Le feu. Un élément tempétueux et destructeur. Il apporte aussi bien chaleur, sécurité que tristesse et désolation. Il détruit tout comme il réconforte. C'est quand on pense le maîtriser qu'il se retourne contre son porteur. On a beau dire que ce n'est pas une chose pourvue d'une conscience, d'une âme, je suis intimement persuadé du contraire. Je le crains et le respecte.
D'aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours été capable de le manipuler. De le faire naître à partir de rien, au creux de mes paumes. Pour ensuite le plier à ma volonté.
Pourquoi ? Comment ? Je ne l'ai jamais su. Je n'ai jamais essayé de le savoir. J'ai vite compris les avantages et les inconvénients de ce don ou plutôt, de ce compagnon un peu particulier. Même s'il m'offrait des possibilités certaines en combat, il allumait aussi une lueur inquiétante dans les yeux de mes Maîtres. Une sorte de fascination qui me fait frémir à chaque fois.
Un jour, ils m'ont demandé de leur en montrer davantage. Alors j'avais simplement prétendu que je ne savais plus comment je m'y étais pris. L'excuse a été suffisante pour un temps. Jusqu'à ce que cacher mon pouvoir devienne de plus en plus compliqué. Mon don se transformait en malédiction. Lui aussi avait soif de gloire, lui aussi voulait être reconnu. C'est la sensation que j'avais.
Je n'ai encore jamais perdu, mais cela ne veut pas dire que je n'ai pas manqué d'y laisser la vie plusieurs fois. Je ne dénombre plus les litres de sang que j'ai perdus, ou les cicatrices à jamais gravées dans ma chair...
Quand on vit, on mésestime beaucoup la valeur de notre vie. On ne se rend pas compte de sa fragilité, de son importance. Pourtant, à chaque fois que la faucheuse s'est présentée à moi, à chaque fois que j'ai cru abandonner, j'ai alors cessé de penser. J'ai cessé de me questionner. Mon corps se déplaçait et agissait seul. L'adrénaline me donnait l'impression qu'une puissance incommensurable s'éveillait en moi, qu'elle me brûlait les veines. J'ai eu peur. Peur de mourir et de disparaître. Tel un animal, je m'accrochais désespérément à cette Cage que, jamais je ne pourrai fuir.
C'est à ce moment-là que j'ai perdu le contrôle. Le feu s'est échappé de mon corps telle une vague mortelle, carbonisant tous ceux qui se trouvaient à proximité. Le feu m'enveloppait comme une armure, cautérisant mes blessures, sans que je ne ressente aucune douleur. C'était même le contraire. Comme mu d'une volonté propre, il me protégeait, tenant mes ennemis à bonne distance. Bientôt seul survivant dans l'arène, je ne tardais pas à m'évanouir sur le sable.
Depuis ce jour dans la Cage, il est devenu impossible de cacher mon don. Mes Maîtres attendaient de moi des démonstrations de force spectaculaires. Alors je m'exécutais simplement. Après tout, il s'agissait simplement d'une arme mise à mon service. Pourquoi ne pas en faire usage aussi souvent que je le puis ?
- Eliott ?
La voix de Capuccine me ramène à la réalité. Elle m'observe, un air inquiet déforme ses traits harmonieux.
- Ça va ?
Je ne réponds pas. Je pose mes pieds nus sur le sol et me redresse. J'étire ma nuque, mes épaules mes bras et mon dos. Certaines articulations laissent échapper des craquements sinistres.
- Ton talent est vraiment impressionnant ! J'en avais entendu parler mais... (elle trempe ses mains dans un bol d'eau pour les débarrasser de mon sang) le voir de mes propres yeux a été une expérience... bouleversante !
Sa voix laisse transparaître des émotions contradictoires. De la fascination : elle semble effrayée et émerveillée. Elle essuie ses mains avec une serviette.
- Je crois que ce serait une très bonne idée que tu viennes en faire une représentation auprès de mon père et de ma mère, l'Empereur et l'Impératrice. Si tu les impressionnes suffisamment, ils pourraient te libérer.
Je fronce les sourcils, cessant de me mouvoir. Je me retourne pour lui faire face et l'observer. Dans la Cage, on apprend vite que l'on n'a rien sans rien. Il n'y a pas de faveurs. Il n'y a que ce que l'on a payé du prix de notre chair et de notre sang. La liberté n'est pas un mot. C'est juste une idée qu'on oublie vite parce qu'elle nous fait perdre de vue l'essentiel : survivre.
Je savais bien que Capuccine montrerait tôt ou tard son vrai visage.
- Ils pourraient... ils pourraient t'acheter et t'arracher à cet enfer qu'est l'arène. Tu pourrais avoir une bien meilleure vie, tu pourrais...
Je saisis son poignet avec une certaine fermeté, tout en étant assez souple pour ne pas la blesser, sans chercher à cacher mon hostilité. M'acheter ? Ne suis-je que cela, une simple marchandise ? Un vulgaire jouet qu'elle souhaiterai s'approprier ? M'ajouter à sa collection de petite princesse riche ? Qu'est-ce qui me prouve que ce sera différent là-bas ? Qu'est-ce qui me prouve que je ne serai pas moins bien traité ? Devrais-je simplement me débarrasser de la renommée que j'ai si durement acquise ? De ce statut, de cette influence, de tout cet argent que j'ai amassé ? Du confort que j'ai gagné au prix de ma vie ?
Pense-t-elle sérieusement que mes Maîtres me laisseraient aller librement ? Je leur apporte beaucoup trop d'argent pour qu'ils puissent se permettre de m'abandonner gracieusement au premier venu. Combien de fois ais-je entendu de pareilles sornettes ? De pareilles promesses ? Pense-t-elle que je suis dénué d'intelligence ou même pire, désespéré ?
Elle qui ne cesse de se plaindre de sa vie, que soit-elle de la mienne ?
Je la relâche, prenant alors conscience de mon geste déplacé, comprenant que l'espace d'une seconde j'ai perdu mon sang froid.
Elle n'est pas différente des autres. Elle a prétendu se soucier de moi, mais elle n'a d'yeux que pour le personnage que je joue, que pour les pouvoirs que je possède.
Je m'en doutais. Pensait-elle me berner comme un débutant ? J'ai sous-estimé mon adversaire parce qu'il n'était pas armé. Une erreur qui oppresse ma poitrine. Je ne suis pas blessé, pourtant, j'ai mal.
- Eliott ! Non écoute ! Je suis désolée ce n'est pas ce que je voulais dire. Je pensais que... je voulais t'aider. J'ai pensé que tu voulais autre chose, je voulais t'offrir une chance de t'échapper de cet endroit. J'ai... j'ai besoin de toi !
Besoin. Voilà un terme qui me déplait fortement. Elle qui ne connait probablement pas la vraie signification de ce mot. Elle qui a toujours eu tout ce dont elle avait BESOIN. Tout ce qu'elle désirait.
Un sourire méprisant se dessine sur mon visage. Je secoue la tête de droite à gauche, comme pour chasser le doute de mon esprit. Sans plus attendre, je me dirige vers la sortie d'un pas déterminé. J'entends les semelles de ses chaussures claque sur le sol de l'infirmerie. Elle me suit. Elle pose sa main sur mon épaule. Je m'arrête.
- Je ne peux pas te l'expliquer maintenant, mais tu dois me croire. Toi et moi sommes liés par quelque chose de bien plus fort que ce que tu ne pourras jamais imaginer ! Tu dois me faire confiance. Je peux t'offrir une vie meilleure, une vie sans combats. Une vie sans souffrances. Une vie sans peurs.
Je me dégage sans difficulté, et poursuis mon chemin. Je suis en colère. En colère contre moi-même d'avoir osé espérer. En colère contre elle d'avoir osé me trahir.
Capuccine est comme tous les autres êtres humains. Elle ne s'intéresse qu'à sa propre vie. Je ferai bien d'en faire autant.
On n'a rien sans rien.
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1 000 ans dans la Cage
General Fiction"1000 ans dans la Cage" parle de la vie d'un gladiateur un peu spécial, elle est donc un peu violente. Âmes sensibles s'abstenir ! Enjoy :-)