La "Cage"

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Mon nom, voilà des décennies que je le pensais oublié. Effacé de ma mémoire, au même titre que mon enfance, que ma famille, que mes joies et mes malheurs, en deux mots : ma vie.

Avant mon arrivée dans la Cage, tout est flou, enveloppé dans un épais brouillard. Je n'ai jamais tenté de voir au-delà, ni même de le traverser. J'ai jugé que c'était mieux ainsi. Ne pas savoir m'évitait de m'attarder sur des choses susceptibles d'entraver ma survie. N'avoir rien à regretter était essentiel.

Continuer d'avancer, quoiqu'il arrive, c'est tout ce qu'il me reste à faire.

Pourtant, durant une demie seconde, la brume recouvrant mes souvenirs s'est partiellement dissipée. J'ai aperçu les rayons de soleil, aussi éblouissants qu'éphémères. Comme pour me rappeler qu'ils sont toujours là, à portée de main.

Depuis, une étrange sensation a élu domicile dans ma cage thoracique. Quelque chose de nouveau et de déroutant. Une flammèche vacillante, capable de s'éteindre à tout moment. J'ignore ce dont il s'agit. Peut-être n'est-ce qu'un effet secondaire dû à la magie de la princesse ? Je suis bien incapable de trouver la moindre explication.

Le lendemain matin, assis sur le lit de l'infirmerie, je l'ai attendue. Elle avait dit qu'elle reviendrait. Je ne doutais pas de ses mots, elle ne m'avait jamais menti jusqu'à présent. Elle reviendrait. Alors je patientais. Je ne comprenais toujours pas la raison qui pouvait bien la pousser à me montrer autant de gentillesse. Ici, dans la Cage, je n'étais personne. Il n'y avait que sur le sable de l'arène que ma vie prenait un sens, mon visage, un pseudonyme. Il n'y avait rien d'autre à mes yeux, que ces rares instants de gloire. Dans l'attente d'un nouveau combat, je me transformais en une coquille vide.

Mais elle, ne me regardait pas avec les yeux du publique. Elle ne me parlait pas de la même voix. Elle n'utilisait pas les mêmes mots. Ses motivations m'échappaient. Perplexe, je n'attendais qu'une réponse.

Pour l'instant, la situation se présentait de manière positive de mon point de vue. Elle me guérissait, sans autre contrepartie que la douleur, à laquelle j'étais accoutumé. Elle m'évitait tous les problèmes liés à la cicatrisation, me permettant d'appréhender mes futurs combats avec tous mes membres, relativement fonctionnels. C'était bien mieux que les soins auxquels j'avais usuellement droit.

La situation est à mon avantage, mais pour combien de temps encore ?

La porte métallique s'ouvre. Un homme, vêtu de noir, au visage masqué, me fait signe de le suivre. Je comprends tout de suite ce qu'il attend de moi. Ma blessure me fait encore souffrir, et elle n'est que partiellement refermée, mais qu'importe. Je peux encore combattre convenablement, je n'ai pas le choix. On apprend vite à ne pas se plaindre dans la Cage.

Autour de moi, une grande pièce. Les gens hurlent, s'agitent en tous sens. Il y fait une chaleur oppressante. L'air y est nauséabond. Pieds et torse nu, seulement armé de mes poings, je fais face à mon adversaire.

Une dague aiguisée dans chaque main, il m'observe. Son sourire que j'estime comme provocateur et nerveux, dévoile une range de dents irrégulières et jaunies.

Nous nous faisons face au centre de la pièce, sous un dôme de métal. Les muscles tendus, nous attendons le signal pour démarrer et nous déchiqueter mutuellement, comme des animaux sauvages.

Voici le vrai visage de la Cage. Une série d'arènes souterraines, dans lesquelles peuvent s'affronter des combattants renommés ou non en échange de quelques pièces d'argent. Les vies y sont monnayées comme de vieux chiffons, vendues aux plus offrants.

