Arte Corpus 1 - Tori et Noah (Sous contrat d'édition chez Plumes du Web)

Chapitre 1 - Partie I

J'avais toujours aimé le printemps. La nature renaissait et, de façon générale, les gens étaient de meilleure humeur. Peut-être ressentaient-ils l'attraction des vacances d'été qui approchaient, peut-être était-ce simplement le soleil qui perçait le ciel gris de l'automne passé, je n'en savais rien du tout. Mais j'aimai le printemps pour tout un tas de raisons, et lézarder sous les doux rayons du soleil normand pendant ma pause du midi en était sûrement la principale.

Nous avions pris l'habitude, quand nous étions encore au lycée et que nous révisions le bac, d'assiéger la place de l'hôtel de ville. À l'époque, c'était une façon d'alléger l'atmosphère pesante des révisions, aujourd'hui, c'était simplement une vieille habitude que ne nous quittait pas. En outre, à quoi bon s'enfermer quand il faisait un temps si superbe, alors que le mois d'avril débutait à peine ?

Assise les jambes étalées devant moi sur le large muret qui nous servait de banc, le visage levé vers le ciel et mes lunettes de soleil vissées sur le nez, je faisais le plein de vitamine d. Le beau temps ne durait jamais bien longtemps ici, mais c'était une chose à laquelle on s'habituait. Et, en toute connaissance de cause, je savais aussi que c'était un détail qui pouvait manquer au Normand le plus enraciné.

D'une oreille distraite, j'écoutai les rires et les bavardages qui résonnaient sur la place, à quelques mètres de moi. Forte de plusieurs années d'expérience, je savais que ça ne durerait pas et que les rires finissaient invariablement en chamailleries dignes d'enfants de huit ans et tout ça, dès qu'un skate-board ou deux étaient de la partie. J'aurai presque eu envie de m'applaudir quand cinq minutes plus tard, les premiers râlements bourrus me parvinrent. J'ouvris un œil pour contempler la scène et ne fus pas surprise de trouver Raphaël, le plus mauvais perdant de l'histoire de l'humanité, en train s'essayer de faire tomber Alex de sa planche. Ce qu'il parvint aisément à faire, avec sa tête de baroudeur agacé et ses cheveux noirs négligemment attachés.

Je poussai un soupir blasé quand Alex remonta sur son skate avec un sourire d'enquiquineur et qu'il roula loin de Raphaël en lui levant bien haut son majeur. J'avais parfois l'impression d'être la mère d'une tripotée de garçons mal élevés et capricieux et je me maudissais de temps en temps de ne pas m'être fait plus d'amies filles dans ma vie. Mais mon existence étant ce qu'elle était, je devais composer avec les coups de gueules, la fierté masculine – sur laquelle on aurait aisément pu écrire une saga de onze tomes – et les blagues idiotes. Néanmoins, j'avais beau râler, je n'aurais échangé ces hommes-là pour rien au monde, même pas la paix entre les peuples.

Je refermai les yeux, préférant savourer les dernières minutes au soleil, plutôt que d'observer une scène à laquelle j'avais l'impression d'avoir déjà assisté. Mais je fus bien vite dérangée quand Alex s'allongea et posa sa tête sur mes cuisses.

- C'est crade, je transpire comme un bœuf, m'informa-t-il avec nonchalance.

- Et tu t'es dit que mon jean ferait une bonne éponge j'imagine ?

- Évidemment que non. En revanche, tu aurais porté le jogging affreux avec lequel tu traînes quand tu es malade, je dis pas...

J'allai lui dire de me lâcher la grappe mais Raphaël roula jusqu'à nous et se força une place pour s'asseoir contre nous. J'avisai son sourire en coin d'un œil morne, celui qu'il affichait constamment quand il était d'humeur taquine.

- Alors, Alex, tu t'es enfin incliné devant mon talent ?

- Si ça peut te faire plaisir, soupira le concerné, les yeux clos face au soleil.

Raph lui assena un coup de mécontentement dans les côtes.

- Admets-le, que je suis plus doué sur une planche que tu le seras jamais. Ou je fais de ta vie un enfer.