée. J'aime beaucoup ce moment-là, quand le sac à dos est empli d'une odeur de neuf et de belles promesses. La rentrée, c'est l'assurance d'un nouveau départ. Chaque rentrée est comme un soir de nouvel an : on se promet mille et unes bonnes résolutions qu'on abandonne le mois suivant.

Le matin du jour J, je suis prête en avance : c'est à coup sûr la première et dernière fois de l'année que je le serai ! 6H45, je me précipite en bas des escaliers.

« Papa, on y va ? »

Mon père me dépose à mon arrêt de bus. Les gens de mon bus n'ont pas changé pendant les vacances, si ce n'est qu'on est tous plus bronzés. Il y a quelques petits nouveaux aussi, apparemment. Une fois assise dans le bus, j'envoie un message à Enola.

De : Moi

A : Enola

On se retrouve comme d'hab devant le lycée?

De : Enola

A : Moi

Ouiiiii!

Le chauffeur nous dépose comme d'habitude à l'entrée du parc qui jouxte le lycée, et cinq minutes plus tard je suis arrivée. Au milieu de l'océan de nouvelles têtes, je repère la silhouette longiligne d'Ema. A côté d'elle, le grand Julian et enfin la petite bouille qui me sert de meilleure amie, Enola. Quand ils m'aperçoivent, ils se mettent à faire de grands gestes en rigolant.

« Mais c'est qu'elle est toute bronzée la petite ! »

Après les embrassades et les étés respectifs débriefés rapidement (on s'est vus une grande partie de l'été, il n'y a pas grand-chose à rajouter), c'est le moment du discours du proviseur. La masse d'élèves bien habillés se déplace à l'intérieur du bâtiment. On repère assez facilement les secondes et les nouveaux arrivants, qui restent par petits groupes ou par paires et se déplacent timidement. Quant aux redoublants, premières et terminales, c'est beaucoup plus détendu. Je me rappelle de mon premier jour de seconde.. en fait, on est tellement stressé qu'on ne fait absolument pas attention à ce qui nous entoure. Une fois l'allocution (interminable) de notre cher proviseur finie, on se dépêche d'aller voir les tableaux qui donnent nos classes. On est pas nombreux devant, la majorité y sont allés avant. Je me retrouve en première littéraire 2 (1L2) avec Enola, tandis que Julian et Ema sont tous deux respectivement dans une classe scientifique (1S) et économique et sociale (1ES), avec quelques amis à eux. On se donne rendez-vous à la pause de 10h, et nous filons rejoindre nos classes respectives.

Finalement, avec tout le monde qui allait et venait, Enola et moi sommes restées dans les couloirs à la pause. C'est donc seulement à midi, avec un sandwiche au parc, que nous pouvons enfin respirer.

"Ouf ! J'ai Rebert en prof principale, elle m'avait pas manqué celle-là, s'exclame Julian en s'asseyant dans l'herbe.

- Et ta classe, ça va ? je lui demande.

- Oui plutôt, je suis avec Alexis et Guillaume et puis je pense qu'il y aura moins de bordel que l'année dernière. Et vous ?"

Pendant que chacun déballe ce qu'il a acheté à manger, on discute de notre classe, de nos profs, des élèves, de tout et de rien. Je les observe tour à tour, heureuse de les avoir retrouvés.

Avec Julian et Enola, on se connaît depuis toujours, du moins aussi loin qu'on puisse remonter dans nos souvenirs ! Au primaire, les deux étaient très proches mais je ne pouvais pas les supporter. Avec le temps ça s'est arrangé, et maintenant c'est juste très drôle de se rappeler quelles crasses on pouvait se faire : je ne compte plus le nombre de fois où nos parents nous ramenaient à la maison avec les pantalons troués ou tachés par nos bagarres. Les années passant, on est devenus un trio très soudé, même si c'était pas tous les jours facile au collège. Depuis notre entrée au lycée, on est beaucoup plus tranquilles, on se prend moins la tête, on est très proches mais on peut se faire de nouveaux potes et passer du temps avec eux sans que ce soit un sujet de controverses. Peut-être que l'arrivée d'Ema nous y a aussi aidé. Elle est arrivée en quatrième dans notre collège mais ne s'est rapprochée de notre groupe qu'au lycée, sûrement parce qu'on était les seuls à être du même collège qu'elle. Elle a fait du bien au groupe d'amis d'enfance qu'on était, avec sa bonne humeur constante et son gigantesque sourire, on l'appelle notre petit rayon de soleil. C'est peut-être pas tout le temps facile pour elle quand on parle de nos souvenirs communs, mais elle ne nous le fait jamais sentir et puis on fait beaucoup d'efforts pour pas se comporter comme des associaux qui ne restent qu'entre eux !

Julian est un grand métisse avec des yeux verts immenses. Il a plutôt une carrure de footballeur que de rugbyman (ok, j'arrête ici pour les clichés), et fait du basket et du piano. On peut vraiment parler de tout avec lui, il est très ouvert et a toujours une anecdote à raconter sur des sujets chaque fois plus étonnants. Il nous fait souvent écouter des nouveaux groupes ou des chanteurs peu connus qu'il découvre. Depuis le primaire il est invariablement le chouchou de ces dames, mais il est tellement timide ! Maintes fois on a essayé de le pousser vers des filles qui lui faisaient des yeux de biches et ne nous paraissaient pas trop méchantes, mais il ne parvient jamais à aligner plus de deux mots en face d'elles. Maintenant on le laisse faire, il saura bien ce dont il a envie au moment où ça arrivera.

Enola est ce qui se rapproche le plus d'une meilleure amie pour moi. Je lui dis tout et réciproquement, on se comprend toujours d'un regard. Avec elle aussi j'ai eu mes hauts et mes bas, comme dans toute relation je crois, mais on s'en est toujours sorties. Elle est plutôt petite, plus petite que moi en tout cas, et rondelette avec de belles formes. Brune, des petits yeux bleus, elle a un visage tout rond et adorable. Elle a un tempérament de prime abord très doux et on pourrait la croire timide.. si on ne la regardait pas assez ! En vérité c'est une boule de nerfs, au bord de l'implosion, elle carbure, une vraie pile électrique ! Avec elle je peux parler de tout aussi, rigoler niaisement d'un garçon ou débattre de la laïcité.

Et enfin Ema, le petit bébé du groupe ou la maman, on sait jamais vraiment. Ema est d'origine antillaise, elle a de magnifiques cheveux bouclés couleur miel et des yeux marron clair. Elle est plus grande que moi avec des formes généreuses (sur lesquelles elle complexe énormément). Si je dit qu'elle est la maman du groupe c'est que malgré son arrivée en cours de route, elle occupe une position protectrice au sein du groupe : en cas de bobo c'est toujours vers elle qu'on se tourne. Elle a une parole réfléchie et des conseils toujours avisés, et sait quand faire rire ou jouer de son sourire pour désamorcer les tensions. Mais comme nous tous elle a un côté très fragile. Elle a sauté une classe, et plusieurs fois elle nous a avoué ne pas se trouver à la hauteur. Malgré le fait qu'elle se sente maintenant beaucoup mieux avec nous qu'avec les gens de son âge, elle a par moments des sortes de craquages, à force de prendre sur elle pour donner tout son possible il arrive qu'elle s'effondre. A ces moments-là, on fait toujours la même chose : on dort tous chez Julian, Enola ou chez moi, et on passe la nuit à discuter de tout, à regarder des films ou juste les étoiles, à manger des glaces. Il lui suffit de se sentir entourée pour reprendre confiance en elle.

Parfois j'ai peur quand je me rend compte à quel point mon bonheur repose sur les épaules d'un nombre limité de personnes. Je me dit que la vie ne tient qu'à un fil ou à quelques actes et paroles irréfléchies, que tout peut basculer à chaque instant. Mais mes doutes sont à invariablement balayés par le sourire de mes amis.



la dame en noir qui te vola ton enfanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant