Masquée

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Jeudi

Le silence tombe, comme la pluie.

Ses larmes s'acharnent, comme les saisons.

Saylor ne sait quoi faire, comme Béatrice.

Elle inspire profondément et expire un léger souffle qui vint arrêter les pleurs de sa Ohanna.

Il est temps de lui montrer ce qu'elle sait faire.

Elle ouvre le livre de ses mains délicates et le protège de la pluie en l'englobant dans le chapeau.

Il est temps qu'elle comprenne pourquoi elle s'est battue jour et nuit à essayer de comprendre. De la comprendre dans un certain sens.

- " Si le jour n'a pas attendu la nuit, la nuit elle, a attendu le jour. Pour qu'elle puisse enfin prendre place. Les expressions ont toujours ramené des sous entendus. Comme 'La nuit tombe', 'Eclater en sanglots', 'Au fil du temps'. Elles lui font peur. Parce qu'elles connaissent son autre elle, celle que Tabatha cache. Brisée, sensible, au coeur durci. Elle qui a tant attendu que plus rien ne la touche, que le ciel rompe le contact glacial qu'il avait avec elle, que toutes ces nuits de pluies où elle dansait pour échapper à son destin macabre deviennent d'insouciants moments de liberté. Mais la vérité fracassait toujours le reste d'humanité qui lui restait. Alors, cette nuit de pluie, Tabatha a de nouveau dansé. Mais ses gestes ne voulaient pas exprimer son désarroi. Ses gestes semblaient juste vouloir dire 'sauvez moi'.

La voix blessée de Saylor ramène à la pauvre réalité de ce texte.

Béatrice la regarde intensément, la sans-abris pose ses affaires, prenant soin que seul le chapeau puisse brûler sous les gouttes d'eau.

Puis la fille aux jolies couleurs ramène sa Ohanna contre elle et la prend dans ses bras, respirant enfin l'air qui lui manquait.

Quelques secondes passent, où la morsure du froid ne semble plus les toucher.

Saylor se détache doucement d'elle et lui sourit avec fierté.

Elle la regarde un instant puis souffle un coup.

Il est temps d'avoir des réponses.

-P-pourquoi es-tu partie quand j'ai parlé pour la première fois ?

Ses yeux reflètent une incompréhension cachée dans la tristesse qui la consumait ces derniers jours.

-Je te dois des explications. Je me doute. Je vais te paraître complètement égoïste et ... c'est ce que je suis. Alors si je dis des choses qui te choquent, ne sois pas étonnée s'il te plaît. commence Béatrice, la mine sombre.

Saylor hoche la tête simplement, pendue aux lèvres de son amie.

-Si je suis partie la première fois, c'est parce que j'ai eu peur. Mais pas de ta voix, ni de toi, ni de tout ce que tu peux t'imaginer. J'ai juste compris que tu essayais de profiter du temps qu'il te restait, continue Béatrice en baissant la tête, C'est tout à fait compréhensible mais ... 

Le coeur au bord des lèvres, Béatrice réunit toute sa concentration pour ne pas flancher. Même si elle savait que c'est trop tard.

-Tu n'as pas le droit de partir ! Tu m'entends ? T'as pas le droit de nous laisser ! T'as pas le droit ... T'as pas le droit ...

La voix de Béatrice s'éteint en sanglots silencieux. Lorsqu'elle relève la tête, Saylor aperçoit ses joues mouillés par le désespoir.

Elle ouvre la bouche mais Béatrice l'arrête.

-Je suis désolée. Mais je ne pourrais sûrement pas répondre au milles autres questions qui s'évadent presque de tes pensées.

Sur cette phrase, elle s'en va, sans un regard en arrière.

A demain, hier.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant