A demain, hier.

Courageuse

"D'autres que moi écrivent comme ils parlent ; moi j'écris comme je me tais." - Amin Maalouf.

Dimanche

-Bonjour Ohana, s'enchante Béatrice.

Saylor est sûre de son choix, elle y a réfléchi toute la nuit. Elle n'a pas dormi.

Voilà 10 ans. 10 ans que la sans-abris n'a pas ouvert la bouche.

10 ans que le silence fait partie intégrale d'elle.

Elle sait qu'il faut que ça change. Elle qui a toujours été une surdouée, son vocabulaire n'a pas été perdu, mais pour ce qu'il s'agit de lire ou d'écrire ... C'est peine perdue.

-A-Apprend-m-moi, peine Saylor, en pointant du doigt le livre.

Béatrice sursaute, ses yeux s'écarquillent de stupeur. La voix de Saylor est affreuse mais sonne comme une douce libération aux oreilles de celle-ci.

Un mélange entre peur et toute autre chose prend place dans l'atmosphère.

Une toute autre chose qui se dévoilerait comme un fort magnétisme.

Saylor est une fille passionnée. Et l'alchimie entre les deux amies ne fait que l'amplifier.

La bouche entre-ouverte, les yeux exorbités, Béatrice n'arrive pas à réagir.

Elle se lève, recule, soufflant un faible "désolée" avant de partir loin devant, presque en courant.

Un calme fracassant s'abat sur la petite Saylor et elle ne pense plus à rien. Quelques phrases viennent la déboussoler un peu plus.

"Je lui ai fait peur."

"Je lui ai fait peur et elle est partie."

"Je lui ai fait peur mais tant pis."

"Elle reviendra, non ?"

 "Elle revient toujours."

Saylor a parlé.

Elle regarde le ciel qui lui même est étonné.

Elle regarde le sol qui efface même toutes ses pensées.

Elle regarde devant elle et voit tout ce qu'elle est devenue.

Elle ne regarde pas derrière elle où elle aurait pu se rappeler tout ce qu'elle était.

Son âme égoïste s'agenouille face au lampadaire illuminant la nouvelle porte que Saylor s'est ouverte et chuchote :

Ce n'est que le début.