C'est ici que j'ai commencé. Ici que je me suis forgé ma réputation, dans les égouts de la ville. Pas en tant que client. En tant que jouet. De la chair à canon qui s'est élevée dans ce système où la violence est vénérée comme un dieu. J'ai su grimper les échelons de l'enfer jusqu'à être capable d'atteindre la surface. Parce qu'ici, tout est possible.

Combats à mort ou simple torture publique, les clients sont libres de décider du sort de leurs cobayes en fonction de leurs envies et surtout, de leurs moyens. L'attraction principale aujourd'hui, c'est moi. Quelqu'un a payé très cher pour me voir combattre différents adversaires et ce, durant toute la soirée. Au programme, une dizaine d'affrontements. Inégaux. Evidemment. A mort. Bien entendu.

Je sens l'excitation monter en moi, j'en frémis presque. J'aime ce goût dans ma bouche. Celui de la peur, celui de l'adrénaline prête à s'injecter dans les veines. Comme une dose de drogue. Une drogue pour laquelle je survis. Pour en gouter plus, toujours plus.

Dans le publique, la rumeur se propage. Je connais ce frisson qui s'empare des gradins. L'excitation monte d'un cran. Ceux qui ne sont pas assis se massent plus densément autour de la cage métallique. Leurs corps obstruent la lumière et assombrissent la cage. Le combat, va bientôt commencer.

Je suis prêt. Prêt à éliminer tous les obstacles qui tenteront de me barrer la route. Je dois rester méfiant, attentif. Car même si du premier coup d'œil j'ai estimé mon adversaire faible, je ne suis pas à l'abri d'une erreur de jugement ou d'une mauvaise surprise. Il n'y a pas pire adversaire que celui qui sait cacher sa force/

- COMBATTEZ !!

Grisé par les encouragements de la foule, par ses cris enragés, mon ennemi attaque le premier, sans réfléchir. Sa pire erreur est d'avoir été influençable.

Du pied droit, qui est celui sur lequel repose la majorité de son équilibre, il s'élance dans ma direction. Il est comme un louveteau, trop impatient de faire ses preuves. Trop désireux de montrer sa valeur. Sans aucune difficulté, je devine son prochain mouvement, avant qu'il ne soit en mesure de l'initier. J'esquive avec aisance sa tentative de me sectionner la jugulaire. Je saisis son poignet en plein mouvement, avec fermeté. A partir de là, la suite s'enchaîne très vite, avec fluidité. Tel un pas de danse, si longuement répété, qu'il paraît naturel.

Torsion soudaine et violente du coude de ma victime. Ce qui engendre une fracture de l'articulation qui émet un craquement sinistre. J'enchaine, me glisse dans son dos. Sans libérer son poignet, je me sers de ma seconde main pour frapper son omoplate gauche d'un coup sec et maîtrisé. Son épaule se démet dans un bruit sourd et il tombe en avant. Désorienté aussi bien par la douleur que par ma succession de mouvements, il s'écrase dans le sable, incapable d'amortir sa chute, mêlant son cri de souffrance aux rires moqueurs de la foule.

Lentement, je me baisse et ramasse l'une des dagues qu'il a fait tomber. Je m'accroupis près de lui. Expose sa gorge au public en tirant ses cheveux, avant de la trancher.

Je me relève, sans accorder davantage d'importance au corps secoué de spasmes, et dont le sang s'échappe en un flot saccadé. Il n'est que le premier. Premier d'une longue série.

Les spectateurs saluent ma performance d'une vague d'applaudissements enthousiastes. Je jette un coup d'œil à l'Homme en Noir. Mon référent, ici-bas. Il me fait comprendre via une série de signes des mains, qu'il n'est pas du tout satisfait. Je fronce les sourcils.

Je sais ce qu'il attend de moi. Je n'en tire aucun plaisir, mais je n'ai pas le choix. Si je ne montre pas de choses plus spectaculaires, c'est moi qui serais tué pour amuser le publique.

Je hoche la tête pour signifier que j'ai bien compris. Je ferme les paupières, tandis qu'au creux de mes mains, naissent deux flammes. L'une bleutée, l'autre orangée. La salle accueille la démonstration dans le plus grand silence.

1 000 ans dans la CageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